« On s’y préparait depuis 1961 »
La préparation du Concile panorthodoxe qui devrait avoir lieu en 2016 à Istanbul s’étant accélérée, le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou, a expliqué aux lecteurs de la revue socio-politique « Ogoniok » à quoi servirait la rencontre de toutes les Églises orthodoxes.
- Quel est l’ordre du jour du Concile ?
- Au départ, le Concile panorthodoxe devait débattre d’une centaine de thèmes. Ensuite, dans le courant de la préparation, il a été décidé de réduire l’ordre du jour à dix thèmes concernant d’une façon ou d’une autre toutes les Églises locales. La question de l’administration des communautés de la diaspora, c’est-à-dire de toutes les communautés existant en dehors des pays de tradition orthodoxe, l’Europe occidentale, par exemple, ou le continent américain, a une grande importance. Il a aussi été décidé de systématiser les règles ecclésiastiques sur le mariage et sur le jeûne. Le Concile aura également à examiner la question du calendrier ecclésiastique, qui a tendu la situation dans de nombreuses Églises locales après leur passage au nouveau style. Le Concile devra évaluer le dialogue des Églises orthodoxes avec l’hétérodoxie, déterminer les limites de ces contacts. Le racisme et d’autres thèmes sociologiques faisant partie de l’actualité des années 1960-70 avaient été proposés à l’examen du Concile. Ces thèmes ont beaucoup vieilli et ils doivent être réexaminés. Il y aura différentes questions ayant trait aux structures administratives de l’Église et à son protocole. Les Églises orthodoxes devront notamment définir le statut d’autocéphalie et d’autonomie des Églises et résoudre la question technique des dyptiques, cette liste des Primats.
Enfin, le Concile devra bien entendu répondre aux nouveaux défis de notre époque, comme le culte de la consommation, athée dans son principe, et cause de la crise économique et écologique, l’éradication volontaire des bases morales de la famille, le nationalisme radical et l’extrémisme pseudo-religieux. Le Concile ne pourra pas passer sous silence les nouvelles persécutions contre le christianisme, qui se manifestent sous différentes formes dans différentes régions du monde.
- Qui participera au Concile et comment seront choisis les délégués ?
- La question de la représentation des Églises orthodoxes a été débattue pendant le rencontre des Primats, qui a eu lieu à Istanbul du 5 au 9 mars. Il a été décidé que chaque Église locale serait représentée par son Primat et au plus 24 évêques. Les Églises qui ne disposent pas de ce nombre d’évêques seront représentées par l’ensemble de leur épiscopat, présidé par le Primat. La question du mode de délégation des représentants des Églises locales sera résolue par chacune d’entre elle de façon autonome.
- Le précédent Concile a eu lieu avant le schisme entre l’Église orthodoxe et l’Église catholique. La question de l’union des orthodoxes et des catholiques sera-t-elle abordée, ainsi que le rôle du Pape dans le monde chrétien ?
- Des tentatives de réunion de l’Église ont eu lieu après le schisme, au Concile de Lyon en 1274 et au Concile de Ferrare-Florence en 1438-1445. Cependant, elles se sont soldées par un échec total et n’ont servi qu’à aggraver le schisme. L’union des orthodoxes et des catholiques n’est pas à l’ordre du jour du Concile, d’autant que depuis, une partie importante du christianisme occidental s’est séparée du catholicisme, fondant différents courants protestants. Le problème de l’unité chrétienne ne sera évoquée qu’indirectement pendant les discussions sur le dialogue des orthodoxes avec l’hétérodoxie. Par ailleurs, il faut souligner que les tendances qui se manifestent ces derniers temps dans certaines communautés protestantes, comme la bénédiction des cohabitations homosexuelles, non seulement rendent impossible le dialogue des orthodoxes avec ces communautés, mais encore posent la question de leur appartenance au christianisme.
Quant au rôle du Pape dans le christianisme, la tradition orthodoxe multiséculaire rejette unanimement la primauté de l’évêque de Rome sur les chefs des autres Églises et sa juridiction sur l’univers. Dans tous les cas, cette question n’a pas été introduite à l’ordre du jour du Concile panorthodoxe.
- Quel est le rôle de l’Église orthodoxe russe dans la préparation du Concile ?
- Depuis le début de la préparation du Concile, donc depuis la Conférence de Rhodes en 1961, l’Église orthodoxe russe s’est activement engagée dans le processus de préparation. Notre Église est la seule à avoir proposé des documents sur les 100 thèmes du premier ordre du jour. Par la suite, les représentants du Patriarcat de Moscou n’ont manqué aucune réunion de la commission interorthodoxe préparatoire et de la conférence panorthodoxe préconciliaire. Ils ont participé à toutes les discussions, énonçant des propositions soigneusement élaborées et défendant des positions enracinées dans la tradition orthodoxe et l’expérience religieuse multiséculaire de l’Église.
- Quels intérêts défendra l’Église orthodoxe russe pendant le Concile ?
- L’intérêt principal de notre Église à ce Concile, est la préservation de l’unité de l’Église et la pureté de la foi orthodoxe dans le cadre des réalités historiques contemporaines. Au cours d’une discussion difficile, pendant la dernière rencontre des Primats, Sa Sainteté le Patriarche Cyrille de Moscou et de toute la Russie est parvenu à obtenir que tous les Primats reconnaissent la nécessité du principe de consensus dans la prise de décision, tant au cours de la préparation préconciliaire, que pendant le Concile proprement dit. L’observation de ce principe à notre époque est une garantie fiable et sûre de l’unité de l’orthodoxie que doit justement mettre en évidence le Concile panorthodoxe.
- Quels sont les objectifs du Concile panorthodoxe ? Pourquoi les hiérarques de toutes les Églises orthodoxes doivent-ils se rassembler ?
- L’Église orthodoxe n’a pas de centre administratif. Depuis les temps apostoliques, toutes les questions importantes ont été portées à la discussion conciliaire, nous dirions aujourd’hui résolues de façon collégiale. Cela concerne aussi bien les questions doctrinales que la discipline ou l’administration ecclésiastiques. Les questions concernant la vie de telle ou telle Église locale sont résolues au cours des Conciles locaux, comme cela se pratique, par exemple, dans l’Église orthodoxe russe. Celles qui dépassent la compétence des Églises locales doivent être examinées par un Concile composé de représentants de toutes les Églises orthodoxes. Les décisions de ce Concile font autorité pour toute l’Église.
- Alors pourquoi n’a-t-on pas convoqué de Concile depuis plus de 1000 ans ?
- Les sept Conciles œcuméniques qui se sont déroulés du IV au VIII siècles, ont formulés les dogmes de l’Église et son droit canon. Grâce à ces documents fondateurs, l’Église remplit avec succès sa mission depuis des siècles. Durant les 13 siècles qui se sont écoulés depuis le VII Concile œcuménique de 787, de multiples conciles épiscopaux d’ampleur différente se sont réunis. Mais pour différentes raisons historiques objectives, ils ne représentaient pas la plénitude de l’Église orthodoxe. Il s’agit maintenant de restaurer les mécanismes conciliaires au niveau panorthodoxe, afin de répondre aux questions d’actualité de la vie de l’Orthodoxie.
- Pourquoi le Concile n’a-t-il pas eu lieu dans les années 1960, lorsqu’on a commencé à le préparer ? Qu’est-ce qui a empêché sa convocation ?
- Durant le processus de préparation du Concile, des divergences assez importantes entre les positions des différentes Églises ont été mises au jour. Afin de trouver un consensus sur ces questions, et c’est sur ce principe que s’appuie et continue à s’appuyer le processus préconciliaire, il a fallu du temps. C’était d’ailleurs providentiel, puisque les années écoulées ont permis de reculer certaines problèmes au second plan, tandis que des questions nouvelles et plus profondes se sont posées, auxquelles le Concile panorthodoxe devra répondre.
Propos recueillis par Pavel Korobov