Une interview du métropolite Hilarion au journal serbe Politika
Dans un entretien publié le 31 août 2011 dans le journal serbe « Politika », le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou évoque différents problèmes touchant les relations inter-orthodoxes et interchrétiennes, le témoignage de l’Église au monde contemporain et la situation dans la région du Kosovo.
– Quelle solution aux problèmes envenimant les relations entre l’Église orthodoxe serbe et le gouvernement du Monténégro proposeriez-vous ?
– Le rôle de l’Orthodoxie dans la vie de la société monténégrine a toujours été très important. Aujourd’hui, le Monténégro est un état indépendant dont 80% des citoyens sont de confession orthodoxe.
L’Orthodoxie monténégrine est spirituellement étroitement liée au Patriarcat historique de Petch, au sein duquel elle était représentée par la métropole de Zeta. Elle représente aujourd’hui encore une partie importante du Patriarcat de Serbie, dont le territoire canonique s’étend sur plusieurs états indépendants. On retrouve la même situation au sein des Patriarcats de Constantinople, d’Alexandrie, de Jérusalem, de Moscou. Le Patriarcat d’Alexandrie, par exemple, englobe pratiquement tout le continent africain.
Il va se soi que les difficultés accumulées dans les relations entre l’Église et l’état du Monténégro doivent être résolues dans le cadre d’un dialogue patient, attentif et respectueux entre l’état souverrain du Monténégro et les représentants de l’Église orthodoxe serbe. La résolution de ces difficultés est impensable sans une étude sérieuse des fondements canoniques de l’Église orthodoxe, multiséculaires, reflétant sa nature spirituelle et correspondant à sa vocation. Par ailleurs, la structure canonique de l’Église orthodoxe est suffisamment souple et permet, en cas de bonne volonté, de trouver des solutions de compromis même aux questions les plus sensibles.
Au cours de mes récentes rencontres avec les représentants de l’état du Monténégro, j’ai souvent entendu dire que la création d’une Église orthodoxe monténégrine unie ne supposait pas d’ingérence dans les questions de droit canon. Il faut cependant reconnaître que l’on ne peut obtenir de vrai succès dans l’application de ce type de réforme qu’en tenant compte de l’avis du Patriarcat de Serbie, de la compétence duquel dépend historiquement l’organisation de la vie ecclésiale des chrétiens orthodoxes du Monténégro.
– Après votre visite en Serbie, au début du mois d’avril de cette année, la presse serbe a écrit qu’au cours de vos rencontres vous auriez fait savoir la désapprobation de l’Église russe devant une possible invitation du Pape en Serbie pour l’année 2013. Avez-vous abordé ce thème avec les représentants de l’Église orthodoxe serbe ?
– Ce thème n’a volontairement pas été soulevé au cours de mes rencontres avec les hiérarques de l’Église orthodoxe serbe. Il s’agit d’une affaire intérieure au Patriarcat de Serbie. Pour autant que je sache d’après les médias, l’épiscopat de l’Église orthodoxe serbe est divisé sur la question de l’invitation du Pape. Pour l’instant l’orientation des prochaines festivités du 1700e anniversaire de l’édit de Milan reste flou : témoigneront-elles de l’importance de ce jubilé historique pour les représentants des différentes confessions chrétiennes, où seront-elles l’occasion d’exprimer l’unité fraternelle des Églises orthodoxes locales.
– Les fonctionnaires ecclésiastiques orthodoxes et catholiques ont souvent exprimé la crainte de voir l’Europe perdre sa dimension chrétienne. Vous soulignez que les orthodoxes et les catholiques doivent défendre ensemble les valeurs traditionnelles chrétiennes en Europe. Comment deux Églises chrétiennes peuvent-elles remplir ensemble cette charge, estimez-vous que cette collaboration peut avoir des conséquences néfastes pour l’une ou l’autre des deux Églises, comme le craignent certains milieux ecclésiastiques qui voient dans ce dialogue une tentative d’union ?
– La nécessité d’une collaboration entre orthodoxes et catholiques dans la défense des valeurs traditionnelles chrétiennes au sein de la société sécularisée contemporaine devient de plus en plus criante ces derniers temps. Les positions de nos Églises sont proches sur de nombreux défis que le monde jette actuellement au christianisme : ce sont les processus de sécularisation libérale, la globalisation, l’érosion des valeurs familiales, les dommages causés aux normes de la morale traditionnelle. Nos Églises s’élèvent ensemble contre l’avortement, l’euthanasie, les expériences médico-biologiques incompatibles avec le principe moral du respect de la personne humaine, etc.
Le problème de la christianophoblie, l’atteinte aux droits des chrétiens à cause de leur appartenance religieuse, devient de plus en plus actuel. Nous observons aujourd’hui, malheureusement, des manifestations ouvertement antireligieuses en Europe, où certaines forces politiques s’efforcent d’évincer la religion de la sphère publique pour la restreindre à la seule sphère individuelle. Une position concordante de nos deux Églises peut ici avoir une grande importance.
La collaboration entre catholiques et orthodoxes peut se développer sous différentes formes. Il peut s’agir de projets culturels communs, d’actions publiques, d’une coopération active au niveau des représentations auprès des organisations internationales. Il y a déjà des exemples positifs de collaboration. Grâce à l’action concertée et conséquente des orthodoxes et des catholiques, il a été possible, par exemple, d’obtenir une résolution positive de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire « Lautsi contre l’Italie » sur les crucifix dans les écoles publiques italiennes.
La crainte d’une quelconque union que favoriserait cette collaboration est totalement infondée. L’union, c’est la réunion sur la base de compromis dans le domaine de la foi. Tandis que la collaboration dont je parle ne touche pas à la sphère doctrinale. Les Églises orthodoxe et catholique romaine, sans être pleinement unies doctrinalement et canoniquement parlant peuvent collaborer dans le domaine social puisque les positions des deux Églises sont très proches sur ce point.
– La lutte pour la survie de l’Église serbe au Kosovo n’a pas cessé, et sa mission est toujours en danger. Vous aviez formulé l’idée d’envoyer des moines de l’Église orthodoxe russe dans les monastères de Kosovo et de Métochie pour renforcer la présence orthodoxe dans la région. Où en est ce projet ?
– Il est actuellement à l’étude, et la décision finale dépendra des souhaits et des besoins de nos frères serbes. Avec la bénédiction du magistère de l’Église orthodoxe serbe, nous discutons d’une aide possible avec l’évêque Théodose de Ras-Prizren. Nous sommes également satisfaits de ce que l’état russe, dans le cadre de sa participation aux programmes de l’UNESCO a fourni une aide financière conséquente pour la restauration des lieux saints orthodoxes de la région kosovare.
– Un décret du Saint-Synode en date du 5 mai 2003 vous nommait représentant de l’Église orthodoxe russe près les organisations internationales européennes à Bruxelles. Vous avez occupé cette position jusqu’en 2009. A quel point est-il important que les orthodoxes aient leur représentant dans ces structures et l’Église orthodoxe russe en tire-t-elle avantage ?
– J’ai commencé à représenter l’Église orthodoxe russe près les organisations européennes internationales dès juillet 2002 sur une décision du Saint-Synode, et j’ai continué jusqu’à ma nomination au poste de président du Département des relations extérieures du Patriarcat de Moscou en 2009. Durant cette période, la Représentation a activement travaillé avec les instituts de l’Union européenne sur un large spectre de problèmes, participant à la discussion de questions intéressant les chrétiens d’Europe. C’est alors que s’est mise en place la tradition des rencontres annuelles des leaders religieux d’Europe avec le gouvernement de l’Union européenne. Ces rencontres sont devenues une forme productive de dialogue entre les communautés religieuses avec cette union intégrée, permettant de représenter les intérêts des croyants au plus haut niveau politique. Le dialogue avec l’Union européenne démontre entre autres l’importance du fonctionnement des représentants de l’Église orthodoxe russe à l’étranger.
Quant au contenu du travail ecclésiastico-diplomatique, elle est fondée, comme il y a des siècles, avant tout sur le témoignage de la vérité intangible du Christ. L’expression de cette vocation de nos jours est notre souci de la conservation des repères moraux dans la collaboration internationale. Ceci est particulièrement important dans le dialogue avec les organisations internationales qui travaillent aux droits de l’homme et au dialogue interculturel. L’Église, en proposant des solutions aux problèmes de société s’appuie sur l’expérience séculaire de l’humanité et sur l’héritage spirituel de l’Europe qui donnent à l’homme et au socium en général des motifs convaincants en faveur d’une vie vertueuse. Pour la plupart des peuples d’Europe, ces motifs sont impensables en dehors de la foi chrétienne, des idéaux de laquelle nous témoignons dans tout notre travail ecclésiastique extérieur.
Propos recueillis par Elena Tchalia