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L’évêque Irénée de Bača : L’intervention du patriarche Bartholomée en Ukraine a étendu le schisme presque à toute l’orthodoxie

Interview de l’évêque Irénée de Bača au journal « Politika » (Serbie).

- Dans un entretien avec des journalistes, le métropolite Hilarion de Volokolamsk, hiérarque de l’Église orthodoxe russe, disait que la Bible pourrait être interdite en Europe  comme livre « discriminatoire », car elle enseigne que Dieu a créé l’homme et la femme, que le sexe est déterminé à la naissance, contrairement aux postulats de la théorie du genre, propagée aujourd’hui. Ces inquiétudes sont-elles fondées ?

- Beaucoup de gens bien intentionnés - mais mal informés - pourraient croire que cet éminent hiérarque russe a recours volontairement à de fortes exagérations pour décrire la situation de son point de vue. Cependant, dans le cahier culturel du journal « Politika », j’ai lu cette petite phrase : « Tout ce qui peut s’imaginer a déjà été fait, à tel point que même Jonathan Swift en aurait été stupéfait ». Cette déclaration d’un satiriste américain se rapporte à l’état spirituel de l’Amérique contemporaine, mais peut aussi s’appliquer à l’Europe, où les persécutions contre la Bible ou à cause de la Bible sont une tradition presque aussi ancienne que la Bible elle-même.

Les chrétiens ont été persécutés aux premiers siècles de l’Église. Ensuite, ce sont ceux qui ne reconnaissaient que la première partie, la partie la plus ancienne de la Bible – les Juifs – qui ont été tués, chassés, ou étouffés dans les chambres à gaz. A cause de leur interprétation de la Bible, beaucoup ont été victimes de pogroms et de persécutions (la nuit de la Saint-Barthélémy, l’inquisition, les guerres de religion...). Au Proche-Orient et dans les Balkans, les chrétiens ont été cruellement torturés ou tués par les représentants de la version de l’islam qui avait cours à l’époque, alors que le Coran reconnaît et respecte les chrétiens et les juifs comme « peuples du Livre », c’est-à-dire de la Bible. Enfin, presque à notre époque, des millions de gens ont été exterminés à Auschwitz, à Jasenovac et dans tant d’autres camps de concentration, sans parler de la Kolyma et des nombreuses « îles » de l’archipel du Goulag. La majorité d’entre eux a souffert, notamment, à cause de son attachement à la Bible, à ses enseignements, à son éthique et donc à l’Église, dans laquelle et pour laquelle la Bible a été écrite, inspirée, par Dieu, conservée et commentée.

A l’heure actuelle, on ne subit pas de répressions physiques en Europe, mais on y subit des pressions morales. Pour les chrétiens, comme pour toutes les personnes sincèrement croyantes, juifs ou musulmans, représentants d’autres grandes religions, la fameuse théorie du genre est absolument irrecevable. L’idée de proposer à des garçonnets d’une école maternelle de porter une robe à la place de pantalons, l’idée qu’on puisse leur dire de décider de leur identité sexuelle, tandis qu’à la maison les attendent « deux papas » ou « deux mamans » est monstrueuse, je dirai même démoniaque du point de vue de la doctrine biblique.

Ces derniers temps, on publie aussi dans notre pays des livres destinés aux enfants d’âge scolaire, voire préscolaire, éduquant en ce sens, et c’est une véritable tragédie. Est-ce exagéré de dire qu’il s’agit d’un assassinat spirituel ? Et ceci, sans que les gens comprennent vraiment de quoi il retourne, sans qu’on ait sondé leur avis et leur volonté sur la question ; on leur impose en douce des projets de loi dont le but est d’amener pas à pas l’opinion publique à l’idée que l’homosexualité n’est qu’une question de choix personnel, dans lequel il n’y a pas place pour le Créateur, ni pour la nature humaine. A terme, on en viendra à autoriser l’adoption d’enfants par des couples dits homosexuels, envisagés comme alternative au mariage et à la famille. On a même réintroduit des peines pour offense verbale. Or, ce sont les prêtres qui sont visés : on veut leur interdire de prêcher la doctrine de l’Église sur la sainteté du mariage hors des églises. La voilà la démocratie ! Ainsi, en Serbie aussi, indéniablement, il y a des milieux qui sont résolument pour l’interdiction de la doctrine biblique.

-        Le Synode de l’Église orthodoxe serbe considère comme irrecevable le projet de loi sur les unions homosexuelles, soulignant que la majorité de ses articles est en contradiction avec la doctrine millénaire de l’Église. Il propose que les questions de propriété et les problèmes juridiques ou autres que rencontrent les partenaires de ces unions soient réglés au moyen d’autres lois. Qu’est-ce qui pose particulièrement problème à l’Église dans ce projet de loi ? Les droits des partenaires des unions homosexuelles ont-ils été pris en compte lors de la rédaction des commentaires du Synode au projet de loi ?

-        Le Synode a publié une déclaration équilibrée, en même temps que claire et sans équivoque. Sa proposition a été préalablement envoyée au gouvernement. Nous ne souhaitions pas aviver encore plus la discussion dans l’opinion publique. L’Église est la dernière à vouloir diviser la nation, sur quelque sujet que ce soit, alors que le peuple a déjà été habilement empêché de prendre pleinement connaissance du projet de loi et d’exprimer son opinion. Certes, nous ne voulons pas que quiconque soit victime de discrimination à cause de ses convictions, de ses préférences personnelles, etc, s’agissant de la réalisation de ses droits.

Nous ne rejetons personne, nous ne chassons personne à cause de ses préférences personnelles ou de ses problèmes, quels qu’ils soient. Au contraire, nous sommes prêts à apporter une aide et un soutien spirituels à chacun. Cependant, nous ne sommes pas prêts, comme certains le voudraient, à accueillir avec enthousiasme la propagande et la publicité du péché, comme s’il s’agissait d’une conduite souhaitable. Notre service de Dieu et des hommes est un culte de vie et non un culte de mort. Nous sommes convaincus que la loi sur les unions homosexuelles, sous la forme proposée, ne doit être ni examinée, ni adoptée par l’Assemblée nationale.

-        En tant qu’ancien doyen et professeur de longue date de la faculté de théologie orthodoxe, que pensez-vous des remarques d’une partie de la communauté académique sur une supposée violation de l’autonomie de l’université à cause des amendements proposés à la loi sur l’enseignement supérieur, qui prévoit que le Concile épiscopal aura le droit de donner sa bénédiction aux professeurs de la Faculté de théologie (mais aussi celui de leur retirer sa bénédiction), ce qui avait déjà cours ?

-        Merci d’avoir parlé d’une « partie de la communauté académique », et non de la communauté académique dans son ensemble. A la vérité, tous les professeurs ne sont pas impliqués, il n’existe même pas de groupe monolithique. Des personnes insuffisamment informées croient défendre les principes démocratiques et les valeurs européennes, quelles que soient les notions que cette expression recouvre. Mais beaucoup comprennent que c’est un piège, un traquenard. Ils téléphonent aux professeurs de notre Faculté de théologie, déclarant avoir compris qu’ils ont été manipulés. Aux premiers rangs de la campagne contre la Faculté de théologie orthodoxe et contre l’Église orthodoxe serbe (au nom ou sous prétexte de séparation de l’Église et de l’État, de la laïcité, de l’autonomie universitaire) se tiennent généralement d’anciens marxistes et athées qui ont changé de phraséologie, recourant désormais à une rhétorique « européenne », purement « démocratique ». Parmi eux, il y a au moins une personne qui a jadis porté un vêtement de type maoïste, rappelant l'uniforme de la période de la « révolution culturelle ». A franc parler, je suis même assez impressionné par leur esprit de suite, leur fidélité à leurs idéaux qui ne sont, à mon sens, que des erreurs. Il me semble que s’ils le pouvaient, ils seraient prêts à refaire ce qu'ont fait leurs aïeux et leurs pères en 1945 (les blousons de cuir, les visites nocturnes, les sentences des tribunaux extraordinaires...).

A l’égard de la Faculté de théologie orthodoxe, qui est l’un des fondateurs de l’Université de Belgrade, ils recourraient sûrement aux mesures peu glorieuses de 1952, date à laquelle cette faculté fut exclue de l’université par une résolution illégale du gouvernement. Comme s’exprimait Mitra Mitrovitch dans l’acte officiel : la faculté a été « liquidée » - un terme très en vogue chez les dirigeants de l’époque. Aujourd’hui, les partisans de ces idées n’agissent plus aussi franchement : ils font de beaux discours, remplis de belles phrases « démocratiques » et « européennes » : ils font semblant, ils font des mines. Ils sont désormais des « messieurs » et non plus des « camarades », comme Tito et son parti communiste. Ils déclarent qu’ils n’ont rien contre l’Église orthodoxe serbe, contre l’appartenance de la Faculté de théologie à l’université ; ils proposent simplement que la faculté soit mise à l’abri de l’influence perverse de l’Église qui, selon eux, n’est pas compétente dans le domaine de la théologie – qui est pourtant le sien, tandis que les professeurs de sciences naturelles, eux, sont, bien sûr, compétents, surtout s’ils sont athées. Cependant, je dois rendre hommage à l’honnêteté et à la franchise de l’un d’eux : il a déclaré nettement qu’il faudrait tout simplement supprimer la faculté. (...)

Une équipe de professeurs, auteur collectif de plusieurs pétitions avec des dizaines de signatures, affirme agir pour défendre l’autonomie de l’université. Ce mot d’autonomie, ils le répètent comme un mantra. Mais que dire de l’autonomie et des droits d’autres facultés dont parlent aussi les Statuts de l’université et les statuts des facultés ? Ces facultés sont-elles des filiales de l’université, ou l’université est-elle une union et une famille d’établissements d’enseignements supérieurs autonomes et libres ? Que faire des droits constitutionnels et légaux des Églises et des communautés religieuses dans le domaine de l’éducation et de l’instruction ? Que faire de la décision de la Cour constitutionnelle de Serbie qui, en son temps, avait tranché en faveur de la faculté de théologie, rejetant une plainte, basée sur les mêmes arguments que ceux avancés aujourd’hui par les défenseurs de l’autonomie de l’Université ? Bien plus, la Cour constitutionnelle, soulignant que l’Église est séparée de l’État, non seulement a reconnu à l’Église le droit de statuer sur le fonctionnement de la faculté de théologie, laquelle fait partie de l’université bien que celle-ci dépende de l’État, mais elle a aussi autorisé et reconnu à l’Église le droit d’organiser le processus d’enseignement et de mettre en place le système pédagogique à l’intérieur de la faculté. La Cour constitutionnelle recourt au terme technique international de missio canonica, c’est-à-dire qu’elle confère à l’Église des responsabilités d’enseignement. Ceci, naturellement, provoque une sainte horreur chez nos interprètes du principe de laïcité de l’État.

Pourquoi ne vont-ils pas voir les ambassades d’Allemagne, d’Autriche, d’Espagne, de Pologne, de Roumanie, de Bulgarie, de Hongrie, de Slovaquie, de Croatie, de la France laïque ou d’autres pays pour leur remettre une pétition, protestant contre la violation du principe de laïcité de l’État et de l’autonomie des universités dans ces pays ? (...) D’ailleurs, le terme « missio canonica » semble trop faible à nos démocrates et à nos laïcards orthodoxes : ils l’évitent et préfèrent employer l’expression « bénédiction ». Se croyant spirituels, ils font semblant de ne pas comprendre et demandent ironiquement : « Que fait la notion de bénédiction dans une université ? »... Le terme « bénédiction », exclusivement positif, prend chez eux une connotation strictement négative, comme l’Église, à laquelle le mot est associé.

(...) Je profite de l’occasion pour comparer avec l’usage en vigueur en Russie. On y trouve des académies de théologie, qui dépendent directement de l’Église orthodoxe russe, et des facultés de théologie ou, du moins des départements de théologie, dans certaines universités (pas dans toutes). Dans les académies de théologie, tout se fait avec la bénédiction et la tutelle de l’Église, tandis que, suivant la tradition académique russe, l’Église n’a pas autorité sur les universités. Mais elle a le droit et l’obligation de surveiller, approuvant ou n’approuvant pas les programmes de théologie dans les universités. Les départements de théologie doivent recevoir la double accréditation de l’État et de l’Église. Donc, en Russie, la théologie est enseignée avec la bénédiction et l’approbation de l’Église (...) La situation est la même dans les facultés de théologie musulmane, dans les régions où la population musulmane est majoritaire. Que cela plaise ou non aux théoriciens de l’État laïc, la Russie est un pays laïc et démocratique, et nous avons beaucoup à apprendre d’elle (...) Bref, les théoriciens dont je parle vivent dans le monde, mais ne sont pas de ce monde. Je ne les méprise pas, mais ils me font pitié. Comme Don Quichotte, ils ne s’attaquent pas au bon moulin. C’est un soubresaut de combats dépassés.

-        L’Église orthodoxe serbe a paisiblement élu son nouveau chef, le patriarche Porphyre, votre fils spirituel, alors que les médias faisaient grand bruit. La veille, suivant l’habitude à la veille des conciles de l’Église, les journalistes parlaient de divisions dans l’Église serbe, de différents courants, de partis en opposition. Quelle est votre impression : la source de ces affirmations est-elle à l’extérieur ou à l’intérieur de l’Église ?

-        A l’extérieur, naturellement, avec la participation de quelques petits groupes internes à l’Église. Le fait que le patriarche ait reçu plus des deux tiers des voix des participants au Concile, dès le premier tour, témoigne éloquemment de l’absence de division dans l’Église. Des évêques, même parmi ceux qui n’avaient pas voté pour lui, ont joyeusement crié : « Axios ! Il est digne ! » Certes, certains hiérarques avaient leurs favoris, pour différentes raisons. Cependant, ils reconnaissaient, même avant le Concile, que le métropolite Porphyre avait toutes les qualités requises pour siéger sur la chaire de saint Sabas. (...) Malheureusement, il se trouve (et il se trouvera) toujours des médias pour vouloir chercher des conflits entre évêques, non pas une différence d’opinion, légitime et inévitable, non pas un manque de compréhension ou des désaccords, ce qui est inhérent à la nature humaine, mais des divisions sérieuses, des conflits. (...) Pour ces journalistes, je citerai ce sage aphorisme, essentiel dans la vie de l’Église : « En premier lieu, l’unité ; en second lieu, la liberté ; en tout, la charité ».

-        Va-t-on vers des négociations avec les hiérarques de l’Église orthodoxe serbe en vue de résoudre la question du statut de « l’église orthodoxe macédonienne » ? On dit que le premier ministre de la Macédoine du Nord, Zoran Zaïev, a demandé au patriarche Porphyre de se déclarer en faveur du dialogue, de la recherche d’une solution au statut canonique de l’EOM, alors que les années précédentes (pour des raisons plus politiques que canoniques), des demandes semblables avaient été adressées au patriarche œcuménique Bartholomée et même à l’Église orthodoxe bulgare.

-        Personne, même M. Zouïev, n’a besoin de rappeler au patriarche et aux hiérarques de l’Église orthodoxe serbe qu’elle doit favoriser le dialogue. Le dialogue est un moyen évangélique, le seul possible pour surmonter le schisme qui se poursuit depuis plus d’un demi-siècle entre quelques évêques de Macédoine du Nord, d’une part, et l’Église orthodoxe serbe et toutes les Églises orthodoxes locales d’autre part. Non seulement notre Église a tout fait pour résoudre le problème du schisme de 1967 par le dialogue, et non par les sanctions canoniques, les excommunications et les anathèmes, mais elle est restée fidèle à ce principe de dialogue quand ses interlocuteurs se sont cru (fictivement) en position de force, déclarant qu’ils ne dialoguaient qu’en vue d’un seul but : la reconnaissance sans condition de leur statut d’autocéphalie autoproclamée. Cela n’est pas sans rappeler la position de « l’État du Kosovo », également autoproclamé (...)

Nous n’avions mis qu’une seule condition au dialogue : il ne pourrait se poursuivre tant que l’État continuerait les répressions contre l’archevêque canonique Jean et l’archevêché canonique d’Okhrid, la seule Église orthodoxe en Macédoine du Nord reconnue de tous. Or, la hiérarchie schismatique n’a pas condamné ces répressions, bien plus, elle les a approuvées. Malheureusement, au lieu de reprendre le dialogue, après l’assouplissement des pressions du gouvernement, la hiérarchie schismatique a préféré s’adresser, comme vous l’avez justement remarqué, au Patriarcat de Constantinople ou à l’Église bulgare. L'un et l'autre se sont montrés très prudents. Dans ce contexte, j'ai demandé sincèrement, fraternellement, à un hiérarque du schisme de Skopje, s’il avait tiré des enseignements de la situation en Ukraine, s'il comprenait ce que le Patriarcat de Moscou avait donné à son Église en Ukraine, et ce que le Patriarcat de Constantinople lui avait donné et repris ? S’il comprenait ce que l’Église serbe leur avait donné par la Convention de Nis, et ce que le Patriarcat de Constantinople pourrait leur proposer ? Savait-il qu’ils devraient donner des sanctuaires à Constantinople comme stavropégies, car ce sont, effectivement, des sanctuaires grecs ? (...) Qu’il leur faudrait renoncer à leurs représentations à l’étranger ?

En dehors de l’ouverture au dialogue et de la bonne volonté de l’interlocuteur, celui-ci doit être libre de toute pression de la part des autorités civiles qui ne doivent pas lui dicter sa conduite ; il doit être prêt à prendre des décisions dans un esprit exclusivement canonique, en vue de l’unité et de la prospérité de l’Église. Toute conversation bienveillante, sans chantage ni ultimatum, est bienvenue (...) N’oublions pas que l’actuel archevêque d’Okhrid a souffert et a beaucoup sacrifié au nom de cette unité, sans avoir peur de faire de la prison pour préserver la liberté en Christ. Il n’était pas seul dans sa confession de foi : évêques, prêtres, moines et moniales, laïcs de l’archevêché canonique ont aussi souffert, restant intraitables. Aujourd’hui, la situation a considérablement changé, me semble-t-il : plus personne n’est menacé de répressions ou d’humiliation en Macédoine du Nord à cause de son appartenance confessionnelle (...)

-        Ces derniers jours, on a pu entendre des déclarations de l’Église orthodoxe russe et du Patriarcat de Jérusalem sur la possibilité d’une nouvelle rencontre des représentants des Églises orthodoxes locales, comme celle d’Amman, à laquelle l’Église serbe a participé. Moscou a aussi déclaré qu’il n’était plus nécessaire que des réunions semblables soient convoquées par le Patriarcat œcuménique, dans la mesure où celui-ci a perdu son statut de premier entre égaux, ayant soutenu les schismatiques ukraniens. Que pensez-vous de ces appels et de cette remarque sur le patriarche œcuménique ?

-        Des négociations sont nécessaires. Elles doivent avoir lieu sous différents formats, bilatéraux et multilatéraux. Le mieux, le plus fructueux, serait un concile panorthodoxe, mais le patriarche de Constantinople refuse pour l’instant de convoquer un concile panorthodoxe. Selon lui, en tant que premier évêque parmi des égaux de l’Église orthodoxe, il a le droit d’agir indépendamment et autoritairement s’agissant des questions de juridiction et d’autocéphalie des Églises orthodoxes, sans s’occuper de leur opinion, même si elle correspond à l’opinion de la majorité ou est générale. Vous connaissez, n’est-ce pas ? Malheureusement, ce discours venant des rives du Bosphore rappelle beaucoup celui qu’on entend sur les rives du Tibre, en Italie. La « Nouvelle Rome », Constantinople, Tsargrad, aujourd’hui Istanbul, semble vouloir copier « l’ancienne Rome » sur le plan ecclésiastique, devenir une copie de sa version papiste du deuxième millénaire de l’ère chrétienne, que l’Église orthodoxe, présidée par le Patriarcat de Constantinople, lequel a justement été qualifié de « Grande Église », n’a jamais accepté, et, j’en suis sûr, n’acceptera jamais. 

Selon certains théologiens constantinopolitains, personne, hormis le patriarche œcuménique, n’aurait le droit de convoquer de conciles panorthodoxes ou interorthodoxes. Cette thèse n’a, bien sûr, aucun fondement, ni dans la théologie, ni dans l’histoire de l’Église. La plupart des Conciles œcuménique n’ont pas été convoqués par le patriarche de Constantinople, et c’est un fait que certains papes et certaines patriarches constantinopolitains ont été jugé pour hérésies ou pour erreurs dans la foi lors de Conciles œcuméniques. Si l’Église constantinopolitaine avait effectivement juridiction universelle et le monopole de la convocation des conciles locaux et œcuméniques, on n’aurait jamais convoqué de concile pendant lequel le pape ou le patriarche de Constantinople étaient assis sur le banc des accusés, d’autant plus pour de sérieuses erreurs dogmatiques, pour s’être écartés de la vraie foi, et non simplement pour des raisons disciplinaires ou à cause de crimes contre la moralité. Ainsi, le patriarche de Jérusalem, qui dispose de l’autorité d’évêque de la Sainte cité de Jérusalem, qui a pour lui l’autorité de son Église, la plus ancienne des Églises apostoliques, la gardienne du sanctuaire le plus important de la Terre Sainte, a bien le droit de convoquer d’autres patriarches et d’autres primats pour résoudre les problèmes et sauver l’unité de l’Église, si le premier des patriarches égaux ne veut pas le faire.

La question qui se pose est : quelle est la nature de la primauté du premier évêque selon le rang ? Est-ce une primauté d’autorité, ou une primauté d’honneur ? Le patriarche œcuménique est-il premier ex sese (en lui-même), de jure divino (de droit divin) ou selon la volonté de l’Église, en fonction de facteurs historiques, et non strictement théologiques ? Est-il au-dessus du Concile des évêques ou est-il le président du Concile et, par conséquent, l’un de ses membres ? L’Église orthodoxe n’a qu’une réponse à toutes ces questions, elle est claire et sans équivoque : il n’y a pas de primauté d’autorité dans l’Église ; l’évêque qui est le premier d’honneur l’est devenu par la volonté de l’Église, pour des raisons historiques. Il n’est pas au-dessus du Concile. En un mot, il est primus inter pares, et en aucun cas primus sine paribus, comme l’affirment certains théologiens néo-papistes. Cependant, malgré tout, l’archevêque de Constantinople Nouvelle Rome, patriarche œcuménique, suivant son titre officiel, n'a pas perdu son rôle de premier entre égaux, sa primauté d'honneur. Bien plus, il ne peut la perdre, sauf si un nouveau concile œcuménique en prenait la décision, parce qu'il tient cette primauté du Second Concile œcuménique, qui s'est tenu à Constantinople en 381. Le 3e canon dit : « L’évêque de Constantinople aura la préséance d’honneur après l’évêque de Rome, puisque cette ville est la nouvelle Rome ». Ce canon a été confirmé et renforcé par le 28e canon du Quatrième Concile œcuménique, le Concile de Chalcédoine, en 451 : « Nous approuvons et prenons la même décision au sujet de la préséance de la très sainte Eglise de Constantinople, la nouvelle Rome (...) pensant que la ville honorée de la présence de l'empereur et du sénat et jouissant des mêmes privilèges civils que Rome, l'ancienne ville impériale, devait aussi avoir le même rang supérieur qu'elle dans les affaires d'église, tout en étant la seconde après elle »

Ainsi, c’est en tenant compte des réalités politiques (la Nouvelle Rome était la ville de l’empereur et du sénat), et non à cause d’impératifs dogmatiques et ecclésiologiques, comme l’affirment les nouveaux adeptes de la doctrine catholique romaine officielle de la primauté, qu’un petit diocèse ayant son centre dans la petite ville de Byzantion, diocèse suffragant de la métropole d’Héraclée, a reçu au plus haut niveau le rang d’Église primatiale d’Orient, la primauté de Rome s’étendant à la Nouvelle Rome. Dans l’idéologie impériale romaine, les deux villes étaient envisagées comme deux parties d’une même capitale. Parlant du sens de la primauté dans l’Église, l’évêque Athanase (Evtič), de bienheureuse mémoire, écrivait que la primauté existait et devait exister dans l’Église, mais qu’elle ne devait jamais empiéter sur la plénitude conciliaire de chaque Église orthodoxe. Par conséquent, la primauté ne signifie pas un pouvoir sur les Églises, elle est un élément important de leur nature collégiale. J’ai tenté, je ne sais pas si j’y ai réussi, de faire comprendre aux lecteurs de « Politika » certains aspects importants de notre foi « en l’Église une, sainte, catholique et apostolique », une foi que nous semblons trahir nous-mêmes, quand, au travers du brouillard de la vanité, des ambitions, des préjugés, de l’engagement géopolitique (non ecclésial) et d’autres idoles immatérielles, nous ne pouvons ou ne voulons voir la lumière inextinguible de la vérité divine qui ne peut que nous libérer de nos erreurs tragiques et de nos passions.

Pour conclure sur la seconde partie de votre question, je dirais qu’une instance inférieure ne peut remettre en question, et encore moins annuler, les décisions d’une instance supérieure. Dans l’Église, cette instance supérieure est le Concile œcuménique, ou, plus exactement, elle-même par son concile. Ainsi, le patriarche œcuménique, malgré l’échec de son intervention non canonique sur le territoire du Patriarcat de Moscou, qui n’a fait qu'élargir et qu’aggraver le schisme en Ukraine, l’étendant presque à toute l’orthodoxie, n’a pas perdu sa véritable primauté d’honneur, reconnue par toutes les Églises orthodoxes, ni les compétences qui en découlent d’un point de vue canonique. Cependant, il a malheureusement mis en danger sa réputation et a perdu la confiance qu’avaient en lui de nombreux orthodoxes, jusqu’à une date récente, tant la confiance en sa position, que la confiance en sa personne elle-même. Selon ma conviction la plus profonde, il pourrait retrouver l’une et l’autre (la réputation et la confiance) en un clin d’œil, et pas seulement les retrouver, mais les multiplier, en déclarant publiquement avoir été victime de désinformation de la part des schismatiques ukrainiens, et de manipulation de la part des autorités ukrainiennes, en annulant la reconnaissance de la prétendue église orthodoxe d’Ukraine, en restaurant l’unité de l’orthodoxie, en encourageant le dialogue entre tous. Ce geste montrerait au monde entier le contenu véritable de la primauté orthodoxe : servir sans compromis l’unité de l’Église, la première des Églises ayant pour rôle d’inspirer, de coordonner, de réconcilier, et non de diriger arbitrairement.

Le Seigneur et Sa parole nous apprennent que quiconque se fait volontairement et par amour le dernier de tous, devient premier devant Dieu. Quiconque cherche, par tous les moyens, à devenir premier, sera forcément dernier devant Dieu et devant les hommes. Ayant été pendant des années l’un des modestes collaborateurs de Sa Sainteté le patriarche Bartholomée dans le domaine des relations interothodoxes et panorthodoxes (notamment lorsqu’il s’agissait de mettre fin au schisme dans l’Église orthodoxe bulgare au Grand Concile de Sofia, auquel, en tant que président, il a rempli un immense travail historique pour panser les plaies du schisme et réconcilier les frères), j’ose terminer sur cette réflexion. Elle n’est peut-être pas modeste, mais elle est sincère, pleine d'amour et de respect pour la personnalité et pour le ministère du patriarche œcuménique. J’invoque Dieu et j'appelle le patriarche œcuménique à être à la hauteur de sa vocation et de ses obligations, à faire un choix digne de ses saints et grands prédécesseurs, à écarter les séductions et les pierres d'achoppement, à effacer toute larme et toute souffrance causée par la douleur du schisme, par la violence des schismatiques en Ukraine, et pas seulement en Ukraine. S'il le veut, il peut le faire. Qu’il en soit ainsi ! Dieu le veuille !

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