Le métropolite Hilarion : « Le Concile panorthodoxe ne réserve aucune surprise »
- Votre voyage au Proche-Orient et en Turquie s’est achevé. Vous avez visité trois Patriarcats. Quel était l’objectif de ce déplacement ?
- Mon voyage a eu lieu avec la bénédiction de Sa Sainteté le Patriarche Cyrille de Moscou et de toute la Russie. Le Patriarche et le Saint-Synode m’ont chargé de rendre régulièrement visite aux chefs des Églises locales orthodoxes, de les consulter sur les relations inter-orthodoxes, sur les questions d’actualité intéressant l’existence de l’Église orthodoxe dans le monde contemporain. Un voyage dans les pays du Proche Orient était nécessaire pour rencontrer personnellement les Primats de trois Patriarcats antiques : ceux de Constantinople, d’Antioche et de Jérusalem.
A l’heure actuelle, le Proche Orient fait face à des évènements politiques qui risquent de compliquer sérieusement la vie des chrétiens de cette région. Ce n’est pas un hasard si les Primats des Églises du Proche Orient suivent de très près les problèmes des chrétiens locaux : le 1er août, en Jordanie, les Primats des Églises d’Antioche, de Jérusalem et de Chypre se sont rencontrés. Un représentant du Patriarcat d’Alexandrie assistait à la rencontre. Le 23 août, une réunion semblable a eu lieu à Chypre. Le 1er septembre, une autre rencontre consacrée aux problèmes du Proche Orient est prévue à Istambul sous la présidence du Patriarche Bartholomée de Constantinople.
L’Église orthodoxe russe n’est jamais restée indifférente aux problèmes de nos frères orthodoxes du Proche Orient. Elle a exprimé sa préoccupation face à la situation des chrétiens au Proche Orient et dans d’autres régions du monde dans la déclaration du Saint Synode datée du 30 mai.
- Comment les Primats des Églises que vous avez rencontrés ont-il accueilli cette déclaration ?
J’ai remis aux trois Primats le texte de cette déclaration traduite en différentes langues, y compris le grec et l’arabe. Les Primats des Églises du Proche-Orient l’ont reçu avec reconnaissance. Le patriarche d’Antioche a dit en particulier qu’elle serait publiée dans les médias orthodoxes de Syrie et du Liban.
- Quelle est l’opinion du leader de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, que vous avez rencontré dimanche, sur la situation des chrétiens au Proche-Orient ?
- En tant que dirigeant d’une des régions dont la population est majoritairement arabe et où vivent côte à côté musulmans et chrétiens, Mahmoud Abbas connaît bien la problématique. Il espère que des évènements semblables à ceux qui se sont produits il y a peu en Irak et en Égypte ne se répéteront pas dans d’autres pays de la région proche-orientale. On sait que c’est précisément après que ces pays aient renversé les régimes en place avec l’aide de l’étranger que la situation des chrétiens a considérablement empirée. En Irak, suivant les évaluations, vivaient environ un million et demi de chrétiens ; ils ne sont plus aujourd’hui que la moitié. La vie des chrétiens est sans cesse menacée, beaucoup ont été forcés de quitter les villes et les villages où leurs coreligionnaires vivaient depuis des siècles.
- La plus grande fréquence des rencontres entre Primats des Églises de cette région tient-elle exclusivement aux circonstances politiques ? Lors de la prochaine rencontre des Primats à Istambul, s’en tiendront-ils aux problèmes régionaux ou discuteront-ils également de questions à dimension panorthodoxe ?
- J’ai posé cette question aux trois Patriarches. Sa Sainteté le Patriarche Bartholomée m’a dit que la rencontre serait consacrée avant tout aux problèmes du Proche-Orient. Les Patriarches Irénée d’Antioche et Théophile de Jérusalem me l’ont confirmé. Le Patriarche Théophile a par ailleurs ajouté que lorsque les Primats se rencontrent, ils peuvent discuter de toute question les intéressant.
Évoqueront-ils lors de la rencontre le thème du Concile panorthodoxe à venir, je ne saurais dire. Mais je pense que les problèmes panorthodoxes doivent être discutés par l’ensemble des Églises orthodoxes locales, afin de ne pas donner l’impression qu’un groupe d’Églises tente de prendre des décisions pour toutes les Églises locales en leur absence.
- Avez-vous évoqué le futur Concile panorthodoxe et sa préparation avec les Patriarches d’Antioche et de Jérusalem ?
- Oui, cette question a été abordée. Il était important de discuter avec le Primat du Patriarcat de Constantinople et ceux de ces Églises la possible configuration du Concile, sa thématique, comment y seront représentées les Églises, sur quel mode seront prises les décisions. Aujourd’hui, dans le cadre de la collaboration inter-orthodoxe, la seule méthode de prise de décision est le consensus ; c’est sur lui que repose la possibilité de la coopération entre les Églises orthodoxes locales. C’est cette méthode qui permet de résoudre les problèmes dans un esprit d’amour fraternel et de parvenir à la concorde sur les questions litigieuses.
Ces derniers temps, des voix se sont élevées, proposant de renoncer à cette méthode. Pour certains, les décisions en conférence inter-orthodoxe devraient être prises à la majorité simple. Un changement aussi radical dans le travail des organes inter-orthodoxes serait lourd de conséquences : si une Église s’élève contre telle ou telle décision et que son opinion est ignorée par le vote, on assistera forcément à des divisions dans la famille des Églises orthodoxes. Et si la division n’est pas surmontée au niveau de la préparation, elle ressortira forcément au niveau du Concile panorthodoxe lui-même. C’est pourquoi il est absolument impossible de proposer aujourd’hui quelque autre méthode que ce soit en dehors du consensus.
- Monseigneur, quelles devraient être selon vous les formes de représentation au futur Concile panorthodoxe ? Réunira-t-il plusieurs centaines ou seulement quelques dizaines d’évêques ?
- Je présume que cette question doit faire l’objet d’une discussion en Commission préparatoire panorthodoxe. Si nous voulons convoquer un Concile véritablement panorthodoxe, j’estime que devraient y être invités tous les évêques diocésains, afin que chaque Église locale soit représentée au Concile par son évêque, comme au temps des Conciles œcuméniques. Le nombre total d’évêques diocésains de toutes les Églises orthodoxes locales réunies revient approximativement à 500, et il me semble qu’il est tout à fait réaliste de réunir 500 personnes. Cependant si le moment venu, pour une quelconque raison technique il s’avère impossible de réunir un forum aussi représentatif, la représentation devra être proportionnelle à la taille des Églises.
Aujourd’hui, il existe des mécanismes de collaboration inter-orthodoxe dans lesquels chaque Église est représentée par un ou deux délégués. Mais s’il s’agit de l’Église orthodoxe, il faut bien comprendre que le nombre de ses fidèles est plus élevé que la quantité totale des fidèles de toutes les autres Églises orthodoxes locales réunies. La taille d’une Église ne peut pas ne pas être prise en compte dans la fixation des quotas de représentants au Concile panorthodoxe.
- A votre avis, où est quand pourrait avoir lieu ce Concile ?
- Sa Sainteté le Patriarche Bartholomée a exprimé le souhait que ce Concile ait lieu à Istambul, dans l’église Sainte-Irène, où eut lieu en 381 le Second Concile œcuménique. Je pense que ce Concile pourrait avoir lieu dans un avenir prévisible, à condition qu’aient été discutées et réglées toutes les questions concernant la représentation, le protocole et l’ordre du jour.
- Peut-on dire qu’à condition qu’un accord soit trouvé sur toutes ces questions le Patriarcat de Moscou se prononce aujourd’hui pour la convocation du Concile ?
- Nous nous prononçons en faveur de la convocation de semblable Concile car face aux défis auxquels est aujourd’hui confrontée l’Église orthodoxe dans le monde entier, il faut que se fasse entendre la voix unie et solidaire de l’orthodoxie. C’est pourquoi il est très important de surmonter tous nos désaccords à l’étape de la préparation, afin que le futur Concile soit un facteur d’unité, et non un facteur de division. C’est pourquoi il est absolument nécessaire que, comme cela se pratique déjà dans la collaboration inter-orthodoxe, le consensus reste la seule méthode de prise de décisions.
- Certains représentants du monde orthodoxe s’attendent à autre chose : le Huitième Concile œcuménique se réunira et supprimera toutes les décisions des sept précédents...
- Ces craintes sont dénuées de fondements. D’abord parce que le Concile ne prendra aucune décision qui n’ait été auparavant formulée au cours des dernières cinquante années de Commission préparatoire. Les décisions de la Commission préparatoire sont connues, on ne les cache à personne : les documents et les protocoles des séances de ces commissions peuvent être rendus accessibles à ceux qui le souhaitent. Une grande partie des documents de la Commission préparatoire avaient été publiés dans le Journal du Patriarcat de Moscou dans les années 1970-80.
Bien plus, si la décision de convoquer le Concile panorthodoxe est prise (j’aimerais souligner que cette décision ne peut être prise que par toutes les Églises orthodoxes locales), tous les thèmes qui ont été discutés durant cinquante ans seront étudiés une nouvelle fois. On y apportera les corrections nécessaires en tenant compte des circonstances ; les décisions qui seront prises seront connues à l’avance : il n’y a aucune raison d’attendre des surprises de ce Concile.
- Peut-on dire que l’observation du principe de consensus dans la tenue du Concile exclut toute décision qui pourrait aller à l’encontre de la tradition de l’Église, comme le craint une partie des fidèles ?
- Oui, elle l’exclut, car le principe de consensus suppose l’accord de toutes les Églises à la décision prise. Si une Église n’est pas d’accord, c’est qu’elle a ses raisons, raisons fondées sur la tradition de telle ou telle Église locale. Il faut dire qu’il n’y a aucune divergence doctrinale ni aucun désaccord dans le domaine du droit canon entre les Églises orthodoxes locales. Toutes les difficultés auxquelles nous sommes confrontés sont avant tout d’ordre politique. Elles peuvent être surmontées par le dialogue entre les deux Églises locales entre lesquelles sont intervenues ces désaccords, ou au niveau inter-orthodoxe.
Quant aux dix thèmes introduits à l’ordre du jour du Concile panorthodoxe il y a de cela 50 ans, nous sommes déjà parvenus à un accord sur huit d’entre eux. Les deux derniers sont d’ordre, je dirai, technique. Il s’agit du mode de signature des tomos d’autocéphalie dans le cas où elle serait octroyée à telle ou telle Église, et de l’ordre dans lequel les Églises figureront dans les listes officielles, les dyptiques. Ces questions qui, je tiens spécialement à le préciser, n’ont aucune dimension doctrinale, peuvent être résolues après le Concile panorthodoxe.
- Pourtant, les représentants de groupes non canoniques en Ukraine, qui ne sont en communion avec aucune des Églises orthodoxes locales attendent du Concile, et même de la réunion des cinq chefs des Églises du Proche-Orient le 1er septembre la reconnaissance de leur autocéphalie et leur introduction dans ces mêmes dyptiques.
- La question du schisme est très douloureuse. Le schisme est une blessure sur le corps de l’Église. Naturellement, l’Église doit s’efforcer constamment de régler les schismes existant. Et l’Église appelle toujours ceux qui, consciemment ou non, se sont fourvoyés dans le schisme, à rejoindre son sein. Elle les attend toujours les bras grands ouverts.
Je présume que le futur Concile panorthodoxe pourra tout à fait discuter cette thématique et prendre des décisions qui aideront nos frères et sœurs égarés dans le schisme à revenir dans le sein de l’Église. Mais je ne pense pas que la réunion des Primats des Églises du Proche-Orient, toute consultative et consacrée aux problèmes d’une région concrète soit à même de prendre une quelconque décision sur la question ukrainienne. L’Ukraine n’est pas au Proche-Orient. Il s’agit d’une rencontre régionale qui sera consacrée à une thématique régionale, proche-orientale.
- Vous avez présidé l’office de la fête de la Dormition au monastère Sainte-Marie-Madeleine, qui appartient à l’Église russe hors-frontières. Comment avez-vous été reçu, comment se met aujourd’hui en œuvre la collaboration entre le Patriarcat de Moscou et l’Église hors-frontières en Terre sainte ?
- J’ai été très chaleureusement accueilli par l’higoumène, Mère Elisabeth, et par les sœurs du monastère Sainte-Marie-Madeleine à Gethsémani. J’ai célébré la Divine liturgie. Et c’est bien entendu avec un sentiment particulier que j’ai prié le jour de la Dormition de la Mère de Dieu à l’endroit même où Elle avait été inhumée, là où notre Seigneur Jésus Christ avait prié Son Père céleste avant Sa Passion et Sa mort.
La collaboration entre l’Église russe hors-frontières et le Patriarcat de Moscou se développe dans le bon sens. Aujourd’hui, à certains endroits, y compris en Terre sainte, il existe des structures parallèles du Patriarcat de Moscou et de l’Église russe hors-frontières, ce qui peut être perçu comme une anomalie d’un point de vue canonique. Cette situation résulte des évènements tragiques qui ont suivi la révolution et le processus de guérison des blessures infligées à l’époque pourra prendre un certain temps.
A l’heure actuelle, à la demande de l’Église hors-frontières et sur une décision du Saint-Synode, un groupe de travail a été chargé d’étudier le mode de collaboration ultérieure entre l’Église hors-frontières et le Patriarcat de Moscou. Je pense que, si l’on le souhaite, la coopération en Terre sainte peut être discutée dans le cadre de ce groupe de travail.