Interview du métropolite Hilarion de Volokolamsk à l’agence d’information japonaise « Kiodo Tsussine »
Le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou, a répondu aux questions du correspondant de l’Agence d’information japonaise « Kiodo Tsussine ».
- Le cardinal Pietro Parolin est venu en août 2017 à Moscou. Comment se développent les rapports entre l’Église orthodoxe russe et l’Église catholique romaine depuis cette visite ? Des contacts au plus haut niveau sont-ils prévus dans un proche avenir entre les deux Églises ?
- La visite en Russie du cardinal Pietro Parolin, secrétaire d’état du Saint-Siège, témoigne du haut niveau des rapports de la Russie et de l’Église orthodoxe russe avec le Saint-Siège ces dernières années. Il suffit de dire que depuis l’établissement de relations diplomatiques entre Moscou et le Vatican, en 1990, c’était la première visite officielle d’un secrétaire d’état effectuée à l’invitation du gouvernement russe. Cependant, cette visite témoigne aussi de la bonne entente et de la coopération fructueuse qui se sont établies entre l’Église orthodoxe russe et l’Église catholique romaine.
Le programme de la visite du cardinal Parolin, outre des rencontres avec des fonctionnaires de l’état, comprenait aussi une rencontre avec Sa Sainteté le patriarche et une avec moi-même. Nous avons évoqué la situation des chrétiens au Proche-Orient et la situation en Ukraine. Les pourparlers ont montré que le Patriarcat de Moscou et le Saint-Siège ont des positions très proches. Tous deux soulignent notamment l’importance du développement de la coopération entre les deux Églises dans l’organisation d’une aide humanitaire pour la population syrienne. Aujourd’hui, ce vecteur essentiel de notre coopération inter-ecclésiale se développe activement.
Des contacts de haut niveau ont lieu régulièrement entre nos Églises. Suivant une tradition qui s’est mise en place ces dernières années, j’effectue tous les ans à l’automne une visite de travail à Rome, pendant laquelle je suis reçu par les autorités de l’Église catholique romaine. En septembre 2017, j’ai rencontré le pape François. Nous avons parlé du dialogue orthodoxe-catholique et du développement de la coopération bilatérale pour la défense des chrétiens du Proche-Orient. Nous avons aussi évoqué la situation en Ukraine.
- A la fin de l’année dernière, à la veille du centenaire de la révolution de 1917, le patriarche Cyrille et le président V. Poutine ont participé ensemble à l’inauguration d’un monument aux victimes des répressions, le « Mur de l’affliction ». Cette participation du chef de l’État et du chef de l’Église orthodoxe russe ajoute-t-elle quelque chose de nouveau à l’appréciation des répressions staliniennes et à celle des évènements révolutionnaires de 1917 ? Pourquoi, du point de vue de l’Église orthodoxe russe, est-il important que nos contemporains et les générations à venir gardent la mémoire des répressions staliniennes ?
- La participation du primat de l’Église russe et celle du président à l’inauguration du « Mur de l’affliction » est un acte symbolique de mémoire envers toutes les innocentes victimes de l’époque des persécutions, inaugurée par les évènements d’octobre, il y a cent ans. Lors de l’inauguration du monument, le patriarche Cyrille a dit : « L’évènement qui nous réunit devant ce mémorial nous incite à réfléchir une fois encore à la tragédie qui s’est produite en Russie au XXe siècle. Nous savons que ces tragiques évènements devront faire encore longtemps l’objet d’une réflexion, mais l’année du centenaire de la révolution est une occasion particulièrement importante pour lancer cette réflexion. »
Pour notre Église, pour la majorité des croyants, le souvenir de la révolution et des répressions staliniennes renvoie avant tout au souvenir de la mort et des souffrances de millions d’innocents, parmi lesquels des prêtres, des scientifiques, des médecins, des représentants de toutes les classes de la société. Le résultat de ces tragiques évènements de la première moitié du XX siècle a été que le peuple russe s’est trouvé coupé en deux camps idéologiques, et les conséquences de cette division se font toujours sentir dans les cœurs de nos compatriotes, tant en Russie qu’à l’étranger. L’Église aussi a été divisée : une grande partie de la diaspora russe s’est trouvée coupée de l’Église mère. Il y a seulement onze ans qu’il a été possible de restaurer l’unité canonique de l’Église orthodoxe russe.
Nos contemporains, en Russie comme au-delà de ses frontières, ne doivent pas oublier l’amère expérience de l’histoire, quand sous prétexte de lutte pour le bonheur et pour la justice, des quantités de gens ont été exterminés, des familles détruites, des destins brisés. La révolution est un mal atroce et destructeur, de tous temps elle est grosse de bouleversements colossaux, d’innombrables victimes humaines. Les hommes politiques qui, dans leur désir de parvenir au pouvoir, sont prêts à provoquer des violences et des divisions, feraient bien de s’en souvenir.
- Dans son message de Noël, le patriarche Cyrille appelait tous les citoyens, notamment les fidèles orthodoxes, à prendre obligatoirement part aux élections, notamment aux élections présidentielles. Pourquoi les citoyens doivent-ils participer aux élections présidentielles ? L’Église orthodoxe russe prévoit-elle d’inciter d’une façon ou d’une autre les électeurs à aller voter ?
- Le patriarche, ainsi que les hiérarques et la hiérarchie de notre Église disent qu’il est important d’aller voter, car l’Église incite tous les habitants du pays à être des citoyens actifs, à ne pas se montrer indifférent au sort de leur patrie. Les élections sont l’un des ressorts efficaces grâce auxquels chacun de nous peut apporter sa contribution à la construction de l’avenir du pays, à la sauvegarde d’un climat moral sain dans la société, à la sauvegarde du patrimoine historique, spirituel et culturel.
L’Église orthodoxe russe, tout en appelant les gens à être des citoyens actifs, ne participe pas à la campagne électorale, n’appelle pas à voter pour tel ou tel candidat. Je suis profondément convaincu que la force de l’Église est justement dans cette position. Politiquement neutre, elle réunit des gens dont les opinions politiques peuvent être différentes. Ceci parce que les valeurs spirituelles, les idéaux moraux dont l’Église est porteuse, sont au-dessus des préférences politiques, des divergences sociales et matérielles entre les gens.
- Poutine est devenu président de la Russie pour la première fois en 2000. Durant les années qui se sont écoulées, la Fédération de Russie est devenue un pays stable, politiquement et économiquement parlant. L’Église orthodoxe russe est-elle pour la poursuite de cette politique de stabilité ? Qu’est-ce que l’Église russe attend des autorités civiles ?
- De mon point de vue, stabilité ne signifie pas stagnation, une situation dans laquelle l’état cesse de se développer sur le plan social et juridique, la pensée et la créativité connaissant un arrêt. La stabilité, c’est le développement systématique du pays, l’état résolvant efficacement les problèmes qui se posent à l’intérieur comme à l’extérieur, cherchant à assurer à ses citoyens une vie digne de ce nom, tandis que les gens peuvent vivre à l’abri de la pauvreté, cherchant à se développer.
Notre Église, comme toutes les forces saines de la société, a toujours soutenu un type de direction du pays visant à établir un état fort, une société stable et juste dans laquelle la vie humaine a de la valeur, où sont mises en place les conditions nécessaires au développement créatif et intellectuel des personnes, qui soutient les familles, notamment les familles nombreuses, les personnes à mobilité réduite et les autres catégories fragiles de la population.
Les gens demandent beaucoup que les autorités s’impliquent dans la résolution des problèmes de société les plus divers, de la stratégie de développement social aux problèmes du quotidien. Non seulement la popularité ou l’impopularité des autorités en général et d’hommes politiques en particulier, mais la stabilité de l’ensemble de la société, dépendent de la capacité des autorités à répondre à cette demande.