Le métropolite Hilarion : Le Seigneur nous récompensera de toute souffrance dans la vie éternelle
Le 20 février 2018, mardi de la première semaine de Carême, le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou a célébré les Grandes complies, avec lecture du Grand canon de saint André de Crète, à l’église Notre-Dame-Joie-de-tous-les-affligés. Mgr Hilarion concélébrait avec le clergé de la paroisse.
A la fin de l’office, le métropolite a prononcé une homélie :
« Au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit !
Parmi les héros de l’Ancien Testament dont parle le Grand canon de saint André de Crète, nous entendons le nom de Job, un homme auquel est consacré tout un livre de l’Ancien Testament.
Le livre commence par conter qu’un homme juste vivait au pays d’Uç. Il n’avait pas péché devant Dieu et priait toujours pour ses enfants, implorant le Seigneur de leur pardonner leurs péchés, s’ils avaient péché en quelque chose.
Un jour, nous dit le récit, les fils de Dieu, c’est-à-dire les anges, se présentèrent devant le Seigneur. Satan était parmi eux et Dieu lui demanda : « As-tu remarqué mon serviteur Job ? Il n’a point son pareil sur la terre : c’est un homme intègre et droit, qui craint Dieu et s’écarte du mal ! » Satan répliqua : « Est-ce pour rien que Job craint Dieu ? Ne l’as-tu pas entouré d’une haie, ainsi que sa maison et tout ce qu’il possède alentour ? Tu as béni toutes ses entreprises, se troupeaux pullulent dans le pays. Mais étends la main et touche à tout ce qu’il possède ; je gage qu’il Te maudira en face » (Jb 18-11).
Dieu permit au diable de toucher à ce que possédait Job. En en jour, il perdit ses enfants et toutes ses richesses. Ensuite, satan revint vers Dieu et Lui dit : « Peau après peau ! Tout ce que l’homme possède, il le donne pour sa vie ! Mais étends la main, touche à ses os et à sa chair, et je gage qu’il Te maudira en face ! » (Jb 2, 4-5). Et le Seigneur lui permit de s’en prendre à la chair du bienheureux Job. Il se réveilla et vit que son corps était couvert de lèpre. Tel est le sujet du récit.
Ensuite, Job se plaint de son sort. Il se pose des questions et les pose à Dieu. Il ne comprend sincèrement pas pourquoi tout cela lui est arrivé, pourquoi Dieu le châtie-t-Il. Ses amis viennent le voir et, pour le consoler, justifient Dieu et déclarent que le Seigneur est juste, qu’Il châtie les pécheurs et encourage les justes.
En lisant le livre, chapitre après chapitre, on ne peut se défendre de trouver que les amis de Job, ceux qui parlent de Dieu, ont raison. Ce qu’ils disent de Dieu est vrai et beau. Je me souviens bien de mes impressions, lorsque je lus ce livre pour la première fois à 13 ou 14 ans : j’étais certain qu’à la fin du récit Dieu justifierait les amis de Job pour avoir bien parlé. Lisant page après page, je trouvai leurs paroles sur Dieu vraies et belles.
Mais la fin de cette histoire est tout à fait inattendue. Dieu apparaît à Job et lui parle. Il ne répond pas à ses questions, mais en pose Lui-même. Il interroge : « Où étais-tu quand je fondais la terre ? Parle, si ton savoir est éclairé. Qui en fixa les mesures, le saurais-tu, ou qui tendit sur elle le cordeau ? » (Jb 38, 4-5). Ensuite, Il énumère les richesses de la nature qu’Il a créée. Il parle à Job des différents animaux, l’invite à regarder comme ils sont puissants, à voir évoluer l’hippopotame, à regarder ses muscles, sa force, sa puissance : peux-tu, homme de rien, opposer quelque chose à cela ?
Encore une fois, si nous nous mettons à la place de Job, auquel tout a été enlevé, dont les enfants ont péri, dont la famille est détruite, qui a perdu la santé, il semble étrange que Dieu lui parle d’hippopotame. Cela peut-il consoler quelqu’un qui a tant souffert ?
Survient enfin le plus inattendu : l’auteur déclare que Dieu se mit en colère contre les amis de Job pour avoir raisonné, tandis qu’Il justifia Job qui s’était plaint de son sort et avait posé des questions à Dieu.
D’un point de vue logique, cette histoire ne tient pas debout. Tout ce que disent les amis de Job est tout à fait juste et vrai, et ce n’est pas pour cela que Dieu les condamne. Le Seigneur les condamne pour autre chose. Il faut comprendre pourquoi, afin de comprendre pourquoi Dieu finit par justifier Job, pourquoi Il lui retourne finalement ses richesses, lui permet d’avoir à nouveau des enfants, pourquoi Il bénit les derniers jours de Job plus encore qu’Il n’avait béni les débuts de sa vie.
Ce livre a un sens symbolique très profond. Derrière l’histoire de Job, c’est tout le drame des rapports entre l’homme et Dieu qui se déroule. Les rapports entre l’homme et Dieu sont souvent bâtis sur la certitude qu’a l’homme que Dieu doit l’aider dans ses bonnes actions, que Dieu doit le récompenser de ses bonnes œuvres et le punir s’il a fait quelque chose de mal.
En fait, ces rapports se construisent tout autrement. La logique des actions divines ne cadre pas avec la justice humaine. Comme il est dit ailleurs dans l’Ancien Testament « Mes voies ne sont pas vos voies, oracle du Seigneur » (Is 55, 8). Nous ne savons pas toujours pourquoi Dieu est patient lorsque nous faisons le mal.
Nous péchons et Dieu ne nous châtie pas. D’autres gens pèchent autour de nous et Dieu patiente, ne les châtie pas. On se demande parfois pourquoi Dieu patiente-t-Il, pourquoi permet-Il le mal ? Pourquoi Dieu, par exemple, n’a-t-il pas arrêté l’homme qui a abattu plusieurs personnes au fusil à côté d’une église ?
D’un autre côté, nous voyons parfois des gens vertueux, qui aident tout le monde, qui sont un exemple pour tous et auxquels le Seigneur envoie malheur sur malheur. Leurs proches meurent, ils sont en mauvaise santé, leur vie est difficile, et ils pourraient demander, comme Job : « Pourquoi le Seigneur me châtie-t-Il ? »
Les voies du Seigneur sont impénétrables, et nous ne savons qu’une chose : Dieu nous aide tous. Il prend soin de chacun de nous et conduit chacun sur un chemin particulier. Dieu envoie à certains des afflictions pénibles, à d’autres de moins sévères. Il donne à certains une bonne santé, tandis que d’autres sont moins solides. Dieu donne aux uns certaines tâches, Il en donne d’autres à d’autres. Lorsque nous posons des questions à Dieu, dans la prière, dans nos attentes, dans nos espérances, Dieu ne répond pas toujours comme nous l’attendions. Lisez l’Évangile, vous verrez comment le Seigneur s’entretenait avec Nicodème, avec la Samaritaine, avec d’autres : ils Lui posent une question et Lui, soit ne répond pas du tout et continue de parler comme si la question n’avait pas été posée, soit répond tout autre chose. Comme si le dialogue avait lieu à plusieurs niveaux.
C’est ce qui se passe souvent dans nos rapports avec Dieu, lorsque nous Lui demandons une chose et qu’Il nous donne tout autre chose. Il nous faut parfois beaucoup d’efforts, beaucoup de temps pour reconnaître la voix de Dieu dans ce qui nous arrive et ce qui se passe autour de nous.
Nous savons que Dieu est longanime et qu’Il permet parfois au mal d’arriver dans la vie humaine. C’est un grand mystère, pourquoi satan intervient-il entre les fils de Dieu et Dieu, pourquoi Dieu dialogue-t-Il avec lui et lui permet-t-Il d’agir, comme dans l’histoire de Job.
Nous savons aussi que Dieu veille sur les hommes. Réfléchissant à la tragédie de ces derniers jours, il apparaît que les intentions du malfaiteur étaient beaucoup plus sérieuses : il ne voulait pas abattre cinq personnes, mais cinquante. Une simple femme assise devant l’église, qui faisait l’aumône, comme le Lazare de la parabole, l’a vu la première. Au lieu de se sauver en voyant le fusil, elle a couru vers lui, elle l’a arrêté, elle a provoqué un mouvement d’agitation, le prêtre a eu le temps de fermer l’église et beaucoup de vies ont été sauvées. Nous ne savons pas combien de vies a sauvé cette femme qui ne s’était jamais distinguée auparavant, et n’était connue que parce qu’elle faisait l’aumône et saluait tous ceux qui entraient à l’église.
La vie est ainsi faite : elle n’est pas logique. Si l’on tente de mesurer Dieu à l’aune de la logique humaine, comme l’ont fait beaucoup de philosophes, beaucoup de Ses créations, beaucoup des évènements qu’Il permet ne rentreront pas dans ces cadres logiques. Beaucoup de philosophes ont voulu créer des religions répondant à la logique, modeler Dieu à leur image et à leur ressemblance. Ils disaient : Dieu peut permettre ça, par contre, Il ne peut pas permettre ça, créant ainsi une image artificielle de Dieu.
L’image de Dieu qui se dévoile dans le Bible est toute différente. C’est l’image de Celui qui vit, qui agit, qui intervient dans nos vies et prend soin de nous. En même temps, nous avons conscience que Ses voies sont impénétrables et que beaucoup de choses resteront une énigme.
Comme je l’ai dit, à la fin du livre de Job, Dieu lui apparaît, puis le justifie et le restaure dans ce qu’il avait perdu. En même temps, il ne retrouve pas les enfants qu’il avait perdus. D’autres lui naissent, mais on ne peut pas remplacer une personne par une autre. La fin du livre contient donc aussi un symbole. Comme le disent les Pères de l’Église, qui ont essayé d’interpréter ce livre, sa fin est le prototype de ce qui attend l’homme juste, dont la vie ne se termine pas ici-bas, mais se poursuit dans l’autre vie.
La fin du livre de Job est l’image de la résurrection. Tout ce que nous perdons durant cette vie ne peut pas être retrouvé. Les proches que nous avons perdus, nous ne les reverrons pas ici-bas, mais nous croyons que nous les reverrons dans la vie éternelle. Nous croyons que le Seigneur nous récompensera de toute souffrance dans la vie future, où une toute autre réalité s’ouvrira à nous. Cela nous permet d’espérer, de vivre de cette espérance qui nous affermit dans la foi.
En ces jours du Grand carême, revenons aux livres bibliques. Relisons-les, même si nous les avons déjà lu plus d’une fois, parce que par l’Écriture Sainte, notamment par l’Ancien Testament, le Seigneur nous découvre à nouveau Sa vérité divine. Souvenons-nous en même temps que l’Ancien Testament n’est pas un livre d’histoire, ce n’est pas un livre qu’il faut aborder de notre point de vue logique. C’est un livre qu’il faut relire à la lumière du Nouveau Testament, à la lumière de ce que nous savons de l’Incarnation divine, des souffrances, de la mort et de la Résurrection de notre Seigneur et Sauveur.
C’est dans cette perspective que se découvre le vrai sens de beaucoup de livres bibliques, parce que Job est l’un des prototypes du Sauveur souffrant qui a passé par la passion et par la mort, et est ressuscité ensuite pour nous ouvrir la voie de la résurrection pour toute chair et pour chacun de nous. Amen. »