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«Être dans le monde sans être de ce monde». L…

«Être dans le monde sans être de ce monde». La conférence du métropolite Hilarion à l'Université de Lugano (Suisse).

Avant tout, j’aimerais remercier chaleureusement l’évêque de Lugano Pier Giacomo Grampa, grand chancelier de la faculté de théologie de Lugano, le recteur, Mgr Azzolino Chiappini, ainsi que le corps professoral de la faculté qui me font l’honneur de me conférer le grade de docteur en théologie. J’estime que cet honneur ne me revient pas tant à moi personnellement ni à mes modestes travaux qu’à l’autorité spirituelle de l’Église orthodoxe russe, dont je suis le fils fidèle.

  1. La mission chrétienne

L’Église du Christ est envoyée dans le monde annoncer le Royaume de Dieu. Ce ministère d’annonce de la bonne nouvelle est un attribut imprescriptible de l’Église, dans la mesure où il repose sur le commandement du Christ ressuscité à ses disciples : « Allez, enseignez à tous les peuples... » (Mt 28, 19). L’Église pourrait dire avec l’apôtre Paul : « Annoncer l’Évangile, ce n’est pas là mon motif d’orgueil, c’est une nécessité qui s’impose à moi. Malheur à moi si je n’annonçais pas l’Évangile ! » (I Cor 9, 16). Cependant, si l’on ne saurait mettre en doute le devoir d’annoncer la Bonne nouvelle, confié à l’Église par le Christ lui-même, la question de l’application concrète de ce commandement se pose à chaque nouvelle génération de chrétiens. Quelle est la place du christianisme dans le monde ? Comment l’Église envisage-t-elle le monde ? Comment peut-elle agir avec ce monde pour y mettre en œuvre sa mission ?

Il importe de souligner que le rapport de l’Église au monde repose sur une dialectique. D’un côté, les Saintes Écritures expriment clairement le rejet du monde : « N’ayez pas l’amour du monde, ni de ce qui est dans le monde (...) car tout ce qu’il y a dans le monde, les désirs égoïstes de la nature humaine, les désirs du regard, l’orgueil de la richesse, tout cela ne vient pas du Père, mais du monde » (I Jn 2, 15-16). La notion même de « monde » a une connotation négative chez les apôtres Jean le Théologien et Paul, ainsi que dans les œuvres de nombreux ascètes chrétiens.

D’un autre côté, « la fuite du monde », radicale et définitive, non seulement empêcherait l’Église de remplir pleinement son devoir missionnaire, mais risquerait même de provoquer un schisme à l’intérieur de l’Église. Dans l’épître déjà citée, l’apôtre Jean témoigne de l’amour sacrificiel de Dieu pour le monde qu’il a créé et réaffirme le commandement de l’amour du prochain, c’est-à-dire de l’autre (I Jn 4, 9, 20). Isaac le Syrien appelle dans ses œuvres à la compassion envers la création toute entière, y compris les démons.

L’approche véritablement chrétienne serait donc celle que proposait le grand penseur russe Vladimir Soloviev dans son commentaire du verset de Jean le Théologien « le monde entier est dominé par le Mauvais » (I Jn 5, 19) : il faut différencier le « monde » du « mauvais » dans lequel il demeure. Certes, le monde est soumis aux puissances du mal, mais n’est pas mauvais en soi (cf Fondements de la vie spirituelle). La mission du christianisme consiste justement à délivrer le monde de l’esclavage du mal.

Le chrétien doit défendre une position modérée, à la fois sensée et réaliste. L’Église ne peut s’identifier au monde, car, dit l’épître aux Hébreux, nous chrétiens, « la cité que nous avons ici-bas n’est pas définitive, nous attendons la cité future » (Heb 13, 14). Dans le même temps, l’Église ne peut se distancier du monde, car elle est envoyée dans le monde pour lui annoncer la Parole du salut. Être dans le monde sans être du monde, telle est la vocation de l’Église. Tout en restant fidèle à ses sources divines et à sa tradition bimillénaire, l’Église est en même temps appelée à être contemporaine (« avec son temps, de son temps »), bien plus, à aller de l’avant et à tirer les hommes après elle. Cette vocation est prophétique et en y obéissant, l’Église doit tenir compte du monde contemporain lorsqu’elle annonce la Parole du Christ « qui ne passera pas » (Mt 24, 35) et pour cela lui parler une langue qu’il puisse comprendre. Nous, chrétiens, ne pouvons pas idéaliser le passé, le temps où l’Église disposait d’une réelle autorité dans la socitété européenne, et condamner notre époque qui a subi d’importants changements culturels et socio-politiques. Notre foi nous invite à agir dans les conditions actuelles, nous inspirant avant tout du don de discernement, qui permet d’évaluer correctement différents phénomènes.

  1. L’époque du postmodernisme

L’une des caractéristiques du monde contemporain est la globalisation, provoquée principalement par le développement intensif des moyens de communications. Grâce à eux, les régions les plus éloignées du monde se sont rapprochées, les gens ont instantanément accès à un immense volume d’information. Au premier abord, il semble que l’humanité se transforme en une grande famille, habitant le même « village global ». Dans le même temps, le processus de globalisation entraîne paradoxalement une exacerbation évidente des problèmes entre les différentes régions du monde, provoquant conflits internationaux et choc des civilisations. Le fossé séparant le Nord développé et le Sud en voie de développement devient de plus en plus apparent, bien que cette opposition paraisse parfois trop schématique. Elle n’est pas seulement socio-économique, mais porte également sur la notion de civilisation. Si le Nord, par exemple, soit l’Europe et l’Amérique du Nord sont à l’âge du postmodernisme dans le domaine culturel, les pays d’Afrique et d’Asie, au contraire, vivent suivant d’autres modèles culturels.

L’époque du postmodernisme, qui débute, suivant la chronologie convenue, avec la catastrophe humanitaire des deux guerres mondiales, a vu la réalisation de la prophétie de F. Nietzsche sur « la mort de Dieu ». Depuis le processus de sécularisation, qui s’est poursuivi durant toute l’époque contemporaine, Dieu a cessé d’être le principe fondateur de l’existence dans la conscience collective des européens d’aujourd’hui. Le philosophe et théologien américain contemporain T. Altizer définit ainsi notre époque d’un point de vue religieux : « Les périodes de notre histoire où la conscience de la Divinité confinait à l’évidence, où la certitude morale d’une providence divine raisonnable sont définitivement révolues. Le nom de Dieu n’est déjà plus au centre de la vie et de la connaissance, il est prononcé à la périphérie, dans ces situations extrêmes où science et expérience sont impuissantes. Dieu devient de plus en plus pour nous le nom d’un mystère total et absolu, d’un mystère en présence duquel nous ne pouvons ni agir, ni parler[1] ».

En même temps que la « mort de Dieu », nous observons dans la conscience des masses la fin de l’anthropocentrisme. Si la place de Dieu au centre du monde, dans les idéologies des temps modernes a été occupée par l’homme, avec sa foi optimiste dans la science et le progrès, l’expérience tragique du XXe siècle, avec ses innombrables victimes humaines, a causé la fin de cette croyance optimiste. Comme l’écrivait Dietrich Bonhoeffer, « l’absolutisation de l’idéal de liberté mène l’homme à l’autodestruction. Le nihilisme est au bout du chemin sur lequel nous marchons depuis la révolution française[2]. » En même temps que les idéologies totalitaires, dont le communisme a été la dernière, l’homme moderne rejette toute tentative d’expliquer le monde, il nie la possibilité même de la vérité. Ainsi, l’homme postmoderne est-il un homme déçu. Il a renoncé à toute grande idée au nom de laquelle il aurait pu donner sa vie. Et sa vie a perdu tout sens. L’univers de l’homme contemporain, gravite autour de la liberté individuelle et des intérêts personnels, son but principal étant de consommer. Le principe du plaisir, dont s’inspire l’homme postmoderne est venu remplacer les impératifs religieux et moraux.

Le nihilisme contemporain comme négation d’un Dieu qui limiterait la liberté humaine, et comme négation de l’homme qui a renié Dieu au nom du progrès, ne propose aucune alternative, il se présente comme un vide. Ce vide peut et doit être trouver un contenu positif, correspondant à la nouvelle époque. Notre temps, suivant un sociologue contemporain, « rend possible le retour à grande échelle des valeurs religieuses. Le vide sans Dieu peut se transformer en vide pour Dieu[3] ».

  1. L’alternative chrétienne

Comme l’a démontré l’expérience de la Russie et d’autres pays d’Europe orientale longtemps soumis à une idéologie totalitaire, le christianisme peut proposer à l’homme moderne, sans illusion sur quelque système idéologique que ce soit, une réelle alternative. Il peut l’aider à trouver un sens nouveau et véritable à sa vie. Certains, déçus par les idéaux soviétiques, se sont simplement mis à suivre les normes de la société de consommation ; beaucoup d’autres sont venus à l’Église et ont trouvé dans l’Évangile cet idéal véritable qu’avaient remplacé des idéaux mensongers. L’expérience concrète de l’Église orthodoxe russe témoigne de ce que le christianisme peut répondre aux questions existentielles de l’homme, sans rejeter les acquis des temps modernes comme la liberté de la personne humaine et les droits de l’homme, mais en les ramenant à leurs racines chrétiennes et en leur communiquant par là-même une plus grande valeur.

Au contraire, il serait profondément erroné d’adapter les vérités chrétiennes aux représentations instables de l’époque moderne sous le prétexte fallacieux que cette adaptation servirait la mission chrétienne. Force est de constater avec regret que certaines confessions chrétiennes se sont engagées sur cette voie. En appliquant à leurs communautés des phénomènes typiques du postmodernisme et par nature totalement séculiers, ils deviennent par là partie intégrante de la culture pluraliste postmoderne, incapables de proposer à l’homme contemporain une vraie alternative spirituelle.

J’aimerais énumérer dans leurs grands traits les vérités fondamentales du christianisme dont, suivant ma profonde conviction, a besoin l’homme de la culture postmoderne. La doctrine chrétienne n’est pas une de ces idéologies abstraites qui indisposent tant nos contemporains. Le christianisme est extrêmement concret, parce qu’au centre de son enseignement se dresse la Personne Vivante, le Dieu-Homme Jésus Christ. En lui, Divinité et humanité demeurent en harmonie, sans aucune restriction à la nature humaine. Les Pères de l’Église envisageaient le mystère de l’Incarnation divine dans toute sa paradoxale profondeur et sa radicalité. « Tout le mystère du salut, écrit saint Cyrille d’Alexandrie consiste dans la kénose et l’anéantissement du Fils de Dieu ». Dans la kénose divine, la liberté humaine et la dignité humaine, si chères au cœur de l’homme moderne, acquierent un sens éminent. En Christ, la volonté divine cesse d’être une loi extérieure à l’homme qui devient le libre collaborateur de Dieu dans la transfiguration du monde. Ainsi, avec la christologie, la doctrine de l’homme, de sa dignité et de ses droits reçoit enfin son plein développement et la tâche de la mission chrétienne contemporaine dans les pays d’Europe et d’Amérique consiste justement à transmettre aux hommes cette doctrine.

Le christianisme ne se contente pas de poser en théorie le postulat du principe de liberté humaine en Christ : il le vit pleinement dans la liturgie, et c’est là sa force. Dans la vie liturgique communautaire, l’homme trouve une alternative à l’individualisme des villes contemporaines. Dans le sacrement de l’Eucharistie, il revit chaque fois l’union avec le Christ ressuscité, source d’une existence nouvelle. Dans cette unité réelle et non imaginaire, l’homme reçoit la faculté non seulement de vivre en conformité avec les valeurs chrétiennes, mais aussi d’être leur porteur et donc de témoigner activement du Christ au monde qui l’entoure. Au siècle hautement technique des mass media visuels, ce n’est plus la parole, mais l’exemple visible qui a le pouvoir de convaincre nos contemporains.

L’efficacité de cet exemple dépend de chaque chrétien, et ils sont appelés à unir leurs efforts pour que les populations des continents européen et américain puissent à nouveau découvrir la vérité éternelle du christianisme.

  1. Le dialogue interchrétien

Face aux tâches de la mission chrétienne dans le monde contemporain, l’absence d’unité entre chrétiens est un scandale pour le monde entier et pour nos Églises. Néanmoins, et ce fait positif mérite d’être souligné, le dialogue interchrétien se développe à différents niveaux et dans différents domaine. Avant tout, j’aimerais souligner les perspectives du dialogue entre orthodoxes et catholiques. L’élection de Benoît XVI au pontificat lui a donné une nouvelle impulsion. Avec son sens aigu et profond de la théologie, sa connaissance approfondie de la tradition orthodoxe, le pape est ouvert au dialogue avec les Églises orthodoxes, il a beaucoup fait et continue à faire pour l’unité des chrétiens.

Nos relations avec l’Église catholique romaine se développent en parallèle dans plusieurs directions. C’est d’une part, le dialogue théologique, qui se poursuit depuis plusieurs décennies. Nous discutons des points qui nous séparent, comme l’uniatisme ou la primauté de l’évêque de Rome. Nous espérons que cette discussion aidera les deux parties à comprendre que la voie du rétablissement de l’unité passe par le retour à la foi de l’Église du premier millénaire. Alors aussi des divergences d’ordre théologique ou ecclésiologique, des différences de rite existaient, mais les chrétiens parvenaient à conserver l’unité.

Il serait bon que nous collaborions plus, non seulement en théologie, mais aussi dans des domaines concernant directement la vie de nos fidèles. Beaucoup d’entre eux perçoivent le dialogue théologique comme strictement académique. Si nous discutons seulement des thèmes théologiques qui nous séparent et que nous avons hérité du passé, nous ne parviendrons pas à un accord dans l’avenir. Il existe de multiples possibilités pour la collaboration dans les domaines qui nous unissent déjà. Si nous parlons de l’orthodoxie et du catholicisme, nous ne pouvons pas ne pas remarquer que nos conceptions sociales sont très proches, que la doctrine morale des catholiques et celle des orthodoxes sont pratiquement identiques. Nous pouvons faire et dire beaucoup ensemble, sans attendre le moment où nos divergences seront surmontées. Ainsi pouvons-nous parler au monde de la famille chrétienne traditionnelle, de la valeur de la vie humaine, qui ne doit pas être interrompue dès l’instant de la conception dans le sein de la mère jusqu’au dernier jour.

Aujourd’hui, l’Église orthodoxe éprouve de plus en plus de difficultés à poursuivre sa collaboration avec les différentes dénominations protestantes. J’ai peine à en parler, mais aujourd’hui le dialogue que nous avons conduit avec les protestants durant des décennies est menacé à cause des processus que nous observons dans les communautés protestantes d’Occident et du Nord. Je pense à la liberalisation continue dans le domaine de la théologie, de l’ecclésiologie et de la morale.

Nous sommes tous très las des belles paroles et des déclarations. Il faut parler franchement entre nous de ce qui nous préoccupent. Nous devons garder à l’esprit la tâche qui est la nôtre, la nécessité de l’unité chrétienne. Pourquoi cette tâche est-elle si essentielle ? Parce que chaque jour qui nous sépare nous prive des possibilités que nous aurions si nous étions unis. Aujourd’hui, des milliers de jeunes gens meurent parce qu’ils n’ont pas compris à quoi bon vivre, et nous ne le leur avons pas suggéré. Ils meurent de la drogue, de l’alcool ou du SIDA. Ensemble, nous aurions pu faire beaucoup plus pour eux. Nous devons réfléchir aux réels besoins des gens. En dehors du problème de la sécularisation souvent agressive des pays d’Europe et d’Amérique, la persécution des chrétiens qui se poursuit dans de nombreuses régions du monde devient un problème de plus en plus urgent.

5. Les persécutions contre les chrétiens et la christianophobie

Ces derniers temps, la montée alarmante des persécutions religieuses est devenue symptomatique de notre époque. Les chrétiens sont les premiers visés. A l’heure actuelle, ce terrible phénomène défie non seulement le christianisme mondial, mais encore toute l’humanité civilisée. Les chrétiens sont pourchassés au quotidien en Égypte, en Irak, en Inde, au Pakistan, en Indonésie, dans certains pays d’Asie et d’Afrique. En dehors des flux massifs de réfugiés dont parlent régulièrement les médias, il existe encore un problème dont personne ne veut parler : la dégradation de la société qui retourne à un stade primitif de haine et d’autodestruction.

Le Conseil de l’Europe a pris en janvier une résolution sur la christianophobie, plusieurs autres états européens ont suivi cet exemple, mais cela a-t-il influé sur la situation des chrétiens dans les pays que je viens de citer ? Malgré l’escalade de violence sans précédent contre les chrétiens d’Égypte au début du mois d’octobre, aucun pays d’Occident n’a fait véritablement pression sur le pouvoir militaire temporaire en place dans ce pays, personne n’a menacé de prendre des sanctions économiques. Les images qui ont choqué le monde entier, où l’on voit les militaires du Caire sur des blindés chargeant une pacifique manifestation copte, tirant sur des gens désarmés, restent hors du champ des préoccupation des politiques. Le discours du ministre égyptien de la sécurité, qui a nié le fait du recours aux armes contre les manifestants coptes n’a pas non plus été apprécié à sa juste valeur, pas plus que l’information sur la falsification du nombre des victimes et le type de blessures reçues. L’Église est en droit d’interroger le gouvernement de ses pays : jusqu’à quand ? Pourquoi leurs intérêts économiques dans ces pays leur sont-ils plus chers que la vie de milliers d’innocents tués uniquement parce qu’ils croient au Christ ?

Le christianisme, malgré son morcellement, est aujourd’hui obligé de s’unir pour défendre nos frères et sœurs souffrant dans différentes régions. Si Sans quoi, nous perdrons un peu plus de notre crédibilité aux yeux du monde. Au contraire, en défendant les nôtres, nous affermissons nos positions, nous resserrons les rangs, nous nous rapprochons les uns des autres.

J’évoquerais ici aussi un autre phénomène, généralement dénommé christianophobie. Le sécularisme occidental, malgré son pluralisme et sa tolérance déclarés fait preuve d’intolérance envers le christianisme. Nourri de puissants moyens financiers, le sécularisme agressif fait tout pour discréditer l’Église, effacer le nom du Christ de la mémoire du peuple, niveler les principes de morale et de culture façonnés par le christianisme.

Le sécularisme agressif prend pour cible toutes les Églises, sans se préoccuper de leurs différences théologiques et liturgiques. Il tourne en dérision la conscience religieuse en tant que telle, se moque de la morale, popularisant le relativisme éthique et l’indifférentisme. C’est pourquoi nous devons aujourd’hui comme jamais être solidaires et unis, collaborant activement et nous soutenant mutuellement.

6. Perspectives et objectifs

Comment les chrétiens d’aujourd’hui peuvent-ils résister à semblables conception et à l’offensive du sécularisme ? L’Écriture sainte parle clairement de l’apostasie (II Tes 2, 3) qui aura lieu, « mais il faut d’abord que la Bonne Nouvelle soit proclamée à toutes les nations » (Mc 13, 10). Nous vivons à une époque d’apostasie, les gens perdent la foi et l’amour parce que leur cœur est plus attaché aux biens terrestres, au confort, à l’aisance, aux plaisirs. Que faire dans cette situation ?

L’Église n’appartient pas à ce monde, et sa mission d’annonce de l’Évangile ne doit pas être évaluée suivant les critères de ce monde, d’après les notions de succès ou d’échec. Si le nombre des chrétiens diminue, par exemple, en Europe occidentale, ils sont de plus en plus nombreux en Afrique, en Asie, en Amérique du Sud et dans différents pays d’Europe occidentale. Il faut s’efforcer de comprendre ce qui attire les gens au christianisme dans ces régions et comparer leurs motivations avec celles des européens qui s’éloignent aujourd’hui de la foi. Il nous faut avoir le courage de reconnaître que le développement historico-culturel de la civilisation occidentale est dans une impasse précisément parce qu’elle a renié le christianisme et rejeté ses valeurs. Nous ne savons plus nous réjouir, nous nous croyons malheureux parce que l’axe de nos intérêts est limité exclusivement aux biens terrestres qui, cependant, du fait même de leur temporalité sont incapables de communiquer à l’homme bonheur, joie ou plaisir.

L’exemple des chrétiens coptes et irakiens, qui versent leur sang pour leur foi et sont persécutés, est particulièrement édifiant, pour nous européens. Beaucoup d’entre eux ont quelque chose à perdre, beaucoup de chrétiens de ces pays occupaient une place en vue, certains d’entre eux sont riches. Pourtant, la foi et l’identité conservent pour eux leur primordialité. Beaucoup d’entre nous, à la fin des années 80 et au début des années 90 du siècle dernier doutions de ce que les populations des anciennes républiques de l’Union soviétique reviendraient à la foi de leurs pères. C’est pourtant ce qui s’est produit. Pourquoi ? Grâce à l’héroïsme spirituel des nouveaux-martyrs et des confesseurs russes demeurés fidèles au Christ jusqu’à la fin, j’en suis convaincu.

Ainsi, la civilisation occidentale contemporaine s’enfonce dans une impasse dont ni la science, ni un management efficace, ni les technologies ne sauraient la tirer. La crise de la société n’est pas un phénomène objectif, elle part d’une crise spirituelle de la personne restée sans Dieu avec ses problèmes insolubles et ses questions. La crise de la personne réside dans le déplacement de l’image de Dieu à la simple individualité. L’homme a perdu son visage, il est devenu une unité abstraite de la société de consommation avec un certain nombre de besoins. Le témoignage chrétien doit traverser comme un rayon de lumière l’épaisseur des amoncellements intellectuels des dernières époques. Il doit parler à l’homme-personne, redire toute la dimension unique de chacun d’entre nous, en d’autres termes, remettre l’homme sur le piédestal sur lequel l’avait placé le sublime mystère de l’Incarnation divine.

Les chrétiens doivent aujourd’hui remplir une mission essentielle, qui semble même impossible : tirer la civilisation contemporaine, dite « postchrétienne » de la crise. L’histoire nous enseigne que les civilisations se composaient de façon organique, par la collaboration créatrice et la coopération de personnalités concrètes. La religion, cette aspiration mystique des peuples qui embrasse toutes les sphères de la vie d’une société, définissait immédiatement toute civilisation. L’histoire ne connaît pas de civilisations sans religions. L’impulsion morale ne peut s’incarner concrètement que dans la sphère religieuse qui en est la source.

Les Églises chrétiennes, en premier lieu l’Église orthodoxe et l’Église catholique, ainsi que les Églises orientales chrétiennes doivent aujourd’hui s’allier et agir de concert. Nous devons absolument former une alliance des Églises de tradition apostolique, nous permettant de discuter ensemble des problèmes et des défis du monde contemporain. Il faut également créer des structures d’information informelles, qui proposeraient une information objective, vérifiée et régulièrement mise à jour sur les évènements intéressant les destinées de l’Église et du monde. Les formes traditionnelles de collaboration entre les Églises sont aujourd’hui insuffisantes, nous devons aspirer à nous rapprocher, et il faut commencer par l’essentiel, travailler ensemble à la défense des chrétiens et de l’héritage chrétien.


[1] Long gone are those periods in our history when it was possible to have an innate sense of the actual identity of God, or a moral assurance as to the purpose or providence of God. No longer is the name of God evoked at the center of life and understanding; it is now spoken only at the peripheries, in those boundary situations where understanding and experience break down. God has increasingly and ever more comprehensively become for us a name of total and ultimate mystery, a mystery in the presence of which we can neither act nor speak (T. J. J. Altizer, The Descent into Hell. A Study of the Radical Reversal of the Christian Consciousness, The Seabury Press, N.-Y. 1979, р. 98).

[2] L’ideale assoluto della liberazione conduce l’uomo all’autodistruzione. Alla fine della via per la quale ci si è incamminati con la rivoluzione francese si trova il nichilismo)» (D. Bonhoeffer, Etica, Milano 1969, p. 86).

[3] Il nostro tempo “lascia aperta anche l’ipotesi di un ricupero su vasta scala dei valori religiosi... Il vuoto di Dio può trasformarsi in vuoto per Dio” (G. Morra, Il quarto uomo. Postmodernità o crisi della modernità? Roma 1996, p. 127)

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