Le métropolite de Philippopolis Niphon : La vie en Russie est une école permanente
Le représentant du patriarche d’Antioche auprès du patriarche de Moscou et de toute la Russie, a donné une interview au site de la Représentation de l’Église orthodoxe russe à Beyrouth.
- Monseigneur, la Représentation de l’Église orthodoxe russe au Liban fête son 75e anniversaire en 2021. Des célébrations sont prévues pour la fin de l’année. Quel bilan feriez-vous de l’activité de la Représentation de l’Église orthodoxe russe, en quoi est-elle importante pour les rapports entre nos Églises sœurs ?
- Cette présence spirituelle ne peut être comparée à aucune autre. La Représentation à Beyrouth, c’est l’Église russe au Liban, de même que notre Représentation à Moscou est l’Église d’Antioche en Russie. Il est vraiment remarquable qu’une Représentation ait été fondée ici. Elle permet de découvrir la vie spirituelle de l’Église russe, la vie de la Russie, les Russes. La même découverte a lieu à Moscou, mais avec l’Église d’Antioche, par l’intermédiaire de sa Représentation.
Certes, beaucoup de choses ont changé, il suffit d’appuyer sur un bouton pour découvrir le monde entier d’un seul geste. A l’époque, il fallait témoigner d’une façon ou d’une autre de l’amitié du peuple russe pour les chrétiens d’Orient, de l’amour de l’Église d’Antioche pour la Russie, pour le Patriarcat de Moscou. Beaucoup dépendait et dépend encore de celui qui remplit les fonctions de représentant d’une Église, parce que la contribution personnelle, la fidélité à sa mission jouent un rôle immense. Autrefois, les relations entre Églises s’entretenaient grâce aux conversations téléphoniques de ses représentants ; aujourd’hui, les choses sont différentes et il n’y a plus autant besoin d’intermédiaire. Mais la présence spirituelle reste très importante.
Voyez quelle magnifique liturgie nous avons célébré avec le père Philippe (l’archimandrite Philippe Vassilitsev, recteur de la Représentation de l’Église orthodoxe russe à Beyrouth) pour l’Annonciation ; tous étaient présents à cette fête de l’Église russe. Quand nous sommes à Moscou, nous ajoutons un peu de la beauté spirituelle de l’Orient.
- Nous vivons des temps difficiles ; à cause du coronavirus, beaucoup de choses ont changé dans le quotidien de l’Église. Quelle est la position de l’Église orthodoxe d’Antioche sur ce défi véritablement planétaire ?
- C’est, effectivement, un défi. Quelque chose de semblable s’est produit à Constantinople au Ve et au VIIe siècles. Et il n’y a pas si longtemps, dans différents pays, des maladies ont coûté la vie à des millions de personnes. Mais la pandémie de coronavirus qui se poursuit actuellement est un défi immense pour nous. Il faut prier et remercier Dieu de ce qu’Il nous envoie. C’est l’occasion de réfléchir : ne manque-t-il pas quelque chose à notre vie ? Faut-il revenir à la vérité ?
Nous prions, naturellement. Notre patriarche nous a appelés à réciter une prière spéciale. L’Église orthodoxe d’Antioche partage la douleur de son peuple, des peuples du monde.
Vous savez qu’à cause de cette maladie nous avons perdu des évêques, des archimandrites, des prêtres. L’Église russe en a perdu aussi. Nous prions le Seigneur de faire reposer leurs âmes avec les esprits des justes.
L’essentiel est de comprendre qu’il n’y a pas de contradiction entre le respect des prescriptions sanitaires et notre spiritualité. Aucune contradiction. Il faut respecter ce qui est prescrit par l'État, et s’abstenir d’écouter ce que disent certaines personnes ayant tendance au fanatisme.
Le Seigneur sauve. En même temps, si je ne sais pas nager et que je me jette à la mer en disant : « le Seigneur sauve », ça ne va pas. Il faut avoir une notion juste de la spiritualité.
- Vous êtes recteur du métochion antiochien et représentant de l’Église orthodoxe antiochienne auprès du patriarche de Moscou et de toute la Russie depuis 1978. On peut dire que vous êtes le doyen des représentants des Églises orthodoxes auprès du siège patriarcal moscovite. Parlez-nous des activités de votre Représentation. Quels sont vos souvenirs les plus forts de votre ministère en Russie ?
- Je pourrais en parler pendant des heures, ce serait toujours peu. La Russie n’est pas seulement un grand pays, une grande nation. Dans l’Église orthodoxe russe, le peuple est profondément religieux. J’ai appris et j’ai vu beaucoup de choses qui m’ont édifié durant toutes ces années, et pas seulement dans le domaine de la foi et de la vie spirituelle : je pense aussi au patriotisme, au rapport à la personne. L’essentiel est que la vie en Russie est pour moi une école permanente. Bien qu’il y ait eu beaucoup d’épreuves.
Je suis arrivé en Russie en 1977, dans un état socialiste... Vous savez que tout était interdit. Je mariais, je baptisais et, en s'appuyant sur la Constitution, je ne fournissais pas à l'État l’identité de ceux que je mariais et que je baptisais. Les autorités étaient forcées de respecter ma position, car j’étais étranger, et ils avaient peur... Naturellement, je n’étais pas venu pour lutter contre quoi que ce soit, ce n’était pas mon objectif. J’avais été nommé recteur du métochion à Moscou pour renforcer les liens entre nos Églises. C’est à cela que je travaillais. J’ai aussi aidé le clergé et l’épiscopat de l’Église russe, ils me faisaient passer des lettres avec des demandes de mariage ou de baptême.
Quand j’apportais ainsi mon aide, je m’humiliais encore plus, me souvenant de ce que l’Église russe avait fait pour nous au XIXe siècle, lorsque nous étions en position de faiblesse : un métochion avait été ouvert pour fournir de l’aide à notre Patriarcat. J’estimais que nous étions redevable au peuple russe, à l’Église russe. C’est ainsi que je vivais. C’était un sérieux défi, une grosse épreuve.
C’est l’ambassadeur de Malte qui m’a aidé à organiser un premier dîner de charité à Moscou. La première école du dimanche de l’Union soviétique a ouvert à la Représentation antiochienne.
J’ai pu rencontrer les leaders de l’Union soviétique : L. Brejnev, Y. Andropov, K. Tchernenko, M. Gorbatchev, parce que j’étais toujours à l’aéroport avec les ambassadeurs des pays du monde arabe quand on accueillait les dirigeants de ces pays en visite officielle : S. Hussein, A. Sadat, M. Kadhafi. Je les ai rencontrés et les ai salués. Cela m’a rapproché un peu plus de l’Église russe et des patriarches russes défunts : Pimène et Alexis II. Le fait que j’ai eu cette possibilité ne signifie pas que j’avais une position privilégiée : le Seigneur m’a béni en me donnant d’être membre de la famille diplomatique arabe, c’est pourquoi j’ai pu rencontrer ces dirigeants.
Et j'étais sans doute l'unique ecclésiastique à circuler dans Moscou en soutane. Tout le monde était gentil avec moi, on me souriait, y compris les athées et les communistes. Ils m’ouvraient leur bureau de service à l'hôtel « Métropole », à l'hôtel « Rossia », à l’hôtel « Ukraine ».
Je vous dirai que je suis particulièrement reconnaissant à ce peuple. Et surtout, la vie en Russie reste pour moi une école permanente.