Allocution du métropolite Hilarion de Volokolamsk à la Conférence internationale « Le dialogue inteconfessionnel christiano-judéo-musulman » (Budapest, 2 juin 2011)
Le métropolite Hilarion de Volokolamsk, Président du Département des relations extérieures du Patriarcat de Moscou est intervenu pendant la Conférence internationale « Le dialogue interconfessionnel christiano-judéo-musulman » qui s’est tenue le 2 juin 2011 à Budapest sur le thème : « Le problème de l’intolérance religieuse. Que pouvons-nous faire ensemble ». Nous reproduisons ici la traduction française de son discours.
« Le Problème de l’intolérance religieuse. Que pouvons-nous faire ensemble ? »
Permettez-moi de présenter à votre attention un exposé consacré au thème de la liberté de religion dans le monde et dans certaines de ses régions, ainsi qu’à la coopération interreligieuse dans ce domaine.
La liberté de conscience est un droit de l’homme fondamental et universellement reconnu par tous les traités internationaux de défense des droits de l’homme. Les persécutions pour raison religieuse sont non seulement intolérables, mais également profondément amorales. C’est la raison pour laquelle la communauté européenne et les organisations internationales s’emploient depuis longtemps à contrer la diffusion de phénomènes comme l’islamophobie ou l’antisémitisme. Elles visent à l’établissement de la justice et de l’ordre de droit dans une société dans laquelle les croyants se sentiraient en sécurité. Ces efforts sont d’autant plus d’actualité à une époque d’activisation des processus migratoires qui ont entraîné une modification de la carte religieuse et ethnique de l’Europe. Ainsi, en 1992, un peu plus de 7 millions de musulmans résidaient en Europe occidentale. En 2004, ce chiffre s’élève à 15 millions d’adeptes de l’Islam en Union européenne. Actuellement, les musulmans sont près de 24 millions. Et nous constatons que les autorités des états européens font beaucoup pour que les immigrés et les européens de souche d’origine islamique ne se sentent pas rejetés ni des citoyens de seconde zone, mais soient égaux en droits, y compris dans la sphère religieuse.
Cette situation, cependant, est loin de concerner tous les pays et toutes les régions du monde. En ce XXIe siècle, nous sommes confrontés à des cas de persécution des chrétiens, commençant par des restrictions de leurs droits civiques et allant jusqu’à la violence physique ou au meurtre. Suivant les données publiées au milieu du mois de mai de l’année en cours, ce ne sont pas moins de 100 millions de chrétiens qui font aujourd’hui l’objet de persécutions et de discriminations dans le monde. Parmi eux au moins un million d’enfants. Ces faits laissent pas de nous préoccuper profondément.
Nous vivons aujourd’hui une nouvelle époque de persécutions contre les chrétiens, que certains comparent avec le temps des empereurs romains des trois premiers siècles. Les pays prospères n’en savent rien ou ne veulent rien en savoir. Seules quelques organisations publiques ou de défense des droits de l’homme tentent d’attirer l’attention sur la situation malheureuse des croyants.
Rappelons qu’avant 2003, environ 1,5 millions de chrétiens vivaient en Irak. Aujourd’hui, il n’en reste plus que la moitié, et ceux qui sont restés risquent chaque jour leur vie. Depuis octobre dernier et l’irruption de terroristes dans la cathédrale syro-catholique de Bagdad, qui a entraîné la mort de 52 personnes, la communauté chrétienne d’Irak vit constamment dans la crainte de nouvelles attaques et de nouveaux actes terroristes.
Nous recevons aussi d’Égypte, du Soudan, d’Aghanistan et d’autres pays des informations sur les persécutions ou les restrictions que subissent les chrétiens. La tristement célèbre « loi sur le blasphème » au Pakistan est souvent utilisée pour condamner à mort les chrétiens.
L’idée de violence, d’irrespect des autres religions n’est pas inhérente à l’Islam, qui est une religion pacifique. Le Coran dit que l’existence d’autres communautés religieuses de tradition biblique est la volonté d’Allah. Le livre sacré des musulmans affirme que toute communauté religieuse est éprouvée selon ce qui lui est donné d’en-haut. Ces communautés sont appelées à rivaliser de bonnes œuvres, et le sens profond de leurs divergences ne se manifestera que dans une perspective eschatologique (Coran 5, 48). Le Coran témoigne de la nécessité du respect « des gens du livre », les chrétiens et les juifs.
Le problème de la persécution des chrétiens a une autre dimension dont je ne peux pas ne pas cacher qu’elle trouve sa source dans les représentations du christianisme au sein de l’islam à cause d’entreprises inconsidérées, bien que souvent volontaires de la part d’extrémistes et de différentes sectes charismatiques. Souvenons-nous de ce pasteur de Floride qui avait commis un sacrilège à l’égard du Coran. Il existe également des mouvements sectaires qui mènent une politique agressive et irrespectuese des traditions locales parmi les musulmans. Tout cela altère l’image du christianisme, de même que les agissements des sectes islamistes déforment le visage de l’islam.
Les cas de persécutions ne concernent pas seulement les chrétiens, les musulmans et les juifs sont également touchés. La guerre non déclarée menée dans le Caucase du nord russe contre les muftis s’est avérée une véritable tragédie. Rappelons que l’une de ses dernières victimes a été Anas-khadji Pchikhatchev, membre de la Direction spirituelle des musulmans de Kabardino-Balkarie. Nous ne pouvons pas non plus oublier la mort tragique des musulmans shiites d’Irak, les nombreuses victimes que provoquent les attentats dans les villes israéliennes.
Aujourd’hui, nous prenons de plus en plus conscience qu’il existe dans le monde des forces ayant intérêt à attiser les affrontements interreligieux, à créer des foyers d’instabilité. Ils utilisent à ces fins les technologies d’information contemporaines, les réseaux sociaux, les méthodes de « lavement de cerveau ». Nous pouvons y résister par notre aspiration à une coexistence pacifique et au dénouement heureux des conflits à caractère religieux.
Un dialogue interreligieux intensif est nécessaire aujourd’hui plus que jamais, afin que chaque communauté témoigne de sa foi et de ses traditions, en vue du renforcement de bonnes relations de voisinage et d’une compréhension mutuelle. Ce dialogue, me semble-t-il, ne doit pas se limiter à des phrases ni à des appels sans lendemain. Il doit apporter une contribution réelle à l’amélioration de la situation des croyants. Les responsables religieux doivent s’opposer à l’intolérance à l’égard des chrétiens, des musulmans et des juifs. Aucun cas ne doit passer inaperçu dans le flot des informations et des évènements quotidiens. Nous sommes tous appelés, chacun à sa place, à faire tout ce qui dépend de nous. Alors seulement, la voix des hommes de foi deviendra la voix convaincante de la vérité qui recèle la force. Je connais la position militante de la Conférence des Églises européennes et du Conseil des conférences épiscopales d’Europe, qui ont appelé les pays de l’Union européenne à des prendre des mesures énergiques contre la discrimination des chrétiens sur la planète. Le mercredi saint, les catholiques du monde entier ont prié pour les chrétiens persécutés du Pakistan. En Europe ont été créées et fonctionnent différentes organisations de défense des droits, spécialisées dans le monitoring des situations d’intolérance religieuse, y compris de la situation des chrétiens. Elles apportent une aide matérielle et juridique aux victimes.
Je ne peux pas ne pas noter la position de la République de Hongrie. La Hongrie fait partie des pays qui ont maintes fois attiré l’attention de la communauté européenne sur les actes d’agressions contre les coptes en Égypte le 1er janvier 2011. C’est au moment de la présidence hongroise de l’Union européenne que le Comité des ministres de l’UE a confié à son représentant suprême aux affaires étrangères et à la politique de sécurité de l’Union européenne le soin de faire part des mesures prises par l’Union pour la défense de la liberté de religion. Je suis convaincu que la Hongrie continuera à initier et à soutenir l’adoption de documents visant à la défense des chrétiens au niveau européen et mondial. Parmi les documents déjà adoptés, citons la résolution de l’Union européenne du 20 janvier 2011 sur « La situation des chrétiens dans le contexte de la liberté religieuse » et la résolution analogue de l’Assemblée du parlement du Conseil de l’Europe.
A mon avis, l’expérience de la Russie peut s’avérer utile dans la lutte contre l’intolérance religieuse. Depuis des siècles, des chrétiens, des musulmans et des juifs coexistent paisiblement dans notre pays. L’histoire de la Russie ignore les guerres de religions. Dans l’actuelle Fédération de Russie, où les musulmans forment une minorité religieuse, ils ne possèdent pas moins de droits que la majorité orthodoxe. Dans un certain nombre de cas, l’état apporte plus d’aide aux communautés musulmanes qu’à d’autres organisations religieuses. Il existe par exemple des programmes de financement de l’enseignement islamique par l’état, qui garantit également les pèlerinages des musulmans vers La Mecque.
On ne peut que se réjouir de ce que nous discutons d’un sujet aussi important et sensible que la défense de la liberté de religion dans le monde sur le sol hongrois. Le peuple de ce pays donne un exemple de fidélité à ses traditions religieuses et morales historiques, tout en appelant au respect des autres. La nouvelle constitution adoptée par le parlement hongrois en avril dernier en témoigne : le peuple hongrois, est-il écrit, est uni « par Dieu et par le christianisme ». Les principaux postulats moraux partagés par membres de la société y sont réaffirmés.
Concluant cette allocution, j’aimerais souligner une fois de plus que la position active des responsables religieux, leur autorité morale dans la société et parmi les fidèles sont capables de renverser la tendance alarmante dans le domaine de la liberté de conscience dans différents pays, témoignant des idéaux de bonté, de justice et d’amour du prochain.