Métropolite Hilarion de Volokolamsk : l’avenir de l’orthodoxie dépend de la fidélité à la tradition ecclésiale
Le président du Département des relations extérieures du Patriarcat de Moscou et chef de la commission synodale biblique et théologique, le métropolite de Volokolamsk Hilarion a donné une interview au site « Bogoslov.ru » (« Théologie »). Dans sa discussion avec l’archiprêtre Paul Velikanov, rédacteur en chef du site, Mgr Hilarion a évoqué sa vision du rôle et de la place de la Commission qu’il dirige dans la vie contemporaine de l’Église, des problèmes théologiques qui se posent à l’Église orthodoxe aujourd’hui, et a abordé le problème de la préparation et de la convocation du Concile panorthodoxe, ainsi que d’autres sujets.
- Votre Eminence, le 5 octobre 2011, vous avez été nommé président de la Commission synodale biblique et théologique. La haute direction de l’Église orthodoxe russe vous a précisément choisi pour une tâche subtile et vaste, à savoir diriger l’action de l’Église dans le domaine de la théologie. Nous voudrions connaître votre vision du rôle et de la place de la Commission dans la vie contemporaine de l’Église. Envisage-‐t-‐on le développement de la Commission en une sorte d’« institut scientifique et de recherche de pointe », de « conseil d’experts » ou sa fonction doit-‐elle rester inchangée ?
- Avant tout, je voudrais souligner qu’il n’a jamais été question que la Commission théologique synodale, et par voie de conséquence, son président, ait pour tâche de « diriger l’action de l’Église dans le domaine de la théologie ». A la différence, disons, du ministère épiscopal, qui est avant tout un ministère de « direction » (1 Cor. XII, 26-‐29), mais aussi de préservation de la Tradition de l’enseignement de la foi et des canons, la diaconie théologique constitue une vocation particulière. Pour son accomplissement sont nécessaires, outre la fidélité à l’Église, la compétence appropriée et l’aptitude à la réflexion théologique. Aujourd’hui, la tâche qui se présente à nous n’est pas « la direction de la théologie », mais la création des conditions pour que la nouvelle génération des théologiens orthodoxes développent ces qualités.
La Commission concernée n’est pas une institution scientifique-‐ théologique et elle remplit précisément les fonctions de conseil d’experts qui, sur l’ordre de Sa Sainteté le Patriarche et du Saint-‐ Synode travaille sur des thèmes concrets, formulant collégialement les réponses aux questions posées. C’est en cela que réside sa tâche principale.
En ce qui concerne les autres formes et les orientations de l’activité de la Commission, nous proposons de les discuter lors de la prochaine session plénière.
- Monseigneur, vous êtes théologien, reconnu à juste titre tant par la communauté scientifique en Russie qu’à l’étranger. Selon votre point de vue, quels sont les problèmes théologiques qui se présentent avec le plus d’acuité aujourd’hui à l’Église Orthodoxe dans son intégralité ? Y a-‐t-‐il des questions dont la résolution fait réellement dépendre l’avenir de l’Orthodoxie ?
- L’Église orthodoxe contemporaine préserve la succession de la communauté chrétienne apostolique et dans ce sens elle constitue avant tout l’Église de la tradition. L’avenir de l’orthodoxie dépend de la fidélité à la tradition ecclésiale – cette fidélité que l’Église a conservée dans les conditions historiques les plus diverses au cours des siècles.
Contrairement à des communautés chrétiennes d’orientation libérale, l’Église orthodoxe n’a pas besoin de repenser ou de réinterpréter son enseignement doctrinal et éthique. Et lorsque les scientifiques dans le domaine ecclésial – patrologues, historiens, liturgistes et représentants d’autres disciplines, au cours de leurs recherches font face à certains problèmes, ceux-‐ci ne concernent pas la doctrine de la foi comme telle, mais des questions particulières, spéciales qui se posent dans n’importe quelle science sérieuse.
Il y a encore un problème aigu, actuel, qui est absolument théologique, c’est celui de la mission contemporaine de l’Église. Dans le cas présent, il n’est pas question du contenu de la bonne nouvelle ecclésiale, de la prédication de l’Église, mais de ce qu’il convient de faire pour que ladite prédication, dans les circonstances actuelles, soit cohérente et efficace. Car la théologie ne consiste pas seulement à approfondir le sens de l’enseignement dogmatique et éthique de l’Église. C’est encore la proclamation, le mode particulier d’annoncer au monde, d’amener jusqu’aux hommes, les vérités de la foi, en utilisant les moyens les plus divers. Ce n’est pas en vain que le célèbre défenseur de la vénération de l’icône, le Patriarche Nicéphore de Constantinople, a utilisé l’expression « mélodie de la théologie ».
Aujourd’hui, nous faisons face à la tâche de trouver de telles méthodes d’expression de l’enseignement ecclésial, qui permettent de donner réponse au sujet de notre espérance aux gens qui nous entourent, alors qu’ils sont encore loin de l’Église ou qu’ils se trouvent sur son chemin.
En partie, cette tâche est accomplie par le travail sur le catéchisme, qui est maintenant réalisé dans le cadre des activités de la Commission synodale biblique et théologique.
- Ces derniers temps, la question de la préparation et de la convocation du Concile Panorthodoxe est activement discutée. Dans quelle mesure le processus de préparation est-‐il activement mené ? Comment voyez-‐ vous le rôle de la Commission biblique et historique dans le cadre de la préparation de ce concile important pour toutes les Églises locales, car il y a toute une série de questions dont, en partie, le problème de la primauté, qui ne sont pas résolues de la même façon, et ce précisément en raison de la divergence des « voies théologiques » ?
- À plusieurs reprises, j’ai abordé les questions liées à la préparation du Concile panorthodoxe. Cette préparation est en cours depuis déjà plus d’un demi-‐siècle, parfois elle a été activée, parfois elle s’est arrêtée. Les positions des Églises orthodoxes locales ont été coordonnées relativement à une série de questions portées à l’ordre du jour. Aujourd’hui, nous débattons à nouveau de ce que doit être le Concile, dans le cours du dialogue inter-‐orthodoxe. Et il faut dire que cette discussion constitue une partie du processus conciliaire, qui peut couronner le Concile lui-‐même.
Peut-‐être certaines questions controversées, au sujet desquelles un consensus n’est pas encore atteint, ne devraient pas être débattues au Concile et remises à plus tard. Cela concerne la question de la primauté dans l’Église orthodoxe, ainsi que les questions qui lui sont liées relativement à l’attribution de l’autocéphalie et aux diptyques.
- La Commission biblique et théologique, relativement aux écoles théologiques de Russie, constitue une « pépinière » de cadres et de projets. À votre avis, dans quels domaines des sciences théologiques ressent-‐on aujourd’hui de la façon la plus aiguë un manque de spécialistes ?
- Les membres de la Commission synodale biblique et théologique sont des théologiens et des scientifiques dans le domaine ecclésial, qui font autorité, qui sont compétents, mais lorsque cela est indispensable, nous faisons appel à des experts dans les différents domaines, dont des représentants de la jeune génération des théologiens. Parmi les chercheurs et les spécialistes, nous avons un nombre assez important de personnes qui s’occupent de patrologie, orientale et occidentale. Il faut développer cette orientation, étant donné que l’appui sur l’héritage des Saints Pères constitue un aspect important et fort de la théologie orthodoxe contemporaine. cependant, cela est insuffisant.
Nous n’avons pas encore de spécialistes hautement qualifiés en droit canon, domaine dans lequel la science ecclésiale russe se situait au niveau le plus élevé dans la période prérévolutionnaire. Dans le domaine biblique, la situation est meilleure. Dans le cadre de la Commission, un groupe de biblistes à été constitué, qui est formé tant des membres de la Commission que d’experts externes. Mais la science biblique orthodoxe doit être développée, et il faut là non seulement coordonner les forces, mais éduquer une nouvelle génération de savants.
Et bien sûr, il y a encore besoin de systématiciens en théologie. Ce n’est pas facile à atteindre, car pour cela sont nécessaires non seulement des spécialistes disposant d’une immense érudition, et ce non pas seulement théologique, mais aussi philosophique, culturelle, avec en outre un mode de pensée systématique et aussi un certain don littéraire. Il nous faut encore, pour l’étape suivante, atteindre le niveau de dogmatistes tels que le métropolite Macaire (Boulgakov). J’espère que le développement graduel des disciplines théologiques permettra l’apparition de personnes capables de proposer des œuvres théologiques de caractère systématique.
- En ce qui concerne les académies ecclésiastiques et les cathèdres théologiques des universités séculières, comment envisagez-‐vous la vocation de chacune de ces écoles, qui structurellement et administrativement sont fortement distinctes les unes des autres ?
- La tradition académique ecclésiastique constitue une partie indissociable de l’instruction théologique supérieure russe. Elle constitue son noyau et son fondement solide. La tâche principale de l’académie ecclésiastique consiste en la formation de prêtres, de hiérarques et de pasteurs avec un haut niveau d’instruction. Et dans ce domaine également, nous n’avons pas encore atteint le nouveau prérévolutionnaire, parce que l’instruction académique avait alors une forte composante scientifique générale et en sciences humaines.
Les sous-‐sections théologiques – cathèdres, départements et facultés dans les instituts supérieurs séculiers, constituent une nouvelle expérience, mais leur apparition est dictée avant tout par des buts de culture spirituelle et de missions, auxquels l’Église fait face aujourd’hui. Ces sous-‐sections doivent être développées, en utilisant le privilège dont elles disposent de par leur statut, c’est-‐à-‐dire leur inclusion dans l’université. Une telle inclusion permet non seulement de rétablir et de maintenir la théologie en tant que partie légitime et indissociable de l’instruction et de la culture, mais elle permet aussi à la théologie d’entrer en dialogue et en interaction avec les sciences séculières, particulièrement dans le domaine des sciences humaines. Cela permettra le développement et l’enrichissement de notre théologie, de trouver sa capacité à parler avec le monde. Pour cela, évidemment, il est indispensable que la théologie dite « mondaine » ne perde pas son lien vivant avec la vie de l’Église. Ce danger existe, et il faut toujours s’en souvenir. Car la théologie orthodoxe hors de la vie liturgique et spirituelle est vouée à la stérilité.
- La Commission synodale biblique et théologique a été connue grâce à l’organisation des conférences théologiques de l’Église orthodoxe russe qui ont rassemblé les meilleurs théologiens du monde entier. Va-‐ t-‐on continuer la tradition de telles conférences ou leur mode va-‐t-‐il changer ?
- La tradition de tenue de conférences théologiques internationales sera assurément poursuivie. Les matériaux des conférences passées constituent un apport important dans notre théologie et reflètent la dynamique de son développement. Un recueil des matériaux de la dernière conférence « Vie en Christ, éthique chrétienne, tradition ascétique de l’Église et défis de l’époque contemporaine » est actuellement sous presse. Cette conférence eut lieu en novembre 2010.
En ce qui concerne le mode de ces conférences et leur structure thématique, des changements sont possibles. Nous discuterons également de cette question lors de la séance plénière de notre Commission.
- En conclusion, permettez, Monseigneur, que l’on entende de vous des souhaits destinés à la rédaction, aux auteurs et aux lecteurs du site « Bogoslov.ru », précisément comme venant du Président de la Commission synodale biblique et théologique.
- Je souhaite à la rédaction et aux auteurs du site « Bogoslov.ru » de toujours se rappeler de la responsabilité qui est la leur lorsqu’ils s’adressent par la parole théologique à un auditoire si vaste, et d’améliorer constamment le niveau scientifico-‐théologique des matériaux publiés. Quant aux lecteurs, je leurs souhaites que les matériaux du site ne leurs servent pas seulement à élargir leur horizon théologique, mais à les affermir dans la foi orthodoxe.
Traduit pour www.orthodoxie.com