Déclaration du Saint Synode de l’Église orthodoxe russe

Ce document a été adopté pendant la réunion du Saint Synode le 19 mars 2014 (minute n°3).

L’attention de l’ensemble du monde orthodoxe est fixée sur les évènements tragiques qui se poursuivent sur le sol ukrainien. Le sang a coulé à Kiev. Des désordres ont lieu dans tout le pays.

Répondant à cette situation critique et aux menaces d’usurpation violente des églises et des monastères de l’Église orthodoxe ukrainienne, les Primats des Églises orthodoxes locales rassemblés du 6 au 9 mars à Istanbul ont publié un appel commun à la résolution pacifique du conflit et à la non-ingérence des forces politiques dans les affaires de l’Église. Les Primats ont également assuré qu’ils priaient pour le retour dans le sein de la Sainte Église de ceux qui se trouvent aujourd’hui en dehors de la communion ecclésiale.

Rassemblés aujourd’hui pour une réunion du Saint Synode, nous nous adressons de nouveau à l’Ukraine chère et nos cœurs et témoignons de ce que l’Église orthodoxe ukrainienne a toujours appelé et continue à appeler à la paix et à la prière, sans s’identifier (au contraire de certaines autres organisations religieuses) à aucun des partis en présence. Ses fidèles résident dans toutes les régions de l’Ukraine, elle est la plus grande communauté religieuse du pays, elle vit de la vie de son peuple, elle se trouve à ses côtés aux heures d’épreuve et d’affliction. C’est là la particularité de son ministère social, car l’Ukraine est peuplée de gens appartenant à des communautés ethniques, linguistiques et culturelles différentes, professant différentes opinions politiques. Certains militent pour une intégration maximale aux structures politiques fondées par les états d’Europe occidentale. D’autres, au contraire, aspirent à voir se développer les relations avec les peuples de la Rus’ historique, à préserver leur identité culturelle.

Les tendances contradictoires prenant tour à tour le pas l’une sur l’autre ont polarisé la société ukrainienne. L’Église, en s’élevant au-dessus des dissensions, ne peut s’identifier à un seul des points de vue énoncés ci-dessus. Au contraire, l’Église orthodoxe canonique, en restant en communion avec toute l’Orthodoxie, est la seule force qui puisse réconcilier et réunir des gens défendant des convictions diamétralement opposées au nom de la préservation de la paix civile.

La mission de l’Église, le devoir sacré de tous ses enfants, est d’aspirer à la paix sur le sol des peuples de la Sainte Russie, les invitant à renoncer au langage de la haine et de l’inimitié. Quoiqu’il arrive dans le domaine des relations intergouvernementales, quel que soit le développement du conflit politique, l’unité de la foi et la fraternité d’hommes issus des mêmes fonts baptismaux ne peuvent être rayées de leur passé commun. Nous croyons qu’elles ne peuvent non plus être rayées de l’avenir commun des peuples frères biélorusse, russe, ukrainien et autres, dans lequel ils vivront en paix, dans l’amour et la solidarité.

L’Église orthodoxe russe a souvent appelé à ne tolérer aucune violence, à n’admettre aucun bain de sang ni conflit fratricide sur le sol de l’Ukraine. Malheureusement, il n’a pas été possible d’éviter ces évènements tragiques : des gens ont péri, les victimes sont nombreuses. C’est pourquoi aujourd’hui nous appelons encore et encore ceux qui chérissent le peuple ukrainien et la paix en Ukraine : les violences ne doivent pas se répéter.

Les frontières de l’Église ne dépendent pas des préférences politiques, des divergences ethniques ni même des frontières étatiques. L’Église préserve son unité malgré toutes les circonstances fluctuantes. Il est par ailleurs extrêmement important de savoir si les peuples de la Rus’ historique pourront garder les valeurs sur lesquelles s’appuie la civilisation chrétienne, les valeurs qui nous ont permis de bâtir notre glorieux passé, et nous le croyons, rendent possible un avenir digne.

Il importe que nous soyons fidèles à ce fondement que sont les valeurs définies par l’Évangile du Christ et que nous mettions en pratique la loi de Dieu non seulement dans notre vie privée, mais encore dans la vie de nos peuples, dans nos relations qui doivent rester fraternelles, même au temps de dures épreuves. Que le jugement de Dieu qui s’exerce sur tout homme et sur tout peuple de l’histoire trouve en nous les ouvriers dignes de la vigne du Christ, fidèles à Sa vérité et accomplissant les œuvres de son amour.

Invoquant le Seigneur d’une seule voix, nous sommes appelés à agir suivant la parole de saint Paul : «avec beaucoup d’humilité, de douceur et de patience, supportez-vous les uns les autres avec amour ; ayez à cœur de garde l’unité dans l’esprit par le lien de la paix » (Eph 4, 1-3).