Allocution du métropolite Hilarion de Volokolamsk devant les étudiants de l’Institut d’Études politiques de Paris
Chers invités,
Je suis heureux de vous accueillir au Département des relations extérieures du Patriarcat de Moscou. Nous nous trouvons au sein du monastère Saint-Daniel, le premier monastère élevé sur le sol moscovite. J’espère que votre voyage de découverte vous permettra d’élargir sensiblement vos connaissances sur notre pays et son peuple, avec ses traditions et ses coutumes. Quant à moi, j’aimerais vous parler de la situation actuelle de l’Église orthodoxe russe, de sa mission à l’intérieur du pays et de ses travaux à l’échelle internationale.
Vie et mission de l’Église orthodoxe russe sur le territoire national
Aujourd’hui l’Église russe rassemble plus de 150 millions de fidèles dans plus de 60 pays du monde. Notre Église compte 164 diocèses, 217 évêques diocésains et vicaires épiscopaux, plus de 30 mille clercs. 30675 paroisses et 805 monastères sont actuellement en activité. Un certain nombre de diocèses de l’Église russe se trouvent hors du territoire canonique du Patriarcat de Moscou. Paris, par exemple, est la chaire du diocèse de Chersonèse, dans la juridiction duquel entrent également des paroisses russes situées dans d’autres pays européens.
L’Église orthodoxe russe joue un rôle important dans la vie de la société, non seulement en Russie, mais aussi en Ukraine, en Biélorussie, en Moldavie et dans d’autres pays confiés à sa responsabilité pastorale. Elle a pris une part active à tous les processus historiques du dernier millénaire. La foi orthodoxe a été le fondement de la culture nationale, de l’instruction, des structures sociales et familiales, du mode de vie des individus. L’Église russe a toujours fait corps avec son peuple.
Je remarquerais que l’histoire des relations entre l’Église et l’état dans notre pays est relativement complexe. Elle a connu des époques d’harmonie symphonique et d’hégémonie du pouvoir civil sur le pouvoir spirituel. Vous savez sans doute que la période la plus tragique de ces relations coïncide avec l’époque soviétique, qui a duré plus de soixante-dix ans. Les autorités soviétiques s’étaient donné pour objectif d’anéantir la religion, s’efforçant d’éradiquer la foi du sein de la société.
Beaucoup a changé depuis la chute du régime soviétique et l’abandon du monopole idéologique de l’athéisme. Aujourd’hui, l’Église russe est libre. Comme jadis, elle œuvre au salut des âmes et, à cet effet, elle a sensiblement élargi le cadre de sa mission. L’Église ne se contente plus désormais de prêcher en chaire, elle prend une part active à la vie de la société.
L’instruction et l’éducation de la génération montante sont un des grands domaines dans lequel l’Église et l’état s’efforcent de travailler en commun. Ces dernières années ont permis d’accumuler une certaine expérience, mais des difficultés subsistent néanmoins. Aujourd’hui, un certain nombre de régions de Russie ont tenté l’expérience de l’enseignement de la « Culture orthodoxe », dans le cadre d’une nouvelle matière du programme « Culture spirituelle et morale ». Les élèves se voient présenter au choix l’étude d’une des cultures religieuses traditionnelles (orthodoxe, musulmane, juive et bouddhiste) ou de l’éthique civile. Cette matière culturologique favorise l’éducation civique des enfants, vise à prévenir les conflits internationaux et interreligieux.
Les fidèles orthodoxes de Russie (de même que les représentants d’autres religions traditionnelles) ont droit à un soutien spirituel, qu’ils fassent leur service militaire, soient hospitalisés ou incarcérés. Une loi entrée en vigueur en 2010 stipule que les membres du clergé de notre Église, de même que les mullas et les rabbins, sont titularisés à l’intérieur des unités militaires en tant qu’assistants du commandant, chargés du travail éducatif. Ils perçoivent en tant que tels une rémunération permanente. L’Église est donc confrontée à une nouvelle tâche, la préparation d’aumôniers militaires. L’Église orthodoxe russe insiste sur le fait que les aumôniers ne doivent pas être officiers de l’armée, ni être subordonnés au commandement militaire. Ils doivent remplir une fonction exclusivement pastorale auprès des soldats et des officiers orthodoxes.
Notre Église s’engage activement dans la discussion et la recherche de solutions aux grands défis de notre société, menaçant sa santé morale, sa sécurité et son intégrité. Elle attire l’attention sur le danger de la propagation des sectes religieuses. Ces 20 dernières années, de multiples victimes des « nouveaux mouvements religieux » se sont tournées vers l’Église. Ces personnes souffrent de traumatismes psychologiques ou moraux ou racontent avoir été escroqués par les leaders de ces mouvements. Certains de ces groupes n’hésitent pas à employer des techniques psychologiques dangereuses, ne dédaignent pas de recourir au mensonge crapuleux. Leurs objectifs n’ont rien de religieux et sont strictement lucratifs. Les efforts « marketing » agressifs de ces nouveaux prédicateurs sont dans la plupart des cas étrangers à notre culture, de même que leurs méthodes grossières d’imposition de leurs convictions, qui ne font qu’agacer le public. La plupart des pays du monde se sont dotés d’organismes sociaux œuvrant à la critique des activités de ces groupes.
L’extrémisme religieux et le terrorisme sont l’un des problèmes majeurs de notre temps, à l’échelle mondiale. Malheureusement, notre pays se trouve être un des foyers d’activité terroriste à dimension religieuse. Je dois cependant remarquer qu’aucune doctrine religieuse traditionnelle n’appelle ses disciples à employer la violence et le meurtre dans un objectif missionnaire. Je suis convaincu qu’il n’y a pas de terrorisme religieux, il n’y a que des gens malhonnêtes et intéressés cachant leurs véritables objectifs sous couvert de motivation religieuse. Le danger de ce phénomène tient à ce que le fidèle est incité à se sacrifier soi-même et à sacrifier d’autres vies au nom de ce qui lui semble un but plus élevé. Les promoteurs du terrorisme lui suggèrent qu’il sera martyrs (chahîd) et qu’il recevra sa récompense dans l’au-delà. Il s’agit d’une exploitation mensongère et malintentionnée des sentiments religieux des croyants. Le récent et atroce attentat de l’aéroport « Domodedovo » ne fait que confirmer cette définition.
Activité extérieure de l’Église orthodoxe russe
L’Église orthodoxe russe ne limite pas son activité à l’intérieur des frontières nationales, elle est également active sur la scène internationale. Ces dernières obligations sont confiées au département synodal dans lequel vous vous trouvez actuellement. Le Département des relations extérieures a été fondé par le Saint Synode de l’Église orthodoxe russe le 4 avril 1946. Le Président de ce département, de par sa fonction, est membre permanent du Saint Synode, du gouvernement de l’Église en quelque sorte.
L’une des priorités du Département est la collaboration et l’échange fraternel avec les autres Églises orthodoxes locales. Ses autres domaines d’activité sont les relations avec les églises et communautés hétérodoxes, avec les organisations chrétiennes internationales, avec les institutions gouvernementales, politiques et civiles des pays étrangers, avec les organismes internationaux, ainsi que le dialogue inter-religieux et la coopération avec nos compatriotes résidant hors des frontières du territoire canonique du Patriarcat de Moscou.
Nous maintenons des contacts plus ou moins intensifs avec chacune des 14 Églises orthodoxes locales. Les représentants de ces Églises se rencontrent régulièrement, afin de débattre différentes questions d’interaction. L’objectif de cette coopération est de préserver l’union de l’Orthodoxie universelle, d’échanger dans un esprit fraternel sur les questions relatives à l’organisation de la vie de l’Église dans la diaspora, à la délimitation des frontières de la responsabilité pastorale des Églises, au mode et à l’ordre de l’octroi de l’autocéphalie. Je suis rentré il y a quelques jours de Chambésy (Suisse), où j’ai participé à la session de la Commission préparatoire inter-orthodoxe, qui s’est penchée sur plusieurs de ces thèmes.
Un autre volet important de notre politique extérieure est la coopération avec l’Église catholique romaine. Ces dernières années, nos relations se sont sensiblement réchauffées. Ceci concerne aussi bien les relations du Patriarcat de Moscou avec le Saint-Siège, que les relations avec les communautés catholiques de certains pays en particulier. Nos relations avec l’Église catholique de France en sont un bon exemple, celle-ci ayant entre autres soutenu la création d’un séminaire orthodoxe dans la banlieue parisienne.
L’Église orthodoxe russe participe aux travaux de la Commission mixte de dialogue théologique entre l’Église orthodoxe et l’Église catholique romaine, qui débat de l’une des questions les plus épineuses des relations entre orthodoxes et catholiques, celle du rôle de l’évêque de Rome. Cependant, nous sommes d’accord sur un certain nombre de questions de société. Nos Églises soutiennent des positions identiques sur la sécularisation, le libéralisme, la globalisation, l’éthique sociale et économique, la famille et la démographie. Des perspectives de collaboration à l’échelle des organisations internationales se dessinent.
Nous maintenons le contact avec les dénominations protestantes, bien que, malheureusement, nos relations se soient refroidies ces derniers temps avec un certain nombre d’entre elles. Dans le domaine de la théologie, de l’ecclésiologie et de la morale, en effet, certaines communautés protestantes se sont rangées aux côtés des tenants de l’idéologie séculariste. Plusieurs dénominations ont légalisé la bénédiction des « unions homosexuelles » et l’ordination d’individus déclarant ouvertement leur orientation sexuelle non-traditionnelle. Notre devoir est de témoigner devant les protestants, dans un esprit d’amour fraternel, de la tradition orthodoxe, des canons apostoliques régissant la vie des structures ecclésiastiques.
Nous accordons une grande importance au développement de la coopération avec les structures gouvernementales et politiques des pays étrangers. Notre collaboration avec les pays dont le gouvernement partage notre inquiétude devant la crise morale de la société, le relâchement des valeurs traditionnelles, le problème de l’injustice sociale, est particulièrement d’actualité. Notez que les états percevant le Patriarcat de Moscou comme un acteur digne et compétent du dialogue international sont de plus en plus nombreux.
Les relations avec les pays étrangers trouvent une continuation dans le dialogue avec la société civile. Nous avons aujourd’hui des relations constructives avec l’Allemagne, l’Italie et la Pologne ; nos relations avec les sociétés de Corée du Sud et de Turquie sont en plein développement.
Un autre pôle essentiel du travail du Département est le soutien à nos compatriotes vivant à l’étranger. Pour l’Église russe, le terme « compatriotes » ne recouvre pas seulement les ressortissants russes, mais des représentants de tous les peuples dont notre Église a la responsabilité pastorale, ukrainien, biélorusse, moldave et autres. Nos compatriotes vivant à l’étranger ont besoin de maintenir un lien permanent avec leur patrie, de conserver leur identité culturelle et nationale et leur langue, de développer la communauté diasporale, ainsi que de s’intégrer à leur pays d’adoption. La tâche de l’Église russe est de soutenir nos compatriotes avec les ressources dont elle dispose.
Un soin particulier est apporté au dialogue interreligieux. Bien des défis de la modernité, relatifs au processus de la globalisation, à la montée de l’extrémisme et du terrorisme, à l’écologie exigent une réponse commune des peuples, à laquelle nous parviendrons entre autres par la collaboration des religions traditionnelles. Avec les leaders des communautés religieuses traditionnelles, nous témoignons de l’importance des dimensions spirituelle et morale dans la vie sociale, de la nécessité de la coexistence pacifique des peuples, de la nécessité de préserver la nature.
L’Église orthodoxe russe entretient un dialogue aussi bien bilatéral que multilatéral, y compris sur le forum d’organisations internationales. Elle attire spécialement l’attention de la communauté mondiale sur l’absolutisation de la liberté humaine, la diffamation de la religion, la conservation des lieux de vénération religieuse.
L’Église orthodoxe russe est activement impliquée dans les processus de paix, en premier lieu sur le territoire des républiques de l’ex-URSS, dont la plupart font partie de notre territoire canonique. Ses efforts s’expriment aussi bien par l’organisation d’une aide humanitaire là où le besoin s’en fait sentir, que par des médiations à l’échelle internationale et un net positionnement civil contre le terrorisme, l’extrémisme et les agressions militaires.
L’école doctorale
L’Église orthodoxe russe attache une grande importance à la préparation de ses cadres scientifiques, administratifs et diplomatiques. En septembre 2009, l’école doctorale Saints-Cyrille-et-Méthode de l’Église orthodoxe russe a ouvert ses portes. Elle propose différents programmes : doctorat, candidat, maîtrise, formation permanente. Je suis le recteur de ce jeune établissement d’enseignement théologique. Dans le cadre de l’École doctorale existe également une Chaire des relations extérieures, qui prépare les futurs cadres de notre Département. Elle est une sorte de centre scientifico-analytique en développement, travaillant à l’interprétation des thèmes actuels de notre politique extérieure.
Dans toutes les chaires de l’École doctorale, nous avons fait de l’assimilation des langues étrangères un objectif essentiel. On y enseigne entre autres le français.