Interview du métropolite Hilarion de Volokolamsk au portail « Interfax-Religia »
Interview du métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou, président de la Commission synodale biblique et théologique au portail « Interfax-religia »
- On entend souvent dire, ces derniers temps, que l’Église envisage une nouvelle traduction de la Bible, en russe moderne. Est-ce exact ?
- Le besoin d’une nouvelle traduction, ou du moins d’une correction de la traduction synodale existe effectivement, et l’Église le ressent. Dès 2011, la commission théologique de la Conférence interconciliaire de notre Église avait préparé un document intitulé « L’Église et les différentes traductions des livres bibliques ». On y évoquait, entre autres, le besoin éventuel d’une nouvelle traduction de la Bible en russe littéraire moderne, qui tiendrait compte des avancées de la science contemporaine, s’appuierait sur une théorie moderne de la traduction, mais ne serait pas coupée de la tradition ecclésiale. Ce projet a été publié sur le site officiel du Patriarcat de Moscou. Lors de la récente conférence « Les sciences bibliques et la tradition de l’Église », j’ai présenté aux participants la discussion qui a suivi la publication de ce document. Cependant, dire que « Église russe prépare une traduction de la Bible en russe moderne » comme l’ont affirmé certains médias, est pour le moins prématuré. Un projet aussi sérieux et d’une telle envergure doit être discuté au niveau conciliaire et recevoir l’aval de la haute hiérarchie. En tous cas, c’est un énorme travail et une immense responsabilité. Il s’agit d’un projet d’importance nationale et si une décision était prise en ce sens, il ne pourrait être réalisé qu’avec le soutien de l’état.
- Quels sont les défauts de la traduction synodale de la Bible de 1876 ?
- Depuis la publication de la traduction synodale, la science a beaucoup avancé : les nouvelles découvertes archéologiques, les manuscrits de Qumrân, les parallèles ougaritiques avec le texte biblique, toutes ces avancées des sciences bibliques au XX siècle étaient naturellement inconnues des traducteurs synodaux. Enfin, la traduction synodale comporte un certain nombre d’erreurs de traduction et de rédaction. La ville d’Hazor, par exemple, est tantôt nommée Assor, tantôt Hazor, tantôt Essor ou bien Nazor. Certaines erreurs sont importantes. Nous lisons par exemple dans la traduction synodale du livre de Malachie, que Dieu autorise le divorce. Cependant, et le texte hébreu, et le texte grec, et le texte slavon disent le contraire, à savoir que Dieu a le divorce en horreur.
- Si la décision de rédiger une nouvelle traduction était prise, quand pourrait-on en voir les résultats ?
- Cela ne se fait pas du jour au lendemain. Nous n’en sommes qu’au début. Et même si nous nous mettions tout de suite à la traduction, elle serait loin d’être terminée. L’expérience des spécialistes des Sociétés bibliques réunies montre qu’il faut au moins 15 ans pour traduire la Bible dans une langue moderne. La traduction synodale avait pris 20 ans, bien qu’elle s’appuyât (comme nous pouvons le faire aujourd’hui) sur des traductions déjà existantes. Je pense qu’il faut avant tout aujourd’hui développer les sciences bibliques en Russie, préparer des cadres auxquels ce travail pourrait être confié. Il faut que les étudiants des établissements religieux prennent connaissance des théories actuelles de la traduction, il faut étudier avec attention et critique l’expérience de traduction de la Bible dans les langues européennes modernes. Il est trop tôt pour énoncer des délais.
- Un périodique a proposé récemment d’éditer de nouvelles traductions de la Bible et du Coran dans un même ouvrage afin de renforcer le dialogue entre orthodoxes et musulmans ? Que pensez-vous de cette idée ?
- Cette proposition a déjà suscité de nombreuses réactions, tant de la part du clergé orthodoxe que de la part des leaders musulmans. Les commentateurs remarquent fort justement que les extrémistes ne liront pas ces éditions. Par ailleurs le dialogue interreligieux dans lequel est engagé notre Église évite le syncrétisme, c’est-à-dire le mélange des traditions religieuses. L’édition de la Bible et du Coran sous une même couverture produit précisément cette impression. Cela n’empêche pas qu’il faut, à mon avis, faire des efforts pour montrer le vrai rapport du Coran au christianisme. Parmi les exemples positifs, on peut rappeler le livre du professeur T. Ibrahim, chef de la Société russe des islamologues « Sur la voie de la tolérance coranique ». L’un des chapitres est spécialement consacré à la traduction et à la réflexion sur le sens des passages coraniques sur le christianisme et sur le judaïsme.
- Un autre thème important concerne l’Ukraine. Quel est votre appréciation de la situation actuelle dans ce pays ? L’Ukraine doit-elle signer la convention sur l’association et le libre marché dans la Communauté européenne ?
- Comment vous le savez, le baptême de la Russie et toute l’histoire ultérieure de l’Église orthodoxe russe prennent leur source à Kiev. Historiquement parlant, Kiev est le cœur de la sainte Russie, non pas seulement en tant que ville « d’où est partie la Terre russe », mais en tant que lieu où naquit l’Église russe. Aujourd’hui, notre Église suit les évènements avec inquiétude. Nous prions avec toute l’Ukraine orthodoxe, pour que la paix et la concorde règnent sur le sol ukrainien.
Certes, l’Ukraine, en tant qu’état souverain, a le droit de choisir librement si elle doit ou non signer la convention sur l’association de l’Ukraine à l’Union européenne. La direction du pays est chargée d’une lourde responsabilité. C’est aux dirigeants qu’il revient de prendre la décision qui servira au bien du peuple ukrainien, non seulement matériellement, mais spirituellement.
Je suis convaincu que malgré les changements de la conjoncture politique, et ils sont fréquents en Ukraine, notre unité spirituelle est indestructible. Aujourd’hui, l’Église russe reste le fondement de l’identité civilisationnelle du monde slave oriental, elle est le garant de son unité par-delà les frontières linguistiques, nationales et autres. L’appartenance à cette communion ne porte pas atteinte à la souveraineté des états nationaux, elle les aide au contraire à être plus forts dans un monde divisé.
- Vous êtes en contact régulier avec le Vatican. Commencent-ils à prendre conscience des fautes commises par les Gréco-catholiques en Ukraine ? Le Patriarcat de Moscou, comme chacun sait, n’a jamais reçu d’excuses pour les attentats contre les prêtres orthodoxes et les occupations d’églises.
- Le Vatican n’a jamais déclaré qu’il approuvait les violences commises par les Gréco-catholiques lors de l’occupation des lieux de culte appartenant à l’Église orthodoxe russe en Ukraine occidentale à la fin des années 1980 et au début des années 1990. Le Saint Siège a participé aux travaux de la commission quadripartite composée de représentants du Patriarcat de Moscou, de l’Église catholique, de l’Église orthodoxe ukrainienne et de l’Église gréco-catholique d’Ukraine, créée le 16 janvier 1990 à l’initiative du Patriarcat de Moscou pour résoudre la situation en Ukraine occidentale. Malheureusement, cette commission a dû cesser ses travaux, sans que ce soit la faute de l’Église orthodoxe.
En 1993, la Commission mixte de dialogue théologie orthodoxe-catholique a adopté à Balamand un document dans lequel les représentants de l’Église catholique romaine condamnaient l’uniatisme en tant que moyen d’union ecclésiale.
Pendant mes rencontres avec les papes Benoît XVI et François, j’ai constaté qu’ils comprenaient la position du Patriarcat de Moscou sur le conflit entre gréco-catholiques et orthodoxes en Ukraine.
Il faut bien garder à l’esprit que l’Église gréco-catholique d’Ukraine, comme toutes les autres Églises catholiques orientales, reconnaît le Pape comme son chef, mais dispose cependant d’une large autonomie et s’efforce d’éviter une trop grande ingérence du Vatican dans ses affaires internes. Ceci complique sensiblement le processus de réconciliation entre les Églises en Ukraine.
- Le pouvoir a changé en Géorgie. Une visite du Patriarche Cyrille à Tbilissi est-elle prévue ?
- Grâce aux Primats des Églises russe et géorgienne, et on ne peut leur refuser ce mérite, les relations interecclésiales se sont toujours développées de façon positive, indépendamment de la situation politique en Géorgie et des relations intergouvernementales. Grâce à la coopération des Églises russe et géorgienne, même aux temps les plus difficiles, nous avons réussi à conserver et à maintenir l’unité spirituelle et la communication des fidèles de Russie et de Géorgie.
L’Église russe est heureuse d’accueillir le Primat de l’Église de Géorgie, et le Patriarche Cyrille a rencontré le Catholicos-Patriarche de Géorgie ces dernières années plus souvent que tout autre Primat orthodoxe : plusieurs fois par an. Ce fait parle de lui-même et en dit long sur nos relations.
Le Patriarche Élie a également souvent invité le Patriarche Cyrille à visiter l’Église de Géorgie et cette visite aura certainement lieu, mais une date précise n’a pas encore été déterminée.
- Comment se résout la question de la pastorale des habitants de l’Abkhazie, qui ne veulent pas reconnaître la juridiction du Patriarcat de Géorgie sur leur territoire ?
- En octobre, le Saint Synode de l’Église orthodoxe russe a discuté de la situation en Abkhazie. Elle est effectivement complexe, ce dont profitent, malheureusement, des forces anticléricales. Celles-ci s’efforcent d’imposer des solutions politiques à des problèmes strictement ecclésiastiques et sèment ainsi la division et le scandale parmi les orthodoxes d’Abkhazie.
En fait, la solution ne pourra être trouvée que sur la base de la tradition canonique, et la plupart des membres du clergé abkhaze en ont conscience. Ces pasteurs ont été avec leur peuple aux heures difficiles et se sont acquis une autorité spirituelle. Parmi les croyants d’Abkhazie, il y a aussi beaucoup de russophones ainsi que de fidèles de l’Église russe résidant temporairement en Abkhazie. Au moins pour cette raison, nous ne pouvons être indifférents à leur sort.
Actuellement, le dialogue se poursuit sur la question abkhaze, afin d’éviter l’isolement de l’Abkhazie hors de la famille orthodoxe et de permettre le développement ultérieur de la vie de l’Église dans ce pays, dans l’esprit de l’amour du Christ et d’observance des traditions canoniques ecclésiastiques.