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Le métropolite Hilarion : la musique de Dimit…

Le métropolite Hilarion : la musique de Dimitri Chostakovitch résonne dans les cœurs de millions d’auditeurs

Le chef d’orchestre et pianiste Maxime Dmitrievitch Chostakovitch était l’invité du métropolite Hilarion de Volokolamsk dans son émission « L’Église et le monde » sur la chaîne de télévision « Rossia-24 » le 30 octobre 2016.

Le métropolite Hilarion : Chers frères et sœurs, bonsoir ! Vous regardez l’émission « L’Église et le monde ».
Voilà 110 ans, cet automne, que naquit le grand compositeur Dimitri Chostakovitch, dont la musique reflète toutes les horreurs et toutes les tragédies traversées par notre pays au XX siècle. Je reçois aujourd’hui le chef d’orchestre et pianiste Maxime Chostakovitch. Nous parlerons de son père. Bonjour, Maxime Dmitrievitch.
M. Chostakovitch : Bonjour, Monseigneur.
Le métropolite Hilarion : 110 ans ! C’est une longue période historique. Mais vous êtes le témoin vivant de la vie de votre père. Vous avez participé à nombre de ses concerts, à de nombreuses premières. J’ai ici la partition des 14e et 15 symphonies de Chostakovitch. Je sais que vous avez justement créé la 15e Symphonie, avec les indications de votre père.
M. Chostakovitch : Oui, mon père m’avait confié la direction de cette symphonie, et je m’étais mis au travail avec beaucoup d’enthousiasme, écoutant ses souhaits, ses remarques. Mon père n’aimait pas expliquer sa musique. Pendant le travail, il se contentait de faire des remarques sur l’accentuation : plus fort, moins fort, plus vite, moins vite. Sa confiance m’a été très précieuse. Il m’a fait confiance, et le résultat lui a plu, il me semble, du moins.
Le métropolite Hilarion : J’aimerais parler d’une période plus ancienne de la vie de D. Chostakovitch. Il y a eu un moment de rupture très important, me semble-t-il, dans son travail de composition, entre les 4e et 5e Symphonies. On sait que le compositeur a renoncé à la création de sa 4e Symphonie après la parution de l’article « Le chaos remplace la musique », dans la Pravda, en 1936, où une autre œuvre de Chostakovitch était violemment critiquée. Cette critique sur le plan idéologique aurait pu signer l’arrêt de mort du compositeur, car en 1936, après semblables articles, les gens disparaissaient généralement sans laisser de trace.
D. Chostakovitch est resté en vie, par quelque miracle, mais son œuvre a changé. La langue de l’œuvre change, la langue dans laquelle il s’adresse au monde. Si la 4e Symphonie, à mon avis, correspond assez bien à la définition « le chaos remplace la musique », car c’est effectivement une œuvre d’avant-garde, une musique difficilement accessible, cousue de dissonances et très longue, la 5e Symphonie revient brusquement à une structure beethovenienne. C’est un tout autre Chostakovitch que nous entendons.
Cela vous paraîtra peut-être étrange, mais je pense que ce coup porté « d’en-haut » a été profitable à Chostakovitch sur le plan de la créativité.
M. Chostakovitch : Les symphonies de Chostakovitch sont très différentes les unes des autres, il y a toujours quelque chose qui change. C’est pourquoi je n’aime pas qu’on essaye de finir les œuvres de Chostakovitch : il y a eu des tentatives de terminer ce qu’il n’a pas eu le temps de faire, mais le résultat n’a jamais été satisfaisant, car Chostakovitch est absolument imprévisible.
En effet, il a retiré sa 4e Symphonie pour se protéger de nouvelles attaques, comme vous l’avez dit. Et certes, la 5e Symphonie ne ressemble pas à la 4e, mais c’est une sorte d’explication. Certains y voient une concession au pouvoir. Pour ma part, je pense que son final est un credo, dans lequel Chostakovitch dit : « Non, je ne me détournerai pas de cette voie, je resterai sur mes positions, et personne ne me forcera à changer mon œuvre. » A mon avis, c’est le sens du final de la 5e Symphonie.
Le métropolite Hilarion : Je pense que tout artiste se tient sur un piédestal, il est au-dessus de son temps et des circonstances politiques. La musique de Chostakovitch vit sa propre vie, indépendamment des circonstances dans laquelle elle est née. Dans chaque symphonie, dans chacun de ses accords, une puissance intérieure se fait entendre qui résonne dans les cœurs de millions d’auditeurs. Aussi bien du vivant du compositeur que de nos jours. Je pense même que sa musique résonne encore plus aujourd’hui, car elle est plus souvent interprétée : non seulement elle reste à l’affiche, mais elle a toujours plus d’admirateurs.
M. Chostakovitch : Vous avez tout à fait raison, Monseigneur. On me demande cependant parfois : qu’en aurait-il été de la musique de Chostakovitch, s’il avait vécu dans un pays libre, s’il n’avait pas vécu sous la pression du régime soviétique.
Je pense que la musique de Chostakovitch est plus large que la notion d’humanité. Des sentiments humains comme l’amour, la haine, le chagrin, la joie sont partout et toujours les mêmes, que ce soit en Allemagne, en Amérique ou en Russie. C’est pourquoi sa musique est dédiée aux sentiments humains. Je ne pense pas que la musique de Chostakovitch aurait été différente dans d’autres circonstances politiques.
Le métropolite Hilarion : Chostakovitch est né à Saint-Pétersbourg et a grandi à Leningrad. Leningrad est sa ville natale. Sa symphonie « de Leningrad » est sans doute la plus connue. Elle a une histoire particulière, puisqu’elle a été achevée pendant le blocus de Leningrad. Elle est devenue le symbole de la résistance du peuple soviétique aux envahisseurs fascistes. Le thème de l’invasion fasciste traverse toute la 7e Symphonie, dans laquelle le compositeur représente les hordes d’assaillants. En tant que chef d’orchestre en en tant que fils du compositeur, quel est votre avis sur cette symphonie, sur son contenu intérieur ?
M. Chostakovitch : La Symphonie « de Leningrad » parle bien sûr de la guerre. Les prophètes de l’antiquité la décrivent avec des mots, les compositeurs par leur musique. Et c’est pourtant bien une prophétie aussi : autrement, comment expliquer le final de la symphonie, dont la première a eu lieu en 1942, au début d’une guerre épouvantable, destructrice, mais dans lequel résonne une prédiction de la victoire. De mon point de vue, il s’agit absolument d’une prophétie.
Le compositeur Boris Tichtchenko, l’élève préféré de Chostakovitch, s’est servi des indications de l’auteur pour compter le nombre de mesures, chronométrer le thème de l’invasion, qui se poursuit tout le temps que joue le petit tambour (chaque mesure a quatre quarts de ton, chaque quart de ton, selon l’auteur, revient à 126 coups par minutes). Ses calculs l’ont amené à un résultat stupéfiant : l’ensemble du thème de l’invasion dure 666 secondes et 6 par période. Je ne peux autrement l’expliquer que comme un signe d’en haut.
Le métropolite Hilarion : Détrompez-moi si nécessaire, mais il me semble que d’un point de vue purement musical, le thème de l’invasion rappelle le « Boléro » de Maurice Ravel, une œuvre d’un tout autre genre.
M. Chostakovitch : Mon père plaisantait à ce sujet. Dans une lettre à un ami, il écrit que celui-ci lui reprochera sûrement cette ressemblance avec le « Boléro » de Ravel. La forme est peut-être semblable, en effet, mais le sens est complètement différent.
Le métropolite Hilarion : C’est étonnant de constater qu’une ressemblance extérieure n’influe pas sur le contenu : le « Boléro » est une dance, une mélodie flexible, belle, élastique, tandis que chez Chostakovitch nous voyons s’avancer de redoutables bataillons, se rapprocher des chars d’assaut. Du même petit tambour, Ravel tire de magnifiques sonorités berçantes, tandis que Chostakovitch fait naître une incroyable puissance.
M. Chostakovitch : J’étais encore un tout petit garçon lorsque mes parents m’ont emmené à la première de la 7e Symphonie, à Kouïbychev. Cette musique m’avait fait une impression terrible : l’approche de cette horrible puissance, le battement du tambour m’avaient fortement effrayé. Lorsque je suis rentré, je n’ai pas pu trouver le sommeil pendant longtemps. A l’époque, les journaux étaient remplis de caricatures représentant des fascistes assoiffés de sang, coupant les têtes à coups de hache, etc. Ma nourrice, qui était très pieuse, m’a longuement lu le Psautier pour que je me calme.
Le métropolite Hilarion : Les épreuves de la guerre sont également reflétées dans une autre œuvre de Chostakovitch, son Huitième quatuor à cordes, qu’il a dédié aux victimes de la guerre.
M. Chostakovitch : A la mémoire des victimes du fascisme, c’est ce qui est écrit.
Le métropolite Hilarion : A la mémoire des victimes du fascisme, tout à fait. Mais c’est aussi une œuvre profondément autobiographique. Ce n’est pas un hasard, si le compositeur y a chiffré sa signature musicale.
M. Chostakovitch : Chostakovitch a dédié cette œuvre aux victimes du fascisme à la demande des autorités. En fait, le Huitième quatuor à cordes, mon père se l’est dédié à lui-même. Il comporte sa signature musicale, « DSCH », qu’il utilise d’ailleurs assez souvent dans ses œuvres. C’est un monogramme musical, reprenant les premières lettres de son prénom et de son nom en allemand, qui traverse l’œuvre d’un bout à l’autre.
Le métropolite Hilarion : Je pense que le thème des relations entre Chostakovitch et le pouvoir, sur lequel il a beaucoup été écrit, y compris en Occident, se reflète aussi dans son œuvre. Vous avez parlé de la Ve Symphonie…
M. Chostakovitch : C’est sa symphonie héroïque.
Le métropolite Hilarion : Chostakovitch y proclame qu’il continuera à suivre sa voie. Nous sommes en 1937. Mais en dehors de l’année 1937, il y a eu aussi l’année 1948, où le compositeur, déjà célèbre, l’auteur de la « Symphonie de Leningrad », connu dans le monde entier, reçoit un nouveau coup sous la forme d’un décret du Parti, signé d’A. A. Jdanov qui condamne les compositeurs écrivant de la musique « antipopulaire », dont Chostakovitch. Il est exclu du conservatoire, ses œuvres ne sont plus jouées, elles sont pratiquement interdites.
Les rapports entre le compositeur et le pouvoir étaient bâtis sur le principe décrit par Tchekhov dans son célèbre récit « Kachtanka » : un jeune garçon, le maître du chien Kachtanka, attachait un morceau de viande à un fil et le donnait à la bête ; lorsqu’elle avait avalé le morceau, il tirait sur le fil… Ici aussi, il y a eu des encouragements, des prix Lénine, des prix Staline…
M. Chostakovitch : La politique du bâton et de la carotte.
Le métropolite Hilarion : … et ensuite, ce genre de décrets.
M. Chostakovitch : C’était une époque épouvantable.
Le métropolite Hilarion : A cette même époque, en 1948, Chostakovitch a écrit son magnifique Premier concerto pour violon et orchestre. David Oïstrakh, auquel est dédié ce concerto, a été longtemps sans l’interpréter. Il écrit dans ses souvenirs que cette musique lui parut d’abord difficile, il ne s’y est pas fait tout de suite.
M. Chostakovitch : Chostakovitch dédiait toujours sa musique loin à l’avance dans le temps, pour le siècle suivant, pour le futur. J’ai eu le bonheur d’enregistrer ce concerto à Londres avec David Oïstrakh. Il aimait beaucoup cet enregistrement.
Le métropolite Hilarion : Jusqu’à une date récente, Moscou n’avait pas de monument à Chostakovitch. Il y en a un maintenant, sur les marches de la Maison de la musique. Je pense que l’ouverture du monument à Chostakovitch a été un évènement important.
Je me considère comme un élève de D. Chostakovitch, car mon professeur, Vladimir Dovgan, fut l’élève de Boris Tchaïkovski, qui fut lui-même élève de Chostakovitch. Il y a donc ici un lien de transmission. J’ai été imprégné de la musique de Chostakovitch dès le sein de ma mère, au sens propre du terme, car lorsque ma mère m’attendait, elle écoutait les œuvres de Chostakovitch. J’ai grandi avec sa musique, je vis avec elle depuis 50 ans. Et j’ai envie de souhaiter à nos téléspectateurs d’écouter la musique de Chostakovitch.
M. Chostakovitch : Beaucoup disent que la musique de Chostakovitch est le miroir de notre temps. Certes, elle reflète des moments terribles de notre histoire. Ces moments terribles lui ont inspiré ses œuvres.
Le métropolite Hilarion : Merci, Maxime Dmitrievitch, d’avoir été notre invité.

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