L’archevêque Théophane de Corée : les églises russes pourront devenir des ponts de l’amitié entre la Russie et la Corée
L’orthodoxie est apparue en Corée à la fin du XIXe siècle, avec la création par le Synode de la Mission russe de Corée. L’archevêque Théophane de Corée (né Alexeï Kim), citoyen d’honneur de Séoul (2006) et premier Coréen à être devenu évêque orthodoxe, raconte au correspondant de RIA Novosti comment se développent les paroisses de Corée du Sud, notamment à la lumière des événements d’Ukraine
– Comment le clergé et les paroissiens du diocèse ont-ils accueilli la nouvelle de l’arrestation du supérieur de la laure des Grottes de Kiev, le métropolite Paul ? Que pensent-ils des poursuites engagées par les autorités ukrainiennes contre le clergé de l’Église orthodoxe ukrainienne, des persécutions contre l’Église orthodoxe ukrainienne ?
– Les persécutions contre l’Église orthodoxe ukrainienne, avec l’aval et parfois la participation des autorités de l’Ukraine, ne datent pas d’hier. L’attitude du Patriarcat de Constantinople, qui s’est immiscé dans les affaires de l’Église orthodoxe russe en soutenant un groupe schismatique en Ukraine, a joué un rôle déterminant. Au profit de ce groupe schismatique, créé par les autorités ukrainiennes et par le Patriarcat de Constantinople, les autorités procèdent à la saisie des lieux de culte et chassent les prêtres des églises construites par les communautés de l’Église orthodoxe ukrainienne, où elles priaient depuis. Ces persécutions n’ont pas seulement touché le supérieur de la laure des Grottes de Kiev, bien entendu, mais la plus grande partie de l’épiscopat et des laïcs de l’Église orthodoxe ukrainienne. Les raids illégaux contre les églises se sont multipliés, des prêtres ont été tabassés, des évêques ont été arrêtés sous des prétextes fallacieux.
Nous avons la plus grande compassion pour ceux qui subissent des coups, des calomnies, des raids contre leurs églises, et nous prions pour que ces troubles se terminent au plus tôt, pour que l’État cesse de poursuivre ses propres citoyens pour des motifs religieux.
– L’exemple des fidèles persécutés de l’Église orthodoxe ukrainienne est-il important pour ceux du diocèse, et si oui, pourquoi ?
– Il y a toujours eu des persécutions dans l’histoire de l’Église, depuis le premier siècle jusqu’à nos jours. Le Seigneur Jésus avait prévenu Ses disciples. Il n’y a pas si longtemps, l’Église russe a traversé une période de persécutions, vécu sous un régime communiste athée. Cette période lui a valu de nombreux martyrs pour la foi. Ces persécutions, ainsi que les persécutions contre l’Église en Ukraine, montrent qu’il est nécessaire pour les chrétiens d’affermir constamment leur foi.
– Comment la situation a-t-elle changé sur la presqu’île de Corée avec la montée des tensions dans les relations entre la Russie et l’Occident, le début de l’opération militaire spéciale russe ? Qu’en est-il de la vie paroissiale, des dispositions des paroissiens ?
– Je n’ai pas remarqué de changements particuliers dans la vie de nos paroisses, à part quelques disfonctionnements liés à l’annulation des vols directs entre la Russie et la Corée.
– A votre avis, du point de vue historique, politique, spirituel, peut-on s’attendre à ce que les persécutions contre l’Église orthodoxe russe cessent prochainement ? Si oui, quels sont les signes qui l’indiquent ? Si non, que doit-on faire pour que des conditions préalables apparaissent ?
– Il va de soi que les persécutions contre l’Église orthodoxe ukrainienne sont liées à la situation politique. Les autorités de l’Ukraine doivent cesser d’interférer dans les décisions ecclésiastiques ; les mesures que prend le pouvoir actuel n’apporteront pas la paix au pays, elles ne feront que diviser encore plus les Ukrainiens. Par ailleurs, à mon avis, la communauté internationale devrait attirer l’attention de l’Ukraine sur les violations permanentes des droits des fidèles en Ukraine et exiger le respect de la loi sur la liberté de conscience et les organisations religieuses.
Quoi qu’il en soit, les fidèles sont convaincus que tout est dans la main de Dieu et qu’Il a permis que les fidèles de l’Église orthodoxe ukrainienne soient persécutés, c’est pourquoi il faut redoubler de prières et demander à Dieu le retour rapide à la paix en Ukraine.
– Comment se développe actuellement le ministère de l’Église orthodoxe russe en Corée ? Quels sont vos réussites, vos projets, qu’est-ce qui constitue le principal défi ?
– Le diocèse de Corée a été fondé relativement récemment, en 2019. De fait, l’ouverture du diocèse sur la presqu’île de Corée est une renaissance de la Mission russe en Corée, qui a fonctionné de 1900 à 1949. En 2006, une église de l’Église orthodoxe russe a été consacrée à Pyongyang, capitale de la Corée du Nord. En 2019, des paroisses ont été fondées en Corée du Sud. Les paroisses regroupent principalement des citoyens russophones de différents pays, mais il y a des paroissiens issus de la population locale, ainsi que des paroissiens de pays anglophones.
Le premier objectif, après l’ouverture des nouvelles paroisses, a été l’organisation de la vie liturgique. Il a fallu se procurer le nécessaire : des locaux, des vases liturgiques, des clercs. Nous maintenons le tout en l’état, mais il faut dire que peu de temps après l’ouverture des paroisses, non seulement nous, mais le monde entier a été confronté à un nouveau défi de notre temps : la pandémie de covid-19. Jusqu’à une date récente, les organisations religieuses étaient concernées par des mesures de restriction strictes, qui ne nous permettaient pas de développer la vie paroissiale.
Aujourd’hui, cette période difficile de la pandémie appartient au passé, nous sommes revenus à notre rythme liturgique ordinaire. Nous avons récemment été enregistrés par l’État en tant qu’association religieuse, ce qui nous permet de mieux réaliser nos projets. Le problème principal auquel sont confrontées actuellement nos paroisses est le manque d’églises : nous sommes obligés de louer des locaux pour la célébration des offices, ce qui limite considérablement nos possibilités de développement.
– D’après le site du diocèse, il existe des paroisses aussi bien en Corée du Nord qu’en Corée du Sud ? Comment cela influe-t-il sur le ministère dans la région ? Quelles opportunités cela ouvre-t-il ? Comment les autorités des deux pays considèrent-ils l’activité de l’Église orthodoxe russe ? Le fait que la Corée du Sud ait été incluse à la liste des pays hostiles à la Fédération de Russie a-t-il eu des répercussions ?
– Le fait que le diocèse soit à cheval sur deux pays cause certaines difficultés. Pour des raisons évidentes, nous ne pouvons pas organiser une réunion générale, ou un office commun. Mais qu’il n’y ait qu’un seul diocèse de l’Église orthodoxe russe pour ces pays constitue un témoignage visible qu’il a été créé pour un seul peuple. C’est aussi un témoignage de la mission de paix que peut remplir notre diocèse sur la presqu’île.
En ce qui concerne l’activité de l’Église orthodoxe russe, les autorités locales des deux pays n’y font pas obstacle.
– Parlez-nous plus en détail des paroisses. Comment le diocèse compte-t-il de prêtres ? Qui sont-ils, où ont-ils été formés ? Combien de paroissiens avez-vous environ, quelle est leur démographie ?
– Il y a une paroisse en Corée du Nord, l’église de la Sainte-Trinité de Pyongyang ; en République de Corée, il y a deux paroisses : à Séoul et à Poussan. Plusieurs clercs de l’église de Pyongyang ont reçu une formation théologique dans les écoles de l’Église orthodoxe russe en Russie. En Corée du Sud, nous avons un hiéromoine, le père Paul Tchkhvé, et un hiérodiacre. Le père Paul a été formé à l’académie de théologie de Saint-Pétersbourg. La paroisse de la Résurrection de Séoul compte une centaine de paroissiens. A Poussan, il y a une quarantaine de personnes. Sans compter les personnes qui résident en Corée mais qui, pour différentes raisons, viennent très rarement à l’église : certains vivent trop loin, d’autres ont un emploi du temps trop chargé. Ils sont assez nombreux. La majeure partie des paroissiens, ce sont des citoyens russophones issus de différents pays de la CEI, ainsi qu’entre 20 et 30 % de Coréens natifs, et des étrangers d’autres pays.
– Comment les Coréens se convertissent-ils ? Cela arrive-t-il souvent ? Une activité missionnaire est-elle en cours ?
– Chacun de nos paroissiens coréens a sa propre histoire, a découvert la foi orthodoxe à sa manière. L’un s’est intéressé à l’histoire de la Russie, puis à l’orthodoxie. Un autre a lu plusieurs romans célèbres de Dostoïevski et a pris conscience de la profondeur de la doctrine orthodoxe. Il y a ceux qui ont découvert la littérature spirituelle en coréen, ceux qui sont venus à l’Église grâce à des amis ou à des conjoints russophones. Notre mission est limitée, car nos moyens sont limités : je parle des ressources humaines. Nous nous efforçons surtout de partager l’information sur l’orthodoxie par le biais des réseaux sociaux.
– Parlez-nous des particularités des célébrations, qui ont lieu en coréen et en slavon d’église. Dans quels cas utilisez-vous le coréen, quand préférez-vous le russe ? Comment les textes liturgiques ont-ils été traduits en coréen ? Ce travail se poursuit-il ?
– Nous célébrons à part égale en russe et en coréen. L’office divin doit être compréhensible de tous, et nous souhaitons répondre aux attentes de tous les paroissiens. Les moments les plus importants de la liturgie sont doublés, dits en russe et en coréen. Depuis la création de notre diocèse, nous travaillons à la traduction des textes liturgiques. Nous avons fondé une maison d’édition qui a publié le rituel de la Divine liturgie, un psautier liturgique, et nous travaillons intensivement à la traduction d’un recueil liturgique contenant les principaux rites en coréen. Pour cela, les clercs du diocèse se rassemblent plusieurs fois par semaine et travaillent ensemble aux traductions. Nous utilisons les textes grecs originaux, les textes russes, des traductions anglaises. Nous consultons parfois aussi les traductions chinoises et japonaises. Enfin, nous utilisons aussi les traductions publiées auparavant. Nous discutons chaque mot, chaque phrase, parfois assez longuement, et laissons la version qui transmet à notre avis le mieux le sens du texte traduit.
– A votre avis, sera-t-il possible un jour de faire bâtir une église orthodoxe à Séoul ou à Poussan ?
– Nous l’espérons vraiment. Le problème principal est le financement, car les terrains et l’immobilier coûtent très cher en Corée. Nous aurons besoin de dons. Nous prions pour qu’en Corée soient bâties de vraies églises russes qui deviendront, j’en suis sûr, de véritables ponts de l’amitié entre la Corée et la Russie.