Le métropolite Hilarion de Volokolamsk : « L’uniatisme était et reste un projet spécial de l’Église catholique romaine pour la conversion des orthodoxes au catholicisme. »
Dans une interview accordée au journal National Catholic Register, le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou a parlé de l’importance du Concile panorthodoxe prévu pour 2016, de la situation en Ukraine, ainsi que des relations orthodoxes-catholiques aujourd’hui.
- Quelle importance revêt pour l’Église orthodoxe le Concile panorthodoxe prévu pour 2016 ? Est-ce un évènement similaire au Concile Vatican II dans l’histoire de l’Église catholique ?
- L’importance du Concile panorthodoxe tient à ce que depuis l’époque des Conciles œcuméniques, ce sera le premier concile auquel seront représentés l’ensemble des Églises orthodoxes reconnues aujourd’hui. Durant les douze siècles qui se sont écoulés, des conciles de différents niveaux avaient été convoqués. Ils rassemblaient des représentants de différentes Églises, mais il s’agira là du premier Concile commun à toute l’Orthodoxie pour toute la période. Ce Concile est le fruit d’un travail de longue haleine effectué par les Églises locales depuis plus de 50 ans. Il peut difficilement être comparé au Concile Vatican II car leurs programmes sont très différents. Par ailleurs, nous n’attendons pas du Concile panorthodoxe des réformes qui influeraient considérablement sur la vie de l’Orthodoxie.
- Le Patriarche Cyrille a dit que le Concile panorthodoxe devrait aborder des thèmes comme l’expulsion des chrétiens du Moyen Orient et d’Afrique du Nord, le culte de la consommation, l’érosion des fondements de la morale et de la famille, le clonage et la gestation par autrui. A quel point ces problèmes sont-ils importants pour vous, et souhaiteriez-vous que d’autres thèmes, l’unité avec l’Église catholique, par exemple, soient inclus à l’ordre du jour du Concile ?
- Ces déclarations de Sa Sainteté le Patriarche de Moscou reflètent la position de l’Église orthodoxe russe, qui estime nécessaire de compléter l’ordre du jour du Concile panorthodoxe en y incluant des thèmes importants pour la société contemporaine, exigeant une réaction de la part de l’Orthodoxie mondiale. Par ailleurs, il y a une liste de dix thèmes sur lesquels les Églises locales ont préparé des documents au cours des longues années de travaux préparatoires au Concile. Sur huit de ces thèmes, les Églises orthodoxes sont unanimes, et ces documents seront, après une légère rédaction finale, présentés à l’approbation du Concile. Parmi eux figure la position de l’Église orthodoxe sur la poursuite du dialogue avec les autres confessions chrétiennes, y compris le catholicisme.
- Pourquoi ce Concile est-il nécessaire, et pourquoi maintenant ?
- L’élaboration de mécanismes conciliaires au niveau panorthodoxe est souhaitable pour toutes les Églises locales. C’est ce qui a motivé dès le départ la participation commune de toutes les Églises à la préparation du Concile, qui a commencé en 1961 pendant la Conférence panorthodoxe sur l’île de Rhodes. Aujourd’hui cette longue préparation touche à sa fin, c’est pourquoi nous prévoyons de convoquer le Concile en 2016, si aucune circonstance imprévue ne vient l’empêcher.
- La politique russe en Ukraine a suscité de sérieuses protestations en Occident. Quelle est la position de l’Église orthodoxe ? La politique de l’Occident est-elle erronée sur cette question ?
- L’Église orthodoxe russe se compose de Russes, d’Ukrainiens, de Biélorusses et de représentants de nombreuses autres nationalités. L’unité spirituelle de nos peuples a subi l’épreuve du temps au cours des siècles. Ce ne sera sûrement pas la crise politique actuelle en Ukraine qui y changera quoi que ce soit. La position de l’Église orthodoxe russe ne peut dépendre d’aucune ligne politique : nos fidèles sont partisans de différentes opinions politiques, ils sont citoyens de nombreux états.
Plus nous sommes proches de Dieu, plus nous sommes proches les uns des autres : la foi en Christ et l’amour du Christ unissent, ils ne divisent pas. Nous n’avons jamais divisé nos fidèles en fonction de leur nationalité.
Le sang d’innocents répandu à Kiev en février dernier a été une tragédie pour l’Ukraine. La justice de Dieu comme la justice des hommes exigent une enquête immédiate et approfondie de cette catastrophe. Cependant, les hommes politiques ukrainiens ne partagent pas tous la même opinion sur cette question, comme d’ailleurs sur de nombreux autres problèmes concernant le sort de l’Ukraine et du peuple ukrainien. Dans cette situation, le rôle de l’Église n’est pas de parler fort, mais de prier et de compatir.
- Certains affirment que l’Église orthodoxe et l’état russe sont trop étroitement liés. Dans quelle mesure est-ce exact et en quoi ces relations affectent-elles la vie de l’Église et son intégrité (ou le contraire), en particulier lorsqu’il s’agit d’un problème comme la souveraineté de l’Ukraine ?
- L’Église orthodoxe russe et l’état russe entretiennent des relations de respect mutuel, fondées sur les principes de coopération et de non-ingérence dans les affaires internes l’un de l’autre. Mais notre Église entretient le même type de relation avec beaucoup d’autres états sur le territoire desquels elle exerce sa mission. L’Église est le corps du Christ, elle vit suivant les lois instituées par Dieu, suivantr les valeurs spirituelles et morales indiquées dans la Révélation Divine. Son ministère est concentré sur le soin de ses fidèles, la défense et la diffusion des principes moraux traditionnels dans la vie personnelle et la vie publique, l’éducation spirituelle.
L’Église orthodoxe russe et l’état n’interfèrent pas dans les affaires l’un de l’autre. Cependant, cela ne veut pas dire que l’Église peut être indifférente au développement de la situation en Ukraine. Kiev est le berceau du christianisme sur le sol de la Rus’ historique. L’Église orthodoxe ukrainienne, qui dispose d’une entière autonomie administrative, fait partie intégrante de l’Église orthodoxe russe locale. C’est pourquoi nous faisons de la douleur du peuple ukrainien croyant une douleur personnelle. Nous sommes profondément inquiets des manifestations d’agressivité envers nos frères et sœurs ukrainiens de la part d’extrémistes. En ces jours, nous prions pour que cesse au plus vite le conflit civil en Ukraine, pour que le peuple ukrainien revienne à une vie paisible.
- Vous avez fait beaucoup pour le développement des relations orthodoxes-catholiques. Quelles sont vos espoirs pour l’avenir ? Une rencontre entre le Pape et le Patriarche pourrait-elle avoir lieu sous l’actuel Pape François, où cette probabilité était-elle plus grande sous le Pape Benoît ?
- En effet, j’ai été amené à beaucoup travailler au dialogue avec l’Église catholique romaine, durant les années où je présidais le Secrétariat aux relations interchrétiennes du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou, ainsi que lorsque j’étais évêque de Vienne et d’Autriche et exerçait donc mon ministère dans un pays catholique, entretenant des relations avec les représentants de l’Église catholique en Autriche et en Hongrie. En tant que président du Département des relations ecclésiastiques extérieures, je me rends tous les ans à Rome, où j’ai rencontré d’abord le Pape Benoît XVI, puis l’actuel Pape François, ainsi que les dirigeants de différentes institutions de la Curie romaine.
Aujourd’hui, orthodoxes et catholiques sont confrontés à des problèmes similaires dans le monde, et nos positions coïncident dans une large mesure sur un certain nombre de questions.
Le dialogue orthodoxe-catholique se poursuit à plusieurs niveaux : au niveau panorthodoxe (dans le cadre de la Commission mixte pour le dialogue théologique entre l’Église catholique romaine et les Églises orthodoxes), comme sous un format bilatéral (le Patriarcat de Moscou dialogue avec les conférences épiscopales de plusieurs pays). Le dialogue théologique se poursuit depuis déjà plus de trente ans, et ses progrès sont évidents. De même qu’est évidente l’existence de divergences concrètes dans nos doctrines.
Aujourd’hui, bien qu’elle ne soit pas la seule, la question principale qui divise catholiques et orthodoxes est le problème de la primauté dans l’Église universelle. Jadis, la différence de compréhension sur cette question a été l’une des raisons de la division entre les Églises d’Occident et d’Orient. En Orient, le Pape de Rome était reconnu en tant que successeur de l’apôtre Pierre, et la chaire de Rome occupait la première place parmi les sièges patriarcaux, conformément aux décrets des Conciles œcuméniques. Cependant, l’Église d’Orient n’en regardait pas moins l’évêque de Rome comme le « premier entre égaux », le primus inter pares, et ne lui a jamais conféré de pleins-pouvoirs particuliers comparativement aux Primats des autres Églises.
En dehors des divergences strictement théologiques, il existe également des « facteurs de division non théologiques ». C’est la mémoire historique des débats et des conflits du passé, c’est l’énorme quantité de préjugés mutuels, ainsi, malheureusement, que certains problèmes datant d’une période de l’histoire plus contemporaine.
Et malgré tout, orthodoxes et catholiques peuvent agir de concert dans beaucoup de domaines. Entre l’Église orthodoxe russe et l’Église catholique romaine, il existe une compréhension mutuelle dans les questions d’éthique sociale et économique, sur la morale traditionnelle et sur d’autres thèmes touchant la société contemporaine. Nos positions sur la famille, la maternité, la crise démographique, les problèmes bioéthiques, l’euthanasie et beaucoup d’autres concordent généralement.
Cette concorde permet à nos Églises de témoigner du Christ ensemble dès maintenant devant le monde séculier. Nous avons une expérience très positive d’organisation d’évènements orthodoxes-catholiques, tant dans le domaine de la défense des valeurs morales, que dans la sphère culturelle.
Iles deux parties sont aujourd’hui réellement intéressées à un développement fécond du dialogue bilatéral entre l’Église orthodoxe russe et l’Église catholique romaine. En ce qui concerne la rencontre des Primats de nos Églises, elle est tout à fait possible, mais elle doit être soigneusement préparée. Nous n’excluions pas qu’elle pût avoir lieu sous le Pape Benoît, mais nous n’en avons pas eu le temps. Je ne vois pas pourquoi elle ne pourrait pas avoir lieu sous le Pape François.
A l’automne dernier, il me semblait encore que les deux parties étaient prêtes à entreprendre les préparatifs. Mais les évènements en Ukraine nous ont considérablement rejetés en arrière. Ceci tient en premier lieu aux agissements des gréco-catholiques, que l’Église catholique romaine perçoit comme un « pont » entre l’Orient et l’Occident, et dans lesquels nous voyons un sérieux obstacle au dialogue entre l’Orthodoxie et le catholicisme.
Ce n’est un secret pour personne que l’union a toujours été et reste un projet spécial de l’Église catholique romaine pour la conversion des orthodoxes au catholicisme. A l’aide du pouvoir civil, les uniates ont agi durant des siècles au préjudice des orthodoxes, s’emparant des églises et des monastères orthodoxes, convertissant le peuple au catholicisme, opprimant de toutes les façons possibles le clergé orthodoxe. Il en était ainsi à l’époque de la principauté polono-lituanienne après l’union de Brest de 1596, il en était ainsi à la charnière des années 1980-90 en Ukraine occidentale.
Dans l’actuel conflit, les gréco-catholiques ont immédiatement fait leur la position d’un des parti, sont entrés en collaboration active avec les schismatiques. Le chef de l’Église gréco-catholique d’Ukraine et le chef du soi-disant Patriarcat de Kiev ont arpenté les cabinets du Département d’état des États-Unis, incitant les autorités américaines à intervenir et à mettre de l’ordre en Ukraine. Il s’agit en fait d’une énième croisade contre l’Orthodoxie.
Au Vatican, on nous dit qu’ils ne peuvent influer sur les actions des gréco-catholiques, puisqu’ils disposent de l’autonomie. Mais le Vatican ne veut pas non plus dénoncer ces agissements. Dans ce contexte, il est devenu plus difficile de parler d’une rencontre entre le Pape de Rome et le Patriarche de Moscou dans un avenir immédiat. Il convient d’attendre que les récentes blessures se cicatrisent. Néanmoins, nous ne perdons pas espoir que les relations entre orthodoxes et catholiques se normalisent.