Le métropolite Hilarion a commenté les modifications apportées dans la question de l’enseignement de la théologie dans les établissements d’enseignement supérieur
Le 12 septembre 2013, un arrêté du ministre de l’Enseignement et de la science de la Fédération de Russie a été signé sous le numéro 1061. Intitulé « de l’approbation de la liste des spécialisations et des orientations de la formation dans l’enseignement supérieur », il a été enregistré le 14 octobre 2013 au ministère de la Justice de la Fédération russe. Aujourd’hui, il a été publié sur le site du ministère de l’Enseignement et de la science. Conformément à cet arrêté, la formation en « Théologie » devient une discipline élargie à part entière et prépare au baccalauréat, à la maîtrise et au 3e cycle.
Ces modifications ont été commentées par le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du groupe interministériel de coordination de l’Église orthodoxe russe sur l’enseignement de la théologie dans les établissements d’enseignement supérieur, recteur de l’Institut des Hautes Études Saints-Cyrille-et-Méthode.
- Monseigneur, pendant la discussion du projet sur la liste des spécialisations élargies, la place de la théologie dans cette liste a suscité des débats assez vifs. A quel point la création d’un groupe de spécialisations réservé à la théologie est-elle fondée ?
- La théologie avait historiquement, et a toujours, un statut de discipline scientifique indépendant, aussi bien en Europe occidentale qu’en Russie. Bien que les liens interdisciplinaires de la théologie avec l’histoire, la philosophie et la philologie aient toujours été forts, son identité scientifique n’a jamais été mise en doute par les spécialistes. La théologie contemporaine a un contenu propre, indépendamment des autres sciences humaines.
- Vous avez mentionné le contexte historique. La théologie n’était-elle pas enseignée hors du système universitaire dans la Russie d’avant la révolution ?
- Il n’existait qu’une seule faculté de théologie (protestante) sur le territoire de l’Empire russe, à l’université de Derpt. La théologie orthodoxe revêtant une importance primordiale, un système entier d’académies et de séminaires avait été créé spécialement pour elle. Bien plus, les académies de théologie et les séminaires sont apparus plus tôt que les universités laïques. Ceci explique que lors de la fondation des premières universités, celles-ci n’avaient pas de facultés de théologie, dans la mesure où semblables établissements existaient déjà sous la forme d’académies et de séminaires. Les universités et les établissements d’enseignement religieux formaient un réseau d’établissements régis par l’état : les statuts des établissements religieux, aussi bien que les statuts des universités étaient approuvés par le gouvernement.
Les académies de théologie participaient aux recherches scientifiques au même titre que les universités et Académies des sciences. On peut citer l’exemple de l’Institut archéologique russe de Constantinople, fondé en 1894, qui était un projet commun de l’Académie des sciences et de l’Église. En Union soviétique, la théologie a été brutalement éliminée de l’espace scientifique et éducatif pour des raisons purement politiques, contre l’avis de la communauté scientifique. Après la révolution, en 1918, les universités de Petrograd et de Kazan étaient prêtes à accueillir les académies de théologie fermées par le pouvoir sous la forme de facultés, mais on ne le leur a pas permis, pour des raisons idéologiques.
- Quelle est la situation de la théologie en tant que discipline dans l’espace éducatif international contemporain ?
- La théologie en tant que groupe de spécialisations est inscrite dans les principales classifications internationales. Ainsi, la classification internationale type de l’enseignement adoptée à la 36e session de la Conférence générale de l’UNESCO, distingue nettement « religion et théologie » de « philosophie et éthique ». Dans la classification des programmes d’enseignement du Centre national américain de statistiques sur l’enseignement (National Center for Education statistics, NCES), un groupe « théologie et ministère religieux » (Theology and Religious Vocation) est enregistré parallèlement aux disciplines philosophie et science des religions. Il comprend les spécialisations suivantes : sciences bibliques, missiologie, enseignement religieux, musique religieuse, liturgie, pastorale, consultation pastorale et ministère particulier.
Toutes les grandes universités laïques d’Europe occidentale et d’Amérique ont une faculté de théologie, et la théologie est enseignée en tant que discipline scientifique. L’enseignement peut être aussi bien confessionnel que non confessionnel. A l’université d’Oxford, où j’ai pu étudier, la faculté de théologie est non confessionnelle, bien que l’université se compose de collèges et de centres d’études appartenant aux anglicans, aux catholiques, aux représentants d’autres confessions chrétiennes. Durant plus de 30 ans, un prélat orthodoxe a enseigné à la faculté, le métropolite Calliste de Diocléia.
- Quelle est la position des représentants des autres religions traditionnelles en Russie sur cette question ?
- La position des confessions religieuses traditionnelles en Fédération de Russie est identique sur cette question concrète. La position des représentants des principales confessions religieuses en Russie a été formulée dans la lettre adressée en juin 2013 au Président de la Fédération de Russie, V. Poutine, au nom du Conseil interreligieux de Russie. Cette lettre soulignait le fait que la théologie en tant que norme d’enseignement polyconfessionnelle au niveau du baccalauréat et de la maîtrise se présentait comme une métadiscipline qui ne pouvait pas ne pas s’appliquer au 3e cycle.
- Parlez-nous des principales étapes de la discussion sur la décision d’inclure la théologie dans la liste des spécialisations.
- Dès que nous avons eu la possibilité de formuler notre position, nous avons organisé une consultation multilatérale dans le milieu ecclésiastique. Ce thème a été placé à l’ordre du jour de la réunion du Haut Conseil ecclésiastique de l’été 2013. Nous avons reçu un grand nombre de réactions de la communauté scientifique et d’experts. Avec la bénédiction de la hiérarchie, la coordination du travail a été confiée au groupe de coordination interdépartemental de l’Église orthodoxe russe sur l’enseignement de la théologie dans les établissements d’enseignement supérieur, créée par le Saint Synode. Dans le cadre de cet organe, le Conseil pédagogique et méthodique sur la théologie, qui fonctionne à l’intérieur de l’Association pédagogique et méthodique sur l’enseignement universitaire classique, a pu travailler. L’université orthodoxe des sciences humaines Saint-Tikhon a également largement contribué à atteindre le résultat espéré.
A toutes les étapes, nous avons été en contact direct avec les spécialistes du ministère de l’Enseignement et de la science. Tous les spécialistes se ne sont pas toujours montrés compréhensifs, particulièrement au début. Certains nous proposaient de fonder un groupe de spécialisations sous la dénomination commune de « Philosophie, éthique, sciences religieuses, théologie ». Nous ne pouvions pas approuver, cependant : la théologie en tant que science se distingue radicalement des autres disciplines énumérées, y compris des sciences religieuses, qui se présentent comme une étude des religions, bien souvent d’un point de vue athéiste.
Un dialogue constructif avec le ministère de l’Enseignement et de la science a porté ses fruits et la situation permet aujourd’hui de développer la discipline « Théologie » dans l’espace universitaire laïc. Ceci est d’une grande actualité, dans la mesure où des départements ou des secteurs de théologie ouvrent dans de nombreux établissements supérieurs, suscitant un grand intérêt de la part des étudiants et des enseignants. Je peux en parler d’après ma propre expérience d’enseignement à l’Institut scientifique de recherche nucléaire : de 300 à 400 étudiants assistent à mes cours.
- Quelles perspectives s’ouvrent aujourd’hui devant l’enseignement de la théologie ?
- L’ouverture d’une formation en « Théologie » conçue comme un groupe de disciplines à part entière pour le baccalauréat, la maîtrise et le 3e cycle permettra de légaliser le potentiel scientifique qui existe dans la théologie nationale. La composante scientifique du processus d’enseignement est extrêmement importante, et plus le niveau est élevé, plus le cycle d’enseignement va loin. Un mécanisme vient d’être créé, permettant d’évaluer la qualité du travail de recherche des étudiants de 3e cycle en théologie.
Le travail en faveur du retour de la théologie dans l’espace universitaire laïc n’est cependant pas terminé. La prochaine étape est la mise en place de conditions pour la reconnaissance par l’état des diplômes obtenus pour la soutenance d’une thèse en théologie, comme cela existe dans le monde entier. La création du Conseil doctoral académique de l’Église orthodoxe russe, formé suivant les exigences requises pour les conseils de ce type dans l’espace scientifique laïc, est un pas dans cette direction. Nous continuerons à dialogue sur ce thème avec le ministère de l’Enseignement.