L’évêque Victor de Barychevka : Nous assistons à un extraordinaire élan spirituel chez les fidèles ukrainiens
L’évêque Victor de Barychevka, chef de la Représentation de l’Église orthodoxe ukrainienne auprès des organisations européennes internationales, a donné une interview au portail pravoslavie.ru. Il a parlé du séjour à Kiev du patriarche de Constantinople, de la création du mouvement « Miriané » (« Laïcs ») et d’autres événements récents.
- Excellence, l’orthodoxie traverse aujourd’hui des temps difficiles. L’intervention non canonique du patriarche Bartholomée de Constantinople a entraîné une crise dans l’Église. Elle a causé la rupture de la communion eucharistique avec le Patriarcat de Constantinople et avec certains hiérarques d’autres Églises locales, qui ont soutenu ses actes. Quelle est aujourd’hui la situation de l’Église en Ukraine ?
- La situation actuelle de l’Église en Ukraine me semble illustrer les paroles de l’apôtre Paul sur la puissance de Dieu qui s’accomplit dans la faiblesse (II Co 12,9). Les attaques contre l’Église orthodoxe ukrainienne se poursuivent ouvertement, sous la forme d’interventions des fonctionnaires de l’État dans la sphère ecclésiastique, de harcèlement médiatique, d’arbitraire des autorités locales qui enregistrent illégalement les paroisses de l’Église orthodoxe ukrainienne dans « l’église orthodoxe d’Ukraine ». La forme la plus frappante de ces manifestations d’hostilité est, bien sûr, les usurpations d’églises par les partisans de « l’église d’Ukraine ». Ces occupations d’églises s’accompagnent d’actes de violence sur les paroisses, parfois sur les ministres du culte, de menaces contre les fidèles qu’on cherche à effrayer, etc.
Il est particulièrement triste de voir certains partisans de « l’église d’Ukraine », qui se disent chrétiens, harceler des enfants, recourant parfois à la violence physique. A Zadoubrovka, dans la région de Tchernovtsy, une élève de 9e classe n’a pas eu le droit de venir à la fête de fin d’année, sous prétexte qu’elle appartient à l’Église orthodoxe ukrainienne. A Sadov, en Volhynie, un garçon de 16 ans, fils du recteur de la paroisse locale, a été battu. Les médecins ont diagnostiqué des traumatismes crâniens sévères, une hémorragie et de nombreux hématomes.
D’un autre côté, nous assistons à un élan spirituel extraordinaire chez les fidèles et dans le clergé ; les gens sont solidaires de leurs recteurs, ils manifestent leur fidélité au Christ et à l’Église, ils ont conscience d’être frères et sœurs en Christ. Toute l’Église réagit à la douleur et aux souffrances d’une communauté ou d’un fidèle. Cela peut sembler étonnant et incroyable, mais presque tous les villages dont les églises ont été occupées par les schismatiques (plus de cent localités, principalement dans les régions occidentales de l’Ukraine), ont déjà une nouvelle église, ou une nouvelle église y est en construction, ou une collecte pour la construction d’une église est en cours. L’aide – financière ou matérielle, sous forme de matériaux de construction, de vases et d’objets liturgiques – arrive de tous les coins du pays.
- Cet élan, cette force d’âme dont vous parlez se sont clairement manifestés dans la Grande procession de la fin du mois de juillet, pour la Journée du Baptême de la Russie. L’ampleur et la grandeur de cet événement viennent confirmer une fois de plus les paroles du Sauveur : les portes de l’enfer ne prévalent pas sur l’Église (Mt 16,18).
- Oui, tout à fait. Il faut dire que d’année en année le nombre de participants à la Grande procession augmente. Ils étaient 350 000 cette année ; l’an dernier la procession n’avait pas eu lieu à cause de la pandémie ; en 2019, il y avait environ 300 000 pèlerins, contre 250 000 l’année précédente. Ce qui est intéressant, c’est que la police municipale qui divise « traditionnellement » le nombre des participants par dix, obéissant à des ordres venus d’en haut, témoigne aussi de l’augmentation du nombre de fidèles d’année en année. C’est bien la preuve que, malgré les sondages et les « études statistiques » truqués, l’Église orthodoxe ukrainienne reste la principale Église du pays.
- Néanmoins, « l’EOd’U » n’hésite pas à déclarer à qui veut l'entendre que leur « église » progresse rapidement et a de plus de en plus de partisans...
- J’aimerais savoir où sont ces partisans... Pourquoi ne les voit-on ni dans les processions, ni dans les églises de « l’EOd’U » qui restent vides ? Les processions sont des moments de prière intense dans la vie spirituelle des orthodoxes. Non pas que je veuille me vanter du nombre de participants à la Grande procession, ou des nombreuses réunions de prières que notre Église organise un peu partout dans le pays, mais elles témoignent toutes que le Seigneur est avec nous.
- Dans ce contexte, la venue du patriarche Bartholomée à Kiev a paru tout à fait déplacée. Que diriez-vous de cette visite ?
- D’une part, le patriarche Bartholomée est venu à l'invitation des autorités civiles de l’État ; on ne sait donc pas très bien à quel titre il était reçu. S’il était reçu comme leader spirituel, il s’agit d’une violation du principe constitutionnel de séparation de l’Église et de l’État. S’il était reçu comme leader politique, il faut préciser qu'à la différence du Vatican, le Phanar n’est pas un État...
D’autre part, l’Église orthodoxe ukrainienne n’a pas invité le patriarche Bartholomée ; bien plus, elle l’a prié de s’abstenir de cette visite, craignant fort justement qu’elle provoquerait une nouvelle vague d’usurpations d’églises et de violations des droits des fidèles, ce qui s’est d’ailleurs produit dans plusieurs diocèses de l’Église orthodoxe ukrainienne. La visite de l’actuel chef de l’Église constantinopolitaine n’est donc pas autre chose qu’une immiscion sur notre territoire canonique.
- Néanmoins, le patriarche Bartholomée, en annulant prétendument le transfert de la métropole de Kiev à la juridiction du Patriarcat de Moscou de 1686, a déclaré que l’Ukraine fait partie de son territoire canonique...
- Vous avez tout à fait raison de parler de prétendue annulation. Parce que la décision du Synode de l’Église constantinopolitaine d’annuler ce transfert, prise le 11 octobre 2018, ainsi que la réception dans la communion ecclésiale des schismatiques ukrainiens, ne sont pas seulement une infraction aux canons de l’Église : elles créent une sorte de « réalité » imaginaire, dans laquelle le Phanar vous invite à vivre.
Par sa visite en Ukraine, le patriarche Bartholomée a démontré une fois de plus qu’il s’entête dans ses erreurs. Malgré l’échec évident de son projet d’église ukrainienne, il continue à affirmer que cette organisation est bien l’église canonique d’Ukraine, et que son chef, Épiphane (Doumenko), est le métropolite de Kiev. Même le leader du schisme ukrainien, Philarète (Denissenko) a remarqué en quittant « l’EOd’U » que s’il est lui sous le coup d’un anathème, Épiphane, qu’il a « ordonné », n’est même pas prêtre.
Il suffit de se souvenir de la réaction du patriarche Bartholomée à la prière des fidèles de l’Église orthodoxe ukrainienne sous les murs de la Rada. Il a refusé de rencontrer les orthodoxes, d’écouter la position des orthodoxes d’Ukraine. Alors que 10 000 personnes l’attendaient devant la Rada, il est entré par une porte latérale, derrière un cordon de policiers, et a quitté le parlement ukrainien en passant par la cour intérieure. Le patriarche Bartholomée ne veut pas savoir ce que pensent des millions de citoyens orthodoxes ukrainiens, il s’en cache avec honte. Sa conduite est celle d’un schismatique militant. L’histoire montre que la plupart des schismes avaient le soutien de forces politiques, une situation qu’on retrouve en Ukraine.
- Monseigneur, la manifestation devant la Rada était organisée par l’Union des Laïcs, le mouvement « Miriané ». Parlez-nous de cette organisation.
- « Miriané », « Laïcs », comme son nom l’indique, est une association regroupant des laïcs de tous les diocèses de l’Église orthodoxe ukrainienne, ayant conscience que le sort de l’Église dépend partiellement de leur engagement. Cette organisation a reçu la bénédiction de Sa Béatitude le métropolite Onuphre. Sa création a été accueillie avec enthousiasme ; en peu de temps des sections locales ont été enregistrées presque dans tous les centres diocésains, et le nombre d’adhérents continue d’augmenter.
- Le mouvement a-t-il déjà obtenu des résultats concrets ?
- Tout dépend de ce que vous appelez « résultats concrets ». Les lois anticléricales n’ont toujours pas été annulées, on continue à s’emparer de nos églises, la propagande contre l’Église orthodoxe ukrainienne bat son plein dans les médias. Mais la fondation d’un mouvement comme « Laïcs » a démontré aux ennemis de l’Église qu’un grand nombre de croyants, dont des artistes, des scientifiques, des hommes politiques, des journalistes et de simples citoyens sont prêts à défendre l’Église de saint Vladimir, à la servir par leur foi, par leurs talents et par leurs capacités.
La première manifestation organisée par les « Laïcs », le 15 juin, a rassemblé plus de 20 000 personnes. Des militants sont venus remettre publiquement à la Rada et au Bureau du président deux projets de loi, élaborés par l’Union des avocats orthodoxes d’Ukraine, afin de corriger, avec l’aide des députés, les articles des lois existantes qui constituent une infraction aux droits constitutionnels des citoyens ukrainiens.
Avant la visite du patriarche Bartholomée à Kiev, les « Laïcs » ont envoyé à la chancellerie du Phanar une lettre officielle, invitant le patriarche à rencontrer les fidèles de l’Église orthodoxe ukrainienne. Ils ont aussi rédigé un « tomos », exprimant leur désaccord avec les actes du patriarche de Constantinople en Ukraine. Les fidèles prévoyaient de remettre ce document au patriarche Bartholomée pendant la rencontre.
- A-t-il pu être remis au patriarche Bartholomée ?
- En mains propres, non, mais le texte a été publié en grec par les agences d’informations grecques. Le patriarche Bartholomée en est donc informé, les milieux hellénophones ont pu prendre connaissance de la position de notre Église, et les fonctionnaires du Patriarcat de Constantinople ne peuvent pas ne pas la connaître.
- La création de l’Union des « Laïcs » rappelle la situation religieuse du XVIIe siècle, quand, pour faire opposition à l’uniatisme, des fraternités orthodoxes avaient été créées en Ukraine. Peut-on dire que le mouvement « Miriané » remet les fraternités au goût du jour ?
- L’histoire montre que les fraternités naissent quand l’Église est persécutée par les autorités. Au XVIIe siècle, les fraternités ont beaucoup fait pour que l’orthodoxie ne soit pas anéantie en Ukraine sous la pression des catholiques et des uniates. Les frères défendaient les droits de la population orthodoxe, éditaient et diffusaient de la littérature orthodoxe, travaillaient à éduquer le peuple, organisaient des œuvres de charité, etc. Aujourd’hui, les « Laïcs » font pratiquement la même chose, mais en utilisant des méthodes et des médias contemporains.
Il existe, cependant, des différences essentielles entre nos « Miriané » et les fraternités du XVIIe siècle. Je rappelle qu’à la charnière des XVIe-XVIIe siècles, la majorité des hiérarques de la métropole de Kiev était favorable à l’union à Rome. Les évêques rejoignaient l’union ouvertement ou secrètement, ils avaient perdu la confiance des fidèles. Les fraternités, par conséquent, recevaient du Patriarcat de Constantinople d’importants pouvoirs, elles ne dépendaient plus de la juridiction des évêques diocésains et exerçaient même sur ces derniers une sorte de surveillance. Par la suite, malheureusement, cela a entraîné des abus de la part des frères, mais c’est une autre histoire.
Aujourd’hui, la situation est complètement différente. Seul un évêque diocésain et un vicaire ont rejoint « l’église d’Ukraine » schismatique, tous les autres sont restés fidèles à l’Église, malgré les menaces et les injonctions. Par conséquent, les « Laïcs » n’agissent pas indépendamment de la hiérarchie, mais, au contraire, avec sa bénédiction.
- Beaucoup comparent la situation en Ukraine à ce qui se passe au Monténégro...
- Il y a beaucoup de points communs. Au Monténégro, comme en Ukraine, les autorités sont hostiles à l’Église canonique. Le schisme ukrainien existe depuis le début des années 1990, il avait été initié par les autorités ; au Monténégro, le pouvoir avait aussi créé une « église orthodoxe monténégrine ». Des lois anticléricales ont été adoptées chez nous, au Monténégro, ils sont allés encore plus loin : une loi permet à l’État de retirer à l’Église ses bâtiments et ses églises pour les transférer aux schismatiques.
Dans les deux pays, les fidèles sont déterminés à défendre leur Église. Nos hiérarques, notamment le métropolite Onuphre, sont allés au Monténégro et ont participé aux marches. Certains jours, la moitié de la population du pays était dans la rue, c’était très impressionnant et cela nous a servi d’exemple.
Il est à noter qu’au Monténégro, avec les élections parlementaires, et en Ukraine, au moment des élections présidentielles, les partis ayant misé sur l’hostilité à l’Église ont échoué. Il existe cependant une différence. Pendant la campagne électorale de 2020, au Monténégro, le défunt métropolite Amphiloque du Monténégro et du Littoral avait dû ouvertement appeler les citoyens à ne pas voter pour les politiciens mal disposés envers l’Église canonique. C’était une mesure extrême, car l’Église ne se mêle ordinairement pas de politique. Actuellement, nous considérons impossible de nous impliquer dans les batailles politiques en Ukraine, ou d’appeler les membres de l’Église ukrainienne à voter pour un parti ou pour un autre. Nous espérons que les hommes politiques qui arriveront au pouvoir n’interviendront pas dans les questions ecclésiastiques, qu’ils travailleront à la normalisation de la vie religieuse en Ukraine, et n’obligeront pas les orthodoxes à réagir pour défendre leur Église.
- Pour terminer cet entretien, parlez-nous de votre travail de chef de la Représentation de l’Église orthodoxe ukrainienne auprès des organisations européennes internationales.
- Nous vivons dans un monde dans lequel les organisations internationales ont une influence sérieuse sur la politique intérieure des pays. Dans certains cas, cette influence est le résultat de l’application de mécanismes juridiques concrets, dans d’autres, il s’agit d’une influence informationnelle et idéologique. L’expérience des dernières années montre que lorsque les représentants de l’Église orthodoxe ukrainienne interviennent devant des organisations contre l’ONU, l’OSCE, etc, lorsque nous présentons des faits avérés de violation des droits des fidèles dans notre pays, cela crée une base informationnelle et les dirigeants ne peuvent plus aussi facilement ignorer les déclarations et les plaintes. Les autorités sont forcées de réagir d’une façon ou d’une autre.
Il ne faut surtout pas baisser les bras. Les petits ruisseaux font les grandes rivières, comme on dit. Par exemple, les représentants de l’OSCE viennent sur les lieux où se produisent des conflits interconfessionnels et peuvent se rendre compte eux-mêmes de la situation. Sur les sites de l’ONU et de l’OSCE, l’information sur les violations des droits des fidèles et des paroisses de l’Église orthodoxe ukrainienne est systématisée et actualisée.
Propos recueillis par le diacre Sergueï Guerouk