Le métropolite Hilarion : La restauration de l’unité dans notre famille orthodoxe commune n’est possible qu’avec l’abandon des fausses ecclésiologies
- L’an dernier, l’Église orthodoxe serbe a perdu son patriarche Irénée et le métropolite Amphiloque, tous deux aimés et respectés. Vous les aviez souvent rencontrés. Que retiendrez-vous de ces rencontres ?
- Le Seigneur m’a fait la grâce de pouvoir m’entretenir et prier plus d’une fois avec le patriarche Irénée de Serbie. Je garde de ces échanges avec le défunt patriarche le souvenir de son intégrité, de son recueillement. On sentait la profondeur et la force des mouvements de son âme, sa capacité à compatir et à se réjouir avec le prochain. Je me souviens du courage et de la détermination avec lesquelles il défendait l’orthodoxie en Ukraine. Il aimait son troupeau, il vivait de sa communion avec lui. Lorsqu’il bénissait ou communiait les fidèles, notamment les enfants, son visage resplendissait de joie spirituelle.
J’ai aussi bien connu le métropolite Amphiloque du Monténégro et du Littoral. Le défunt métropolite était un archipasteur exceptionnel, un homme doté de multiples facultés : théologien, organisateur, père spirituel... Son épiscopat aura été une période de renaissance spirituelle pour le Monténégro.
Mgr Amphiloque a su amener à l’Église quantité de gens, inspirer à des milliers de fidèles le courage de travailler à la renaissance spirituelle du Monténégro. Il a aidé ses ouailles à se sentir Corps du Christ. Grâce à lui, pendant les processions pour la défense des sanctuaires, le monde a vu battre le cœur orthodoxe du Monténégro. Le mouvement soulevé par Mgr Amphiloque pour la défense des sanctuaires a été un événement majeur dans le monde chrétien, il a forcé nos contemporains à se souvenir de la foi de leurs pères.
- A l’antenne de l’émission « L’Église et le monde », vous avez souligné que l’Église orthodoxe russe se souviendrait du patriarche serbe, notamment parce qu’il avait soutenu l’orthodoxie canonique en Ukraine. Quels pronostics feriez-vous sur l’Ukraine ? Le schisme entre schismatiques risque-t-il de s’accentuer encore ?
- La fondation de la prétendue « église orthodoxe d’Ukraine » était artificielle, c’était un acte politique. Ce projet avait été voulu par l’ex-président ukrainien en vue de sa campagne électorale. En 2018, les évêques imposteurs de deux différentes dénominations non canoniques, qui étaient auparavant en conflit, se sont réunis. Des pressions colossales ont été exercées sur la hiérarchie de l’Église orthodoxe ukrainienne canonique, mais sur les 90 évêques qu’elle comptait alors (ils sont 102 aujourd’hui), seuls deux ont accepté de rejoindre les schismatiques.
Le Patriarcat de Constantinople a reconnu et légalisé la nouvelle structure schismatique, également sous l’influence de pressions extérieures. Le métropolite Emmanuel, qui représentait Constantinople à l’assemblée générale des schismatiques, a voulu quitter Kiev la veille de ce concile. Selon certains de ses participants, les autorités l’ont retenu de force, n’hésitant pas à couper les communications aériennes. Le jour de l’assemblée, lorsque les « exarques » ont vu que presque aucun membre de l’Église canonique n’était venu, ils ont menacé de partir, mais ils n’ont pu faire machine arrière. En tous cas, c’est ce qu’écrivent des gens qui ont participé à cette drôle de réunion.
Quant à la fameuse « autocéphalie », elle a été accordée avec un certain nombre de restrictions : l’EOd’U, par exemple, est tenue de renoncer à toutes ses communautés hors d’Ukraine et au droit de fonder des communautés à l’étranger. Ceci a aggravé les dissensions à l'intérieur de l’EOd’U. Philarète Denissenko, l'ancien leader d'un des deux groupes schismatiques (et d’ailleurs grand ami du schismatique monténégrin Miras Dedeic) a refusé de reconnaître le tomos du patriarche Bartholomée et a refondé l'organisation qu'il dénomme « patriarcat de Kiev ». Cette structure compte déjà douze « évêques », leur nombre continue à augmenter.
Les dissensions ne cessent de se multiplier dans ce qui reste de « l’église orthodoxe d’Ukraine », comme différentes déclarations publiques le montrent. Dans les églises prises de force par l’EOd’U, il n’y a personne pour célébrer : le clergé et les fidèles de l’Église canonique ne souhaitent pas passer au schisme, les églises sont vides ou fermées.
« Si le Seigneur ne bâtit la maison, en vain se fatiguent les bâtisseurs » (Ps 126,1), dit sagement la Bible. Les dirigeants du Patriarcat de Constantinople avaient déclaré que l’autocéphalie unirait les orthodoxes d’Ukraine, mais la situation a empiré, le schisme est toujours là. Par comparaison, la situation dans l’Église orthodoxe ukrainienne reste stable. Malgré les multiples usurpations d’églises, en 2018-2019, malgré les lois discriminatoires adoptées alors, elle reste la confession majoritaire en Ukraine, celle qui possède le plus grand nombre de communautés dans le pays.
- Dans son message de condoléances, le patriarche Cyrille de Moscou et de toutes les Russies a dit que la renaissance spirituelle du Monténégro resterait attachée à la personne du métropolite Amphiloque. Le métropolite Amphiloque était l'un des hiérarques ayant le plus d'autorité dans l’Église orthodoxe serbe. Il était à la tête du mouvement contre la loi discriminatoire sur la liberté de confession au Monténégro. Que pensez-vous de l’avenir de l’orthodoxie au Monténégro ? Les orthodoxes monténégrins ont montré leur capacité à se sacrifier pour défendre leur Église. En sera-t-il de même à l’avenir ?
- L’orthodoxie, au Monténégro, repose sur des fondations solides, posées par saint Basile d’Ostrog et saint Pierre de Cetinje. La foi orthodoxe a souvent donné à nos frères la force de lutter pour leur liberté ; elle a formé leur caractère national, leur identité culturelle ; elle a contribué à la naissance et au développement de l’état. Le mouvement populaire pour la défense des sanctuaires a montré au monde entier la valeur de la foi et de l’Église orthodoxe pour les Monténégrins, notamment pour ceux auxquels appartient l'avenir : les jeunes. Il me semble très important que, grâce aux efforts de Mgr Amphiloque, de bienheureuse mémoire, la génération montante du Monténégro ait pu avoir part au patrimoine de ses pères et prendre conscience de ce qu’elle est responsable de sa sauvegarde et de sa transmission. C’est dans la majesté de la tradition spirituelle orthodoxe, pour laquelle le sang des martyrs a si souvent coulé, qu’est la bénédiction de Dieu pour le Monténégro.
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- Bien que l’Église orthodoxe russe accuse Bartholomée d'avoir pris le parti du schisme, celui-ci a promis de venir en Ukraine en août 2021, pour la journée de l’Indépendance. Il l’a annoncé le 30 novembre, à Istanbul, après l’office auquel participait Denis Chmygal, le premier ministre ukrainien. Pouvez-vous commenter cette annonce ?
- Ce n'est pas à moi de commenter cette annonce, mais aux Ukrainiens et aux Ukrainiennes qui ont souffert parce que leur église leur a été enlevée de force, aux prêtres qu’on a battus et chassés des églises qu'ils avaient construites de leurs mains. C'est à eux de dire ce qu'ils en pensent. Ceux qui leur ont fait du mal estiment que le patriarche Bartholomée leur en avait donné le droit moral. Pendant les raids contre les églises, ils se référaient à lui et au tomos qu’il avait signé. On est fondé à croire que sa visite en Ukraine donnera lieu à de nouvelles tentatives d’usurpations. Mais je doute que cette visite changera quoi que ce soit. Les fidèles continueront à prier dans l’Église canonique. Les églises schismatiques resteront vides. Et les hommes politiques continueront à utiliser le facteur religieux dans leur intérêt.
- Le patriarche Bartholomée affiche de plus en plus sa volonté de jouer le rôle de pape oriental. Son « papisme » risque-t-il d’entraîner une rupture dans l’orthodoxie, qui se scindera en deux parties autour de deux pôles, Moscou et Constantinople ?
- En effet, ces dernières années, le patriarche Bartholomée ne se conduit plus comme un coordinateur dans les relations interorthodoxes, comme il s’était défini lui-même un jour, mais comme le chef autoritaire de toute l’Église orthodoxe, n’ayant de comptes à rendre à personne. Ces prétentions autoritaires sont étrangères à la doctrine orthodoxe. Les conséquences très lourdes des mesures anti-canoniques de Constantinople sont déjà évidentes pour tous. Si le patriarche Bartholomée ne renonce pas à ses actes, la situation ne fera qu'empirer dans l’Église orthodoxse. Seulement, la ligne de démarcation ne passe pas entre Constantinople et Moscou, ni entre Grecs et Slaves. Elle sépare les hiérarques, le clergé et les fidèles fidèles aux saints canons et à la tradition patristique de ceux qui la foulent.
J’espère vraiment qu’il ne se produira pas de schisme définitif dans l’orthodoxie, et que l’unité sera rétablie dans notre famille orthodoxe commune. Cependant, la restauration de l’unité n’est possible que par le rejet de toute ecclésiologie faussée et par le retour à l’observance stricte des canons ecclésiastiques.
- Comment évaluez-vous les contacts actuels entre l’Église orthodoxe russe et le Saint-Siège ? En 2016, une première rencontre a eu lieu entre le patriarche de Moscou et le pape de Rome. Que faut-il faire pour aller plus loin ?
- La rencontre du pape François et du patriarche Cyrille de Moscou et de toute la Russie, à La Havane, découlait surtout de la nécessité de coordonner nos efforts pour défendre les chrétiens du Proche-Orient. Elle avait été précédée de plusieurs années de travail préparatoire.
Au vu des difficultés auxquelles se heurte la poursuite du dialogue théologique entre orthodoxes et catholiques, il a été convenu de concentrer nos efforts sur les sphères sociale, culturelle et caritative, sans que nos projets communs soit rattachés à une quelconque avancée dans la recherche d'un consensus sur le plan théologique.
Conformément à ce qui avait été convenu à La Havane, plusieurs projets humanitaires ont été mis en œuvre au Proche-Orient. La coopération culturelle s’est aussi intensifiée ces dernières années.
Malgré les divergences persistantes, nous travaillons avec succès à la réalisation de nombreux projets communs, gardant notre identité propre et réalisant ensemble notre vocation chrétienne commune dans le contexte actuel.
- Est-il vrai, comme l’écrivent de nombreux médias, que le patriarche Cyrille, ainsi que « de nombreux évêques, prêtres et fidèles » ne sont pas prêts à accueillir le pape François sur leur territoire canonique ? (...)
- La visite du pape François en Russie n’est pas à l’ordre du jour. Je précise que l’actuel pontife, comme ses prédécesseurs, a déjà visité de nombreux états relevant de la responsabilité canonique de l’Église russe. Chaque fois, la question a été résolue en tenant compte des particularités du pays concerné. Il faut tenir compte de l’importance primordiale des équilibres interconfessionnels, souvent fragiles et délicats.
- Le président de la Macédoine du Nord, Stevo Pendarovski, a demandé au patriarche Bartholomée de Constantinople de faire valoir ses droits pour reconnaître l’église orthodoxe macédonienne, fondée en 1967. Cependant, ni l’Église orthodoxe serbe, ni les autres Églises orthodoxes locales ne l’ont reconnue comme autocéphale. Peut-on éviter de nouveaux conflits ?
- Dans l’Église orthodoxe russe, on a toujours considéré et on considère toujours que la résolution de la question macédonienne est une prérogative de l’Église orthodoxe serbe. Aucune tentative d’ingérence ne devrait être possible sans son accord.
- En Macédoine du Nord, sur les fresques de certaines églises, on a modifié les noms des saints. Les Serbes de Macédoine se sont plaints aux autorités. Quels commentaires feriez-vous sur cet acte de vandalisme ?
- Je suis sûr que ceux qui l’ont fait ne sont pas pratiquants. L’inscription du nom du saint est une étape essentielle en iconographie. Une icône ne peut être bénite si le nom du saint représenté n’y figure pas. En dehors de cet aspect strictement spirituel, il s’agit, à mon avis, d’une tentative de réécriture de l’histoire.
- Le Synode de l’Église orthodoxe serbe a adressé plusieurs requêtes à l’UNESCO et à l’ONU, leur demandant de protéger les églises serbes des nationalistes albanais. Aujourd’hui, les Albanais ont changé de tactique et cherchent à convaincre la communauté internationale qu’ils ont eux-mêmes bâti ces églises. Quel conseil donneriez-vous aux Serbes ?
- Ayant visité le Kosovo et la Métochie, j’ai vu de mes yeux les ruines des églises, dynamitées par les extrémistes. J’ai vu les sanctuaires transformés en décharges et en lieux d’aisance. Une sensation de haine épouvantable était dans l’air, celle que les bandits éprouvent pour les sanctuaires. Ceux qui ont détruit ou profané les églises et les monastères du Kosovo et de la Métochie ont prouvé au monde entier par leurs méfaits qu'ils n'ont aucun lien, ni historique, ni spirituel avec ces sanctuaires. Si ce lien existait, ils se conduiraient autrement. Les Grecs, par exemple, ont une grande dévotion pour Sainte-Sophie, qu’ils portaient et portent dans leur cœur, alors qu’elle leur a été enlevée, même quand on en fait une mosquée. Nous prions pour nos frères serbes, qui supportent des conditions de vie très difficiles dans cette sainte contrée. Que le Seigneur leur donne la force et la patience pour préserver leur patrimoine !
- Le nombre de victimes du coronavirus a beaucoup augmenté ces deux derniers mois dans l’Église orthodoxe russe. Vladimir Jironovski, leader du parti politique LDPR, a appelé à fermer les églises pendant tout le temps que durera la pandémie, car, selon lui, on n’y observe pas les normes de sécurité sanitaire. Le Patriarcat de Moscou a critiqué cette déclaration (...)
- Les gens vont au cinéma, au théâtre, ils font leurs courses au supermarché, ils empruntent les transports en communs, où, à l’heure de pointe, il est tout simplement impossible de se tenir raisonnablement à distance les uns des autres. Exiger la fermeture des églises sous prétexte d’épidémie est pour le moins étrange.
Ceux qui se permettent d’affirmer que les consignes ne sont pas respectées dans les églises orthodoxes devraient venir à la liturgie et tirer les conclusions de leurs propres observations. Dans la paroisse dont je suis le recteur, Notre-Dame-Joie-de-tous-les-affligés, à Moscou, les paroissiens portent un masque et respectent la distanciation sociale ; la cuiller de communion, dont on se sert pour donner les Saints Dons, est trempée dans une solution désinfectante, puis dans de l’eau chaude après chaque communiant ; la boisson distribuée après la communion est servie dans des verres à usage unique. Ces mesures sont conformes aux instructions et aux recommandations approuvées par le Saint-Synode au printemps, et elles sont valables dans tous nos diocèses sur le territoire de la Fédération de Russie. (...)