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Le métropolite Hilarion : Nous attendons de la part du gouvernement ukrainien qu’il ne se mèle pas de la vie interne de l’Église

Réponses du métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou, aux questions des représentants des médias hongrois, italiens, français, allemands, américains, libanais, géorgiens et lettons, dans le prolongement du forum des journalistes chrétiens « Le christianisme dans le monde contemporain » (Budapest, 6 septembre 2019).

  • Que pouvez-vous dire de la situation des orthodoxes d’Ukraine à l’heure actuelle ?
  • Ces derniers mois, en Ukraine, il y a eu beaucoup de problème à cause de groupes se définissant comme orthodoxes. Le précédent président avait soutenu la création d’une prétendue « église orthodoxe d’Ukraine » nationale. Promue par les dirigeants d’alors, l’idée de séparer l’Église orthodoxe ukrainienne du plérôme de l’Église orthodoxe russe a été soutenue par le patriarche Bartholomée de Constantinople, qui a accordé un « tomos d’autocéphalie » à la nouvelle « église orthodoxe d’Ukraine ». Dans le même temps, l’Église orthodoxe ukrainienne, à laquelle appartient la majorité des citoyens orthodoxes de ce pays, fait toujours partie du Patriarcat de Moscou et dispose d’au statut d’autonomie.

Les mesures prises par M. Porochenko et son gouvernement ont causé de multiples infractions aux droits de l’homme, notamment des expropriations d’églises dans différentes régions d’Ukraine. Nous espérons que l’arrivée au pouvoir de nouveaux dirigeants permettra de mettre définitivement un terme à ces infractions, qui sont déjà moins fréquentes. Nous attendons du gouvernement ukrainien qu’il ne se mèle pas de la vie interne de l’Église. Que les politiques s’occupent de politique, et les ecclésiastiques – de la résolution des affaires ecclésiastiques.

  • Combien d’évêques ont rejoint la nouvelle « église » ?
  • Deux hiérarques sur quatre-vingt-dix-neuf ont rejoint la nouvelle « église orthodoxe ukrainienne ».
  • Comment expliquez-vous que la jeunesse russe se tourne vers le christianisme ?
  • L’Église orthodoxe russe traverse une période de renaissance, depuis 1988, date du millénaire du baptême de la Russie. C’était l’époque de l’effondrement du système communiste, et personne n’aurait cru que ces célébrations prendraient une telle ampleur. Cependant, lorsque des millions de personnes sont descendues dans la rue pour exprimer leur appartenance à la foi orthodoxe, l’état a pris conscience qu’il était temps de mettre fin à la politique de persécutions et de discriminations. Des amendements à la législation ont été adoptés, l’Église a reçu le droit de prêcher librement, de s’engager dans la mission et dans le travail social. Ce fut le début d’une croissance rapide de la présence chrétienne en Russie et dans les pays voisins.

Depuis, nous ouvrons en moyenne mille églises par an. Il y a trente ans, il y avait environ 7000 églises dans l’Église orthodoxe russe, aujourd’hui elles sont près de 40 000 ; en 1988, on ne comptait que vingt monastères, contre près de mille aujourd’hui, qui sont principalement peuplés de jeunes gens. L’intérêt de la jeunesse pour le christianisme, pour l’Église, est extraordinaire.

Certes, cela ne veut pas dire que toute la jeunesse soit chrétienne, cependant, parmi les jeunes générations de citoyens de la Fédération de Russie, d’Ukraine et d’autres pays dont les territoires font partie de la juridiction de l’Église orthodoxe russe, il existe une jeunesse chrétienne active. Comment l’expliquer, je ne sais pas tout à fait. Je présume que c’est un miracle. C’est un vrai miracle que l’Église, après tant d’années de persécutions, ait pu non seulement survivre, mais aussi s’assurer une relève dans la jeunesse.

Le processus actuel de renaissance est aussi miraculeux. Certes, nous poursuivons notre travail missionnaire parmi les jeunes : notre Église a un département qui s’occupe spécialement de la jeunesse, des mouvements de jeunesse existent dans beaucoup de diocèses. Cependant, je ne crois pas qu’on puisse attribuer ce succès à nos mérites missionnaires, mais bien plutôt à la grâce de Jésus Christ, à Sa présence vivante dans l’Église, qui est l’essence même du christianisme.

  • Selon vous, ce retour vers la religion est-il une réaction à la période communiste athée, ou à la culture libérale occidentale ?
  • Peut-être le rejet de la période précédente a-t-il joué un rôle au départ, et certaines personnes sont certainement venues à l’Église parce qu’elles voyaient en elle une alternative à l’idéologie dominante. Cependant, la protestation ne peut en soi être un ferment suffisant pour que la personne s’enracine dans l’Église. Pour devenir membre de l’Église, pour aller régulièrement à l’église, pour participer aux sacrements et recevoir les Saints Mystères, il faut se plonger dans la vie de la communauté chrétienne. C’est pourquoi je ne pense pas que les gens venaient alors à l’église uniquement pour protester contre l’idéologie soviétique, et aujourd’hui contre le laïcisme occidental.
  • Après que « l’église orthodoxe d’Ukraine » a reçu l’autocéphalie, le Patriarcat de Moscou a quitté la Commission mixte pour le dialogue théologique entre l’Église orthodoxe et l’Église catholique romaine. A-t-on pu poursuivre le dialogue malgré la situation ?
  • Je pense que cela aurait pu être théoriquement possible, mais, dans la pratique, nous aurions eu beaucoup de mal à participer aux travaux de la commission dont l’un des co-présidents est, par définition, un représentant du Patriarcat de Constantinople, tout en continuant à observer les entreprises injustes de Constantinople. Par ailleurs, ayant été pendant des années membre de la commission, je n’ai pas caché mon mécontentement de la façon dont ce dialogue s’organise. En fait, nous sommes témoins des tentatives de Constantinople pour élever sa primauté au même rang que celle du pape dans l’Église catholique romaine. Remarquons que la doctrine de la primauté du pape de Rome chez les catholiques s’est élaborée pratiquement au cours de deux mille ans ; la primauté que revendique Constantinople, qui dispose, selon nous, d’une primauté d’honneur, et non d’une primauté de pouvoir, est un phénomène relativement récent. Les Églises orthodoxes ne sont pas prêtes à suivre la théologie qui s’élabore pour soutenir cette idéologie.

Dans le cadre de  la Commission théologique orthodoxe-catholique, on a avancé une idée qui m’a paru, en tant que hiérarque et en tant que théologien, peu convaincante : de la même façon que dans la Sainte Trinité il y  a primauté du Père et communion du Fils et du Saint Esprit, il y aurait dans l’Église primauté du patriarche de Constantinople et communion des autres primats. Cette construction théologique me paraît artificielle et absurde. Son auteur est le métropolite Jean (Zizoulias), célèbre théologien du Patriarcat de Constantinople. Cette conception n’a aucun fondement ni dans la tradition chrétienne, ni dans les Saintes Écritures, ni chez les Pères de l’Église. C’est pourquoi je présume que si l’on ne dialogue que dans l’unique but de glonfler artificiellement la primauté de Constantinople, nous ne devons pas y prendre part. Nous trouverons d’autres moyens et d’autres voies pour poursuivre le dialogue avec l’Église catholique romaine.

  • Pourriez-vous parler des rapports actuels entre l’Église orthodoxe russe et le Vatican ?
  • Nous entretenons de bonnes relations, qui se sont particulièrement intensifiées après 2016 et la rencontre, à bien de égards historique, entre le pape François et le patriarche Cyrille de Moscou et de toute la Russie. Ce ne fut d’ailleurs pas une simple rencontre de protocole, il y a eu une discussion profonde, où chaque mot était pesé, sur des thèmes moins théologiques que d’actualité pour l’avenir de l’humanité. En tant que pasteur responsables de millions de fidèles, le pape et le patriarche ont exprimé leur inquiétude devant les persécutions que subissent les chrétiens du Proche-Orient et d’ailleurs. Ils ont dit leur opinion sur bien d’autres thèmes.

Cela a créé un climat de confiance et de coopération, et, depuis, nous développons les contacts entre nos Églises, nous efforçant de mettre en œuvre ce que le pape et le patriarche se dirent pendant cette rencontre historique.

  • Il y a des croyants en dehors de l‘Église. Des projets sont-ils possibles pour leur permettre de venir à l’Église ? Et que pensez-vous de possibles projets médiatiques réunissant tous les orthodoxes ?
  • Vous avez soulevé deux questions différentes. L’une concerne la différence entre les chrétiens pratiquants et les chrétiens de nom. Il y a des gens qui déclarent leur appartenance à l’Orthodoxie, ou à une autre Église chrétienne, mais qui ne sont pas membres pratiquants d’une communauté ecclésiale concrète. Je présume que dans toutes les religions et dans toutes les confessions chrétiennes il y a un nombre important de gens qui s’identifient à une certaine tradition, sans que cela s’influe sur leur vie quotidienne. Ils peuvent entrer à l’église une ou deux fois par an, pour Pâques, pour Noël, pour un baptême, un mariage ou un enterrement, sans prendre aucune autre part à la vie de l’Église. Pour les amener à l’Église, pour qu’ils deviennent de vrais membres de la communauté ecclésiale, il faut que nous prenions des mesures missionnaires.

A propos de la deuxième question : vous avez tout à fait raison de dire que beaucoup d’Églises orthodoxes sont plus ou moins isolées dans leur activité médiatique. Elles ont leurs chaînes de télévision et leurs stations de radio, leurs sites internet, leurs espaces sur les réseaux sociaux, sans qu’il y ait de coopération entre elles. Je pense que si  les Églises orthodoxes s’unissaient dans le cadre d’un projet médiatique commun, cela serait une initiative tout à fait opportune, et je soutiendrais un projet semblable. Cependant, ce ne sont pas nous qui devons en être les créateurs, l’initiative doit venir « d’en-bas ».

  • L’une des nouvelles les plus discutées ces derniers temps est l’Assemblée générale de l’Archevêché des églises orthodoxes de tradition russe en Europe occidentale, au cours de laquelle a été proposé un rattachement à l’Église russe. Pourquoi, à votre avis, le patriarche Bartholomée a-t-il décidé de dissoudre l’Archevêché il y a quelques mois ?
  • J’ai du mal à m’expliquer les mesures prises par le Patriarcat œcuménique depuis l’année dernière. Elles semblent parfois assez illogiques. Pourquoi supprimer l’Archevêché des paroisses russes en Europe occidentale ? Pour quelle raison accorder « l’autocéphalie » à un groupe de schismatiques ukraniens, alors que la majorité des orthodoxes d’Ukraine n’a pas accepté cette autocéphalie ? Je ne sais que penser de ces mesures. Peut-être les représentants de Constantinople pourront-ils donner eux-mêmes une explication.

Nous avons soin des besoins spirituels des hommes, et, naturellement, si l’Archevêché est liquidé, nous serons heureux de l’accueillir comme structure de l’Église orthodoxe russe, d’autant plus que cette structure en faisait partie à l’origine, et qu’elle n’a rejoint le Patriarcat de Constantinople que temporairement. Je pense que le retour de ces fidèles à l’Église orthodoxe russe vient à point à l’étape actuelle.

  • Que fait l’Église orthodoxe pour réduire le nombre d’avortements et améliorer la situation démographique en Russie ?
  • L’Église orthodoxe russe fait tout ce qu’elle peut pour défendre la vie humaine de la conception à la mort naturelle. Nous croyons que toute vie humaine a besoin d’être protégée et que tout homme a le droit de naître. Dans l’idéal, nous souhaiterions que l’avortement soit interdit, mais nous comprenons bien qu’il est iréaliste d’attendre que l’état l’interdise. Une mesure possible serait que l’avortement ne soit plus remboursé, que les impôts des contribuables ne servent plus au financement de l’assassinat d’enfants à naître. Nous sommes convaincus que cette mesure réduirait le nombre d’avortements.

Par ailleurs, au niveau des médias, des structures de l’état, des organisations non commerciales, il faut travailler à convaincre les gens du droit à naître et de ce qu’avoir beaucoup d’enfants n’apportent pas seulement des problèmes, mais aussi beaucoup de bonheur.

  • Que pouvez-vous dire des rapports entre la Géorgie et la Russie au niveau gouvernemental ? Tant de choses lient ces deux pays, la religion orthodoxe, les traditions, etc.
  • Je ne peux commenter ce qui se passe au niveau de l’état, mais je suis heureux d’évoquer les relations entre les Églises orthodoxes russe et géorgienne. Malgré les difficultés dans le domaine politique, nos Églises restent très proches. Pas plus tard qu’hier je suis allé dans un monastère, au nord de l’Italie, où avait lieu une conférence sur le thème de la « Vie en Christ ». Parmi les participants, il y avait deux hiérarques de l’Église géorgienne. Après la séance, nous avons pu échanger sur la situation actuelle, sur nos relations, discuter de certains projets communs. Comme autrefois, nous sommes très proches, et je crois que l’Église orthodoxe russe et l’Église orthodoxe géorgienne conservent des relations fraternelles étroites.
  • Quels projets poursuit votre Église avec la communauté chrétienne au Proche-Orient ?
  • Nous sommes très étroitement liés aux Églises du Proche-Orient, non seulement aux Églises orthodoxes, mais aussi aux autres Églises chrétiennes. Nous accueillons régulièrement les leaders et des représentants de ces Églises : ils viennent en Russie parler de ce qui se passe au Proche-Orient, et nous nous efforçons de les aider.

De quelle aide s’agit-il ? Avant tout, nous sommes convaincus qu’il faut attirer constamment l’attention des hommes politiques sur la situation réelle et sur les besoins réels, parce que les leaders de certains pays estiment souvent que la situation s’améliorera après leur intervention. On sait pourtant ce qui s’est passé en Irak après l’invasion étrangère et le renversement du régime de Saddam Hussein. Nous n’affirmons nullement qu’il était le leader idéal, mais les faits sont là : sous Saddam Hussein, il y avait un million et demi de chrétiens en Irak ; quinze ans plus tard, il ne reste plus qu’un dixième de la population chrétienne dans ce pays.

La même chose se serait produite en Syrie, sans la Russie. Je pourrais multiplier les exemples. Nous sommes convaincus que chaque pays a le droit de déterminer son avenir, et que les normes de la démocratie occidentale ne peuvent pas être transplantées facilement sur le terreau du Proche-Orient. Il est nécessaire de tenir compte de la mentalité des peuples et de l’organisation des structures politiques dans le pays.

  • Vous poursuivez une intense activité missionnaire. Vous avez écrit quantité de livres, vous êtes l’auteur de nombreuses émissions de télévision, fondateur du portail « Jésus » sur internet. Dans quel but l’avez-vous créé ?
  • Le nom du portail parle de lui-même. Il s’agit de parler du Christ à nos contemporains, de Sa personne, de Sa doctrine. Cependant, le portail a un sous-titre : « Portail orthodoxe sur le Christ et sur le christianisme ». Jésus Christ continue à vivre dans l’Église qu’il a fondée. C’est pourquoi nous parlons de la vie de l’Église, notamment de ses problèmes. Mais la personnalité de Son Divin Fondateur reste au centre.
  • Le président hongrois Janos Ader, sur présentation du premier ministre Viktor Orban, vous a conféré l’une des plus hautes distinctions de l’état hongrois, la Croix de commandeur avec étoile de l’Ordre du mérite. C’est la seconde décoration que vous recevez en Hongrie. Que signifie-t-elle pour vous, et que représente pour vous la Hongrie ?
  • J’ai été à la tête du diocèse orthodoxe russe de Hongrie de 2003 à 2009, et j’ai laissé une partie de mon cœur dans votre pays. Si l’on me demande quelle est la plus belle ville d’Europe, je réponds toujours : « Budapest ».

Je suis très heureux de voir que grâce à l’aide financière de l’état hongrois la cathédrale de la Dormition est en restauration. C’était mon rêve, de restaurer cette cathédrale, et il se réalise.

En 2003, lorsque je suis venu pour la première fois en Hongrie en tant qu’évêque diocésain, je suis arrivé en voiture depuis Vienne. En traversant le Pont Elisabeth, j’ai vu la cahtédrale de la Dormition. J’ai demandé au prêtre hongrois qui était avec moi : « Pourquoi cette cathédrale n’a-t-elle qu’une tour ? Où est la deuxième ? » Il m’a répondu que la deuxième avait disparu dans les bombardements à la fin de la Seconde guerre mondiale. Je me suis dis qu’il fallait la restaurer.

Durant les années où j’ai été ordinaire du diocèse de Hongrie, nous avons été engagés dans un procès contre le Patriarcat de Constantinople. Sans aucun fondement, le Patriarcat de Constantinople voulait s’approprier cette église. Nous avons gagné les trois instances, prouvant de façon convaincante que notre communauté était l’héritière de plein droit de la communauté ayant fondé la cathédrale à la fin du XVIIIe siècle, alors que Constantinople n’a jamais eu aucun rapport avec cette cathédrale.

Les procès nous ont pris beaucoup de temps et de moyens, et ce n’est qu’en 2006 que j’ai pu me mettre à réaliser mon rêve, restaurer la tour nord de la cathédrale. Grâce à la compagnie « Loukoil », qui a fait don de 200 000 euros, les travaux ont pu commencer en 2008. En mars 2009, j’ai été nommé président du Département des relations ecclésiastiques extérieures, et je suis parti pour Moscou. Dix ans plus tard, les travaux ont repris, et, à ma grande joie, la tour est restaurée. L’extérieur est terminé, les travaux de rénovation intérieure commencent, y compris la rénovation de l’iconostase historique qui sera restaurée en plusieurs étapes.

Grâce aux fonds alloués par l’état hongrois, deux autres églises seront restaurées. A Heviz, une nouvelle église sera bâtie.

Quant à cette haute distinction, je la reçois non comme un signe de reconnaissance de mes propres mérites, mais comme une marque de respect envers le rôle que joue aujourd’hui l’Église orthodoxe russe au niveau international, notamment dans la défense des chrétiens persécutés du Proche-Orient. L’état hongrois est aussi préoccupé de ce thème, il accorde des bourses aux étudiants des églises chrétiennes du Proche-Orient, organise de multiples projets humanitaires dans cette région. L’Église russe est aussi engagée dans ce travail. J’espère que par des efforts communs nous pourrons aider les chrétiens de la région où naquit le christianisme, d’où il se répandit dans le monde entier.

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