Le métropolite Hilarion : l’œuvre de Dostoïevski prêche les idéaux évangéliques
Le 9 février 2021, fête de la translation des reliques de saint Jean Chrysostome, le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou, a célébré la Divine liturgie à l’église Notre-Dame-Joie-de-tous-les-affligés, à Moscou.
Des prières ont été dites pour la fin de l’épidémie de coronavirus, ainsi que pour le repos de l’âme de l’écrivain Fiodor Dostoïevski, décédé il y a 140 ans.
A la fin de la liturgie, Mgr Hilarion a célébré à son intention un office de requiem, puis a prononcé une homélie.
« Chers frères et sœurs, aujourd’hui l’Église fête saint Jean Chrysostome, archevêque de Constantinople. A la fin du IVe et au début du Ve siècle, il a témoigné du Christ par ses multiples homélies et par ses écrits. Nous faisons aussi mémoire de Fiodor Mikhaïlovitch Dostoïevski, rappelé à Dieu il y a aujourd’hui 140 ans. Sa fin a été véritablement chrétienne, paisible et sans honte. Il mourut entouré de ses proches, après s’être confessé et avoir communié aux Saints Mystères du Christ, en paix avec Dieu, avec les hommes et avec sa conscience.
Dostoïevski avait grandi dans la foi chrétienne. Enfant, il allait à l'église, il connaissait bien l’Écriture Sainte grâce à un livre dans lequel sa mère lui avait appris à lire. Les cours de catéchisme que lui dispensait un diacre à domicile ajoutèrent à ses connaissances.
Dans sa jeunesse, après avoir goûté ses premiers succès littéraires, influencé par son entourage, il s'intéressa à différentes doctrines dont l'objectif était de bâtir une société sans Dieu, où le peuple serait heureux. Il se mit à fréquenter un cercle où l’on discutait des moyens de transformer la société. Les uns disaient : « Pour que les gens soient heureux, il faut renverser la monarchie ». D’autres protestaient : « Inutile de renverser la monarchie, il suffit de se donner une constitution ». Il y avait ainsi différents projets, tendant tous au bonheur du peuple.
Dostoïevski fréquentait ces réunions. Il y lut une fois une lettre du critique littéraire Belinski à Gogol. Gogol était profondément orthodoxe et, dans ses « Morceaux choisis de ma correspondance avec mes amis », il défendait la foi et l’Église. Mais Belinski, qui était athée et détestait l’Église et le Christ, critiquait violemment dans sa lettre l'ouvrage de Gogol. Fiodor Dostoïevski, qui était jeune et fortement influencé par Belinski, lut cette lettre à haute voix.
Cela suffit pour qu'il fût condamné à mort avec les autres membres de ce cercle. Mené à l’échafaud avec les autres traîtres à la patrie, il entendit prononcer la sentence de mort... Il ne lui restait plus, pensait-il, que quelques instants à vivre. A la dernière minute, la sentence de mort fut annulée, et Dostoïevski envoyé au bagne où il passa quatre longues années. Il servit ensuite comme soldat, puis comme officier.
Ces années furent un temps de réveil spirituel, de renaissance des convictions, selon son expression. De partisan, semble-t-il, des idées socialistes, Dostoïevski devint un monarchiste convaincu, partisan d'une évolution, et non d'une révolution de la société. Il revint à la foi chrétienne dans laquelle il avait été éduqué et dont il avait failli s'éloigner sous l'influence de Belinski et d'autres penseurs, rêvant de révolution.
Après ses longues années de bagne et de service militaire, Dostoïevski revint à la littérature, mais à un autre niveau. Ce n’était plus un simple romancier inventant des histoires, mais un prophète, par lequel Dieu parlait au peuple russe. Seulement, ses prophéties n’ont pas la forme d’œuvres théologiques, elles ont forme littéraire. Dostoïevski revêtait ses héros de ses traits propres, de ceux qu’il aimait ou détestait chez les autres. Par ses œuvres, il montre par quel chemin le Seigneur conduit son peuple, et sur quelle voie veulent l’entraîner ceux qui rêvent de donner au peuple le bonheur en le privant de Dieu.
Aux temps de la jeunesse de Fiodor Dostoïevski, ceux qui voulaient la révolution étaient surtout des rêveurs. Mais, à son retour du bagne, il constate que le mouvement révolutionnaire a pris de l’ampleur : des rêves et des mots les révolutionnaires sont passés à l’action. A l’action terroriste, principalement. Des étudiants sont tués, ceux dont les convictions ne conviennent pas aux révolutionnaires. On s’en prend au tsar lui-même.
L’intelligentsia et la société aristocratique de l’époque comptaient de nombreuses personnes auxquelles l’idée de révolution était sympathique. Peu d’entre elles distinguaient le noyau véritablement démoniaque de l’idéologie révolutionnaire. Dostoïevski était l’un des rares à le discerner. Saint Jean de Cronstadt en sera un autre, un peu plus tard.
Fiodor Dostoïevski a consacré aux révolutionnaires un roman au titre éloquent : « Les Démons ». Il y a représenté ceux qui, quatre décennies plus tard, arriveraient au pouvoir et dont l'idéologie triompherait. Il était vraiment prophète, ayant vu l’abîme dans lequel le pays allait s'engouffrer sous la houlette de ces idéologues.
Pour ses lecteurs, Dostoïevski décrit l’idéal chrétien. Au bagne, il prit conscience que le seul idéal capable de servir de repère absolu aux hommes était le Seigneur Jésus Christ. A son arrivée à la prison de Tobolsk, il rencontra les femmes des décembristes, trois femmes qui avaient déjà passé un quart de siècle en Sibérie. L'une d'elles lui remit un Évangile. Le seul livre autorisé aux bagnards. Les autres livres, de même que le papier, les plumes et les crayons, étaient interdits. Mais la lecture de l’Évangile était autorisée. Dostoïevski le gardait sous son oreiller pendant la journée et le lisait la nuit.
Il l'étudia en long et en large. L’Évangile eut sur lui un tel effet rénovateur, eut sur lui une influence si bouleversante qu’il se sentit entièrement renaître. Ses romans abondent en citations de l'Écriture, en images évangéliques. Au moment crucial, c’est le texte évangélique qui parle, cité par l’auteur. Dostoïevski, par son œuvre, par ses romans, par son travail de publiciste qu’il développe durant les dernières années de sa vie, ne cessait de prêcher l’idéal évangélique, le Christ.
Fiodor Dostoïevski était gravement malade. Il était épileptique, souffrait d’une grave maladie des poumons, et il mourut trop tôt. Mais sa mort fut celle d’un chrétien ayant donné toutes ses forces à la prédication du Christ. Dostoïevski n’était pas théologien, il était prophète. Après sa mort, il est devenu apôtre, car ses œuvres ont été traduites. Il n’existe sûrement pas de langues, aujourd’hui, dans lesquelles les œuvres de Dostoïevski n’auraient pas été traduites. Dans le monde entier, quantité de gens ne connaissent la Russie que parce qu’ils lisent Dostoïevski. Ils découvrent dans ses livres l’orthodoxie, le phénomène spirituel des startsy russes et les monastères.
Aujourd’hui, 140e anniversaire de la mort de l’écrivain, nous avons célébré un office pour que le Seigneur lui pardonne tous ses péchés, volontaires et involontaires, et qu’Il lui accorde mémoire éternelle.
A notre époque, on dit souvent que le peuple a besoin d’idéaux, que sans idéaux le peuple ne peut pas avancer. Dostoïevski a montré l’idéal que nous sommes tous appelés à suivre : c’est notre Seigneur Jésus Christ. A son retour du bagne, il écrivit à Natalia Fonvizina, la femme qui lui avait offert l’évangile : pendant ses années de travaux forcés, dit-il, il s’est forgé un credo tout simple, consistant à « croire qu’il n’est rien de plus beau, de plus profond, de plus sympathique, de plus raisonnable, de plus courageux ni de plus parfait que le Christ... » De fait, la personnalité divino-humaine du Seigneur Jésus Christ a toujours dominé sa vie, elle a toujours été présente à ses yeux, et cet idéal, il l’a décrit pour ses contemporains et pour nous.
C’est pourquoi nous sommes reconnaissants à Dieu de nous avoir donné Fiodor Mikhaïlovitch Dostoïevski, immense écrivain russe, prophète et apôtre de notre peuple. Nous prions le Seigneur de le faire reposer là où reposent les justes. Amen.