Le métropolite Hilarion : « C’était un torrent de propagande athée »
Le président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou, a raconté au service russe de la BBC pourquoi la théologie doit être enseignée dans les établissements d’enseignement supérieur, ce qu’il pense du film « Mathilde » et de la situation religieuse en Ukraine. Le métropolite était interrogé par Anastasia Gobouleva, correspondant du service russe de la BBC.
- Le ministère de l’Instruction, Olga Vassilieva, a récemment raconté que le nombre de places budgétaires en théologie serait augmenté dans les prochaines années. Faut-il s’attendre à une brusque augmentation du nombre de départements de théologie dans les universités laïques d’ici quelques temps ?
- La théologie se fait peu à peu une place dans l’espace universitaire. C’est un processus naturel. Il n’est pas dicté d’en-haut, mais par la situation. En Occident, toutes les grandes universités ont débuté par une faculté de théologie : on créait une école de théologie, puis, progressivement, les autres sciences venaient s’y ajouter. En Russie, la situation est différente, car les académies de théologie existaient avant les universités. Lorsqu’on a créé des universités, il existait déjà un réseau d’écoles de théologie, et il n’était pas nécessaire de fonder une faculté de théologie dans les universités.
Dans le contexte actuel, une université sans faculté de théologie, c’est une université déficiente. Elle n’offre pas les mêmes possibilités que celles où toutes les sciences humaines sont représentées. Le mot même d’université ne suppose pas une étroite spécialisation, mais un large ensemble de connaissances : le diplômé d’une université, c’est quelqu’un qui est érudit dans les domaines les plus différents.
Lorsque nous avons ouvert une chaire de théologie à l’Université nucléaire de Moscou, beaucoup ont demandé : « A quoi sert la théologie aux physiciens nucléaires ? » Il se trouve qu’ils en ont besoin : les étudiants viennent très volontiers à ces cours. Lorsque j’y ai fait des conférences, la salle était pleine, près de 400 personnes s’y rassemblaient. Des personnes de confessions différentes, d’ailleurs, il y avait des musulmans et des juifs.
- Existe-t-il des projets ou des accords établis avec les établissements, avec les recteurs, sur l’ouverture de nouveaux départements de théologie ? Devons-nous nous attendre à l’ouverture d’une chaire de théologie au MGU ou à l’Université technique Bauman ?
- Nous avons passé beaucoup d’accords, mais je n’aime pas en parler avant que tout soit prêt. Sinon il y a des gens tout prêts à intervenir.
Lorsque nous avons organisé la première soutenance de thèse de théologie de l’histoire en Russie, des représentants de la communauté biologique, des athées, ont visiblement voulu l’empêcher. Ils nous en envoyé cinq avis défavorables, alors que personne ne leur avait rien demandé.
D’après la loi, nous devons en tenir compte, et nous avons lu ces longs avis, ce qui a pris deux heures. C’était un torrent de propagande athée dans l’esprit de celle que j’entendais dans les années 70-80. On accusait le candidat de partir de l’hypothèse de l’existence de Dieu. « Si vous croyez en Dieu, cela veut dire que vous ne pouvez être un scientifique », c’est ainsi que ces biologistes expliquaient leur point de vue.
Nous estimons que la religion ne contredit pas la science, et que la théologie est une science humaine.
Cette thèse de théologie rédigée par le père Pavel Khondzinski, c’est un travail scientifique. Elle répond à ce qui est exigé d’un travail scientifique.
Comme le disait l’un de ces biologistes « on ne peut considérer comme scientifiques des données obtenues grâce à une révélation ou à une illumination ». Mais le père Pavel Khondzinski a produit les données qu’il a lui-même obtenues, non pas suite à une révélation ou à une illumination, mais grâce à des recherches scientifiques, à un travail de recherches dans les archives et les bibliothèques, brassant un matériel très dense, notamment historique. J’estime que c’était un travail hautement professionnel, et ce n’est pas uniquement mon avis.
- Vous présidez le conseil de soutenance en théologie. Combien de mémoires seront présentés à la Haute commission d’attestation ? Combien y aura-t-il de docteurs en théologie ?
- Nous n’avons pas encore de statistiques. Les thèses n’en sont pas toutes au même stade. Elles sont nombreuses, mais il n’y en a pas cent non plus.
N’importe quelle activité nouvelle a besoin de temps pour se mettre en place. Lorsque des gens présentent leur thèse aux conseils de soutenance des établissements ecclésiastiques, ils savent pourquoi : ils soutiendront leur thèse, deviendront docteurs en théologie, recevront une belle croix doctorale, en bref, ils savent quels avantages attendre.
Quant au conseil de soutenance réuni en théologie, les gens vont se poser la question : qu’est-ce que ce diplôme leur donne ?
Je pense que le principal avantage du grade universitaire reconnu par la Haute commission d’attestation est que l’état reconnaît ce grade. Son titulaire peut donc travailler non seulement dans un séminaire ou une académie de théologie, mais aussi à l’université.
- Cela fait plusieurs années qu’on parle d’introduire les « fondements de la culture orthodoxe » comme matière obligatoire dans les écoles. Récemment, l’Académie de l’instruction russe a effectué une nouvelle expertise du programme, mais n’a pas pris de décision. Qu’en est-il finalement de cette initiative ?
- La religion doit être enseignée à l’école de la 1e à la 11e On enseigne à présent « les fondements de la culture orthodoxe », une matière culturelle, à moins que les parents ne préfèrent choisir les fondements de la culture musulmane ou juive, ou l’éducation civique ou un cours général présentant toutes les religions. Et ce sur une seule année, une heure par semaine, le cours entier ne dure que 36 heures.
La religion, c’est un pan immense de l’existence et de la culture humaine. Je pense que les problèmes d’aujourd’hui, notamment le problème de l’extrémisme religieux sont directement liés à l’ignorance dans le domaine de la religion. A quel niveau, si ce n’est au niveau de l’école, peut-on combler ces lacunes ?
Je ne connais pas les détails du processus d’élaboration du cours. Mais, en tant qu’observateur, je peux dire que la société, les parents, notamment, ne comprennent pas à quoi bon étudier la religion ni comment l’étudier.
Pourquoi en Autriche, par exemple, où je suis resté cinq ans en tant qu’évêque orthodoxe, la religion est-elle enseignée pendant 11 ans à l’école laïque ? S’il y a au moins deux élèves orthodoxes dans une école, ils ont le droit de faire venir un prêtre orthodoxe, tandis qu’un prêtre catholique fait la classe aux enfants catholiques. Pourquoi, dans l’Autriche catholique, un prêtre orthodoxe peut-il venir enseigner l’orthodoxie aux enfants à l’école laïque, tandis qu’en Russie orthodoxe, le prêtre orthodoxe n’a pas le droit de venir à l’école pour parler de religion aux enfants ? Ce sont des gens qui n’ont qu’une vague idée de la religion qui leur en parlent à sa place.
Le cours « fondements de la culture orthodoxe » est souvent dispensé par des enseignants qui n’ont que des connaissances de base. Je pense que tant que les confessions traditionnelles ne seront pas responsables de l’enseignement de cette matière à l’école, on ne pourra pas bâtir un système convenable.
- La religion occupe de plus en plus de place dans le monde scientifique et dans l’enseignement : la théologie a été reconnue par la Haute commission d’attestation, on parle d’introduire un cours élargi de culture orthodoxe dans les écoles. Cela a-t-il un rapport avec le fait que le ministre de l’Instruction, Olga Vassilieva, est proche de l’Église ?
- Nous entretenons des relations très étroites avec Olga Vassilieva, elle est orthodoxe, c’est une historienne spécialisée dans l’histoire ecclésiastique. Mais je dois dire que la théologie a été reconnue comme discipline scientifique sous le ministère précédent, M. Livanov, et on avait commencé à en parler il y a encore plus longtemps, sous Foursenko et Filippov (Andreï Foursenko et Vladimir Filippov, anciens ministres de l’Instruction). Ils ont tous apporté leur contribution au développement de la théologie en tant que science.
Je pense que ce processus dépend moins des personnalités que de leur bonne volonté. Et nous avons toujours rencontré de la bonne volonté tout au long du processus.
- Vous avez été le premier représentant de l’Église orthodoxe russe à regarder le film « Mathilde ». Vous vous êtes exprimé très durement, vous avez même parlé « d’apothéose de la vulgarité ». Qu’est-ce qui a suscité pareille réaction ?
- Sans parler de l’aspect esthétique ou éthique de ce film, je tiens à dire que je regrette que pour l’année de la révolution, alors que nous pourrions réfléchir à ses innocentes victimes, alors que nous pourrions exprimer notre gratitude à ceux qui ont souffert, ce que les gens retiendront à propos de leur dernier tsar, ce n’est pas sa mort tragique, ni l’assassinat de sa femme et de ses enfants, mais une histoire vulgaire et sale qui ne reproduit pas les faits tels qu’ils se sont produits.
J’ai accompagné notre patriarche dans sa visite en Serbie, j’ai participé à l’inauguration d’un monument à Nicolas II sur l’une des places centrales de Belgrade. La Serbie a érigé un monument à notre dernier empereur. Et voilà le monument que nous lui érigeons. J’en suis très peiné.
A part moi, personne (des représentants de l’Église) n’a vu le film. Le président de la Commission patriarcale à la culture (l’évêque Tikhon) a lu le scénario, mais, pour autant que je sache, on lui a demandé sa parole qu’il ne critiquerait pas ce scénario. C’est pourquoi il a dit ce qu’il pouvait dire, mais sans avoir vu le film lui-même.
Je n’ai pas donné ma parole au metteur en scène, Alexeï Outchitel’. Bien plus, lorsqu’il m’a invité à voir le film, je n’ai pas tout de suite accepté, je n’avais pas envie de le voir. Mais j’ai décidé de le regarder lorsque le débat a été lancé dans la société. L’argument principal était alors : « Vous n’avez pas vu, alors ne critiquez pas ». Et je ne voulais pas être de ceux qui critiquent sans avoir vu.
J’ai eu du mal à regarder ce film, parce que c’est un film sur un homme que l’Église vénère comme un saint. J’ai lu des livres : la magnifique correspondance de Nicolas et d’Alexandra, je me souviens d’un livre édité par l’Église hors-frontières, les lettres d’exil de la famille impériale, qui contient des lettres de leurs enfants. Voilà ce dont on aurait pu parler, voilà ce qu’il faudrait montrer.
Je n’idéalise pas Nicolas II. Mais l’Église l’a canonisé, ainsi que sa femme et ses enfants, parce qu’ils ont supporté leurs épreuves avec patience. Dans ce film, les enfants sont complètement absents, l’épouse est présentée comme une abominable sorcière, et l’intrigue est bâtie sur un amour de jeunesse. Effectivement, le dernier tsar a connu un amour de jeunesse, ainsi que le révèlent les documents, notamment son journal intime. Mais je ne peux absolument pas approuver la façon dont c’est présenté dans le film.
- Pourquoi Outchitel’ vous a-t-il choisi pour présenter son film, et non pas le patriarche ou Tikhon ?
- Nous étions ensemble, dans la même loge, à l’opéra « Roussalka » de Dargomyjski. Nous avons parlé de la polémique qui commençait autour du film, alors que personne ne l’avait encore vu. Il m’a alors proposé de le regarder, prévenant que ce n’était pas encore une version définitive. Quelques mois plus tard, j’ai décidé de le voir.
- Récemment, le député Natalia Polonskaïa a dit qu’un paroissien qui avait été voir le film « Mathilde » en projection privée a été excommunié pour six mois. C’est vrai ?
- Je ne peux pas commenter cette déclaration, je n’ai rien à dire là-dessus, c’est à elle qu’il faut poser la question.
- Où en sont les relations avec le patriarcat de Kiev ? La discussion des projets de loi sur le statut particulier des organisations religieuses à la Rada a-t-elle envenimé le conflit ?
- Nous n’avons jamais parlé de relations « entre deux patriarcats », car nous ne reconnaissons pas le « patriarcat de Kiev ». C’est une structure schismatique, elle a été fondée par un homme qui a été excommunié. C’est ce qui est appelé dans les canons une assemblée arbitraire. Nous l’appelons un schisme. Et le seul moyen de guérir un schisme est le retour à l’Église de ceux qui s’en sont écartés.
Ni le chef de ce groupe schismatique, ni son représentant officiel ne cherchent le dialogue. Ils cherchent à dialoguer avec le pouvoir ukrainien, ils se servent de la situation politique pour grignoter à l’Église canonique tout ce qu’ils peuvent : ils lui confisquent ses églises, par usurpation, en utilisant la violence.
L’un des projets de loi entendait légitimer l’usurpation des églises. L’appartenance de l’église à la communauté religieuse aurait été définie par l’auto-identification de ses membres. Lorsque les membres de la communauté ne sont enregistrés nulle part, n’importe quel groupe peut pénétrer dans l’église, s’en emparer et dire : « Nous sommes les paroissiens, nous sommes les propriétaires de cette église, nous la remettons à une autre confession religieuse ».
L’autre projet de loi devait doter d’un statut particulier les confessions religieuses dont le centre se trouvait dans un « état-agresseur ». Il n’y a qu’une seule confession concernée, c’est l’Église orthodoxe ukrainienne du Patriarcat de Moscou. Toutes les nominations au sein de cette Église auraient dû être confirmées par les autorités. Pourtant, l’Église orthodoxe ukrainienne du Patriarcat de Moscou est auto-administrée, c’est-à-dire que Moscou n’intervient aucunement dans sa direction.
Les fidèles ne soutiennent pas ce projet, d’autant plus lorsqu’il s’agit de réunir l’Église canonique à une structure schismatique. Si les structures veulent s’unir, elles le font elles-mêmes. Cela ne peut pas se faire sur ordre du pouvoir, d’autant plus à coup de mesures discriminatoires.
La menace est encore réelle. Dans le contexte de confrontation politique actuel, tout est possible.
On mélange les affaires politiques avec les affaires de l’Église, mais il ne faut pas les mélanger. Je pense que cette division qui existe aujourd’hui dans la société ukrainienne tient pour beaucoup à la division qui s’est faite au sein de l’Orthodoxie.