Le métropolite Hilarion a rencontré un groupe de pèlerins conduits par le cardinal Crescenzio Sepe, archevêque de Naples
Le 23 avril 2014, le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures recevait à la salle de conférences de l’hôtel « Danilovskaïa » le cardinal Crescenzio Sepe, archevêque de Naples, accompagné d’un groupe de clercs et de laïcs de son diocèse en pèlerinage à Moscou et Saint-Pétersbourg.
Les pèlerins étaient accompagnés du secrétaire général de la Communauté Sant’Egidio, le professeur Adriano Rocucci, et du recteur de l’église Saint-André-le-Protoclyte de Naples, l’archiprêtre Igor Vyjanov.
Le métropolite Hilarion a adressé à ses hôtes la salutation pascale orthodoxe et prononcé un discours d’accueil.
« Éminence, a-t-il dit au cardinal Sepe, vous étiez venus à Moscou à l’automne 2008 pour y offrir à l’Église russe une parcelle des reliques de saint Janvier. Depuis, de grands changements se sont produits dans notre église. Voilà déjà cinq ans que Sa Sainteté le Patriarche Alexis que vous aviez rencontré a rejoint le Seigneur. Depuis, Sa Sainteté le Patriarche Cyrille a été élu pour le remplacer.
Ces vingt-cinq dernières années ont été pour notre Église un temps d’intense renaissance religieuse. L’an dernier, nous avons fêté le 1025e anniversaire du baptême de la Russie et sommes revenus sur le chemin parcouru durant les 25 ans écoulés depuis les fêtes du millénaire de cet évènement, en 1988. Les célébrations d’alors avaient été une sorte de point d’envoi, après les soixante-dix ans passés par notre Église dans les griffes de l’état et après les persécutions subies. Dans les années 1920 et 1930, les persécutions avaient été cruelles et sanglantes : la majeure partie de notre clergé, de notre épiscopat, de nos moines a tout simplement été physiquement éliminée. Les monastères ont été fermés, ainsi que tous les établissements d’enseignement religieux et la plus grande partie des églises. Beaucoup d’entre eux ont été détruits. Pendant la guerre et les années qui suivirent, l’état a permis à l’Église de rétablir ses structures, mais dans les années 60, une nouvelle vague de persécution a commencé, pour se poursuivre avec plus ou moins d’intensité jusqu’à la fin des années 80.
Lorsque l’Église a commencé les préparatifs de la célébration du millénaire du baptême de la Russie, les autorités ont prévenu que cela devait être une célébration purement ecclésiastique, ne sortant ni des églises ni des monastères de l’Église russe. Les célébrations ont cependant coïncidé avec les changements en cours dans le pays, qui ont permis aux gens d’exprimer plus ou moins ouvertement leurs convictions, la fameuse politique de glasnost’ voulue par Gorbatchev battait son plein. Des milliers, des dizaines de milliers, des centaines de milliers de gens sont sortis dans les rues de leurs villes en procession pour témoigner de leur attachement à la foi orthodoxe.
Le Patriarche Cyrille était alors archevêque de Smolensk et de Viazma, ville qui comptait environ 60 000 habitants. Il a demandé au maire de mettre le stade municipal à sa disposition pour les célébrations. Le maire a répondu : « Pourquoi le stade ? Vous n’aurez même pas un millier de personnes ». Lorsque 40 000 personnes ont participé à la procession, soit les 2/3 de la population de Viazma, les autorités ont été bien surprises.
Et des scènes semblables se sont déroulées dans presque toutes les villes. Dès lors, les autorités ont compris qu’il fallait rendre à l’Église sa liberté. Cela a été le début de la renaissance spirituelle qui se poursuit encore aujourd’hui.
En 25 ans 25000 églises ont été restaurées ou reconstruites. Cela veut dire que nous ouvrons tous les ans mille églises, soit trois par jour. Nous n’avions que vingt monastères, ils sont actuellement plus de huit cents. Tous ces monastères sont pleins de moines et de moniales principalement jeunes. Nous avions trois séminaires et deux académies, contre plus d’une centaine d’établissements aujourd’hui. Ces statistiques témoignent de la dimension et de l’ampleur exceptionnelle de cette renaissance. Il y a peut-être eu quelque chose de semblable au IV siècle, dans l’Empire romain après l’édit de Milan, mais nous n’avons pas de statistiques pour cette époque tandis que nous en avons pour la nôtre. Il s’agit de dizaines de millions de personnes qui ont trouvé la foi après la période soviétique.
Beaucoup a été fait pour la renaissance de l’Église sous le Patriarche Alexis II. Nous avons pu restaurer les structures ecclésiastiques, mais surtout, et c’est très important, nous sommes parvenus à préserver l’unité de l’Église. Car l’Église orthodoxe russe est une Église multinationale. Sa juridiction canonique comprend non seulement la Russie, mais aussi quinze autres états, parmi lesquels treize anciennes républiques de l’Union soviétique ainsi que le Japon et la Chine. C’est un immense territoire sur lequel se déroulaient dans les années 90 des bouleversements politiques, la division de cet espace en de nombreux nouveaux états. Les nouvelles frontières politiques traversaient non seulement les rivières, les terres, les lacs, mais aussi les destinées humaines, divisant les familles lorsque les membres d’une même famille découvraient tout à coup qu’ils vivaient de part et d’autre de la frontière. Cela s’accompagnait souvent de conflits armés. Ce fut une période de dure dépression pour les gens, doublée d’une crise économique. L’Église avait alors la rude tâche de conserver son unité malgré les processus politiques. C’était particulièrement important parce qu’il fallait soutenir spirituellement et moralement les gens.
Malheureusement, un schisme s’est produit en Ukraine au début des années 90, alors que le président ukrainien de l’époque et le métropolite de Kiev ont suivi le principe « une Église indépendante dans un état indépendant ». Ils ont réussi à emmener une partie des gens et du clergé et ensuite, avec l’aide du président, on a commencé à transmettre à cette nouvelle structure les bâtiments ecclésiastiques. C’est ainsi que cette structure schismatique s’est mise à enfler. La situation de l’Orthodoxie divisée en Ukraine ne contribue pas à l’unité du peuple ukrainien, de même que les processus en cours dans ce pays actuellement, tandis que des forces intérieures et extérieures tentent de mettre l’Ukraine en pièces. Les schismatiques se sont associés entièrement à un parti dès le début de la confrontation politique. Malheureusement, les gréco-catholiques ont fait la même chose : ils se sont assimilés à certaines forces et ont conclu alliance avec les schismatiques. Cela a été pour nous une surprise désagréable et amère.
Malheureusement, l’histoire de l’uniatisme est entièrement faite de semblables « surprises » envers les orthodoxes. L’uniatisme a été mis en place à une époque où orthodoxes et catholiques étaient en état de guerre. Son objectif était simple et clair : convertir les orthodoxes au catholicisme. Cette mentalité de concurrence et de haine a été entièrement éliminée des rapports bilatéraux avec l’Église catholique romaine. Aujourd’hui les orthodoxes et les catholiques ne se considèrent plus comme des concurrents, mais comme des alliés. Nous avons de nombreux objectifs communs, de nombreux défis se posent à nous. Et nous faisons beaucoup pour résoudre ensemble ces tâches. Mais, malheureusement, les gréco-catholiques ne participent pas à ce rapprochement et continuent à vivre des stéréotypes du passé. Aujourd’hui, leurs agissements ouvertement en opposition contre l’Église orthodoxe nous rejettent sans cesse en arrière alors que nous voulons aller de l’avant.
Durant ces dernières années, nous sommes parvenus à de nombreuses avancées avec l’Église catholique romaine. S’agissant du dialogue théologique auquel participent toutes les Églises orthodoxes, je pense qu’un progrès très important a été fait avec la condamnation de l’uniatisme dans le document de Balamand, en 1993. Dans ce document historique, les deux parties, orthodoxe et catholique, reconnaissent ensemble que l’uniatisme n’est pas une voie pour atteindre l’unité. En tous cas, au niveau théorique, nous sommes parvenus à une complète unité et un parfait accord sur cette question. Maintenant, évidemment, il s’agit d’appliquer sur le terrain les progrès théoriques.
J’aimerais remarquer que l’Église orthodoxe russe a mis en place des rapports très constructifs à de nombreux niveaux avec l’Église catholique romaine. (…) Chaque fois que j’ai rencontré le Pape Benoît XVI et le Pape François, j’ai pu constater le haut niveau d’information du Pontife sur toute la problématique du dialogue orthodoxe-catholique.
L’une des orientations principales de notre coopération aujourd’hui doit être à mon avis la défense des chrétiens persécutés dans différentes parties du monde. Malheureusement nous sommes aujourd’hui témoins de persécutions sans précédent contre les fidèles du Christ au Moyen Orient, en Afrique du Nord et dans plusieurs autres régions du monde. Des millions de chrétiens quittent le pays dans lequel ils ont vécu durant des millénaires. Aujourd’hui, la préservation du christianisme au Moyen Orient pose question, dans la mesure où dans des pays comme la Libye, le Pakistan, l’Afghanistan il a pratiquement disparu. En Irak, durant les dix dernières années, le nombre de chrétiens a été divisé par dix. On observe un exode massif des chrétiens d’Égypte. Les communautés chrétiennes de Syrie sont dans une situation extrêmement périlleuse dans les régions occupées par les rebelles. Nous recevons presque tous les jours des informations sur les souffrances des chrétiennes. Des ecclésiastiques sont enlevés, des fidèles du Christ sont fusillés, décapités. Nous remercions le Pape François de sa position constante sur cette question, position qui correspond à la nôtre.
Le 5 septembre dernier, lorsque le Président russe Vladimir Poutine a reçu les membres du G20, le Pape François lui a adressé une lettre, le priant d’employer toute son autorité pour faire cesser les opérations militaires en Syrie. Il faut des actions vives et intenses pour influer sur la situation internationale. Je crois que notre coopération dans ce domaine portera ses fruits.
J’aimerais remarquer que nous avons également des relations très fructueuses avec les structures de l’Église catholique en Italie. Ces vingt-cinq dernières années, un très grand nombre de nos compatriotes s’est expatrié en Italie : ce sont des Moldaves, des Ukrainiens, des Russes et des représentants d’autres nationalités. Pour assurer leur pastorale, nous créons des paroisses, il y en a actuellement une soixantaine. Nous ne les créons pas pour faire du prosélytisme, mais pour les besoins spirituels de nos compatriotes que les circonstances ont amenés en Italie. Et nous sommes reconnaissants aux hiérarques de l’Église catholique romaine qui nous permettent d’user de locaux dans lesquels nous pouvons fonder nos paroisses.
En 2007 Votre Éminence a transmis à titre gracieux à l’Église russe une église et ses bâtiments paroissiaux dans la ville de Naples. Grâce à votre concours, nous avons pu mettre en place la pastorale de nos expatriés dans votre ville. Le recteur de l’église Saint-André à Naples est le père Igor Vyjanov ici présent, ancien collaborateur du Département des relations ecclésiastiques extérieures
J’aimerais vous souhaiter, Éminence, l’aide de Dieu dans votre ministère, et à tous les pèlerins la bénédiction divine dans leur visite de notre Église russe. »
Au nom du groupe de pèlerins, le cardinal C. Sepe a remercié Mgr Hilarion de son chaleureux accueil et de l’entretien accordé.
Le président du DREE a répondu aux questions de ses hôtes. Sur le nombre de croyants orthodoxes russes, Mgr Hilarion a répondu :
« Nous n’avons pas de statistiques sur le nombre de chrétiens fréquentant l’église et menant une vie chrétienne. Par contre, si un sociologue interrogeait les passants sur leur appartenance religieuse, 70 ou 80% répondraient qu’ils sont orthodoxes. Mais cela ne signifie pas du tout qu’ils vont à l’église tous les dimanches, communient et observent les préceptes du Christ dans leur vie quotidienne. Le pourcentage de pratiquants est évidemment beaucoup plus bas. Le Patriarche Cyrille a déclaré que l’une des priorités de son pontificat était justement de rétrécir l’écart entre l’appartenance nominale et l’appartenance réelle à l’Église, ce qui suppose un immense travail missionnaire et éducatif (…) Beaucoup de gens se sont fait baptiser dans les années 90 sans avoir reçu d’enseignement, sans bien comprendre ce qui se passait ni ce que cela impliquait. »
Le Patriarche Cyrille, a poursuivi le métropolite, a exigé qu’il y ait un catéchiste dans chaque paroisse, ainsi qu’un responsable de la jeunesse et une personne chargée des œuvres sociales. « Nous avons renoncé à baptiser des gens sans préparation. Toutes les personnes désireuses de recevoir le baptême doivent maintenant suivre une catéchèse. La foi devient ainsi plus consciente. »
« Pendant le Carême, presque tous les restaurants moscovites, même ceux qui se spécialisent dans les plats de viande, ont un menu de carême et en font activement la publicité. Tout le monde n’est pas prêt à venir tous les dimanches à l’église, mais beaucoup estiment nécessaire d’observer un jeûne très sévère et très long.
Il y a bien sûr des gens qui ne viennent à l’église que deux-trois fois par an… mais on ne saurait dire qu’ils ne sont pas d’église, car lorsqu’ils ont des enfants, ils viennent les faire baptiser, ils demandent à l’Église de bénir leur mariage. L’Église est ainsi présente dans leur vie d’une façon ou d’une autre, au moins aux moments les plus importants. Nous avons aussi beaucoup de gens qui ne sont pas pratiquants, mais sont de notre côté. J’anime une émission de télévision et une partie du programme est bâti autour des questions que les téléspectateurs envoient au site internet de l’émission. D’après ces questions, je me rends compte que l’émission n’est pas regardée seulement par des orthodoxes, je reçois des questions de musulmans et d’athées. A chaque fois que je rencontre le chef du Parti communiste de la Fédération de Russie, il me dit : « Je regarde votre émission tous les dimanches. »
Je pense que grâce à l’Église il y a une bonne atmosphère dans la société. Nous ne nous donnons pas pour objectif de convertir 100% de la population au Christ, mais nous aspirons à ce que la voix de l’Église puisse être entendue de tous ceux qui sont prêts à l’entendre. Avec les représentants d’autres religions, ainsi qu’avec ceux qui sont areligieux, mais que l’on peut appeler des hommes de bonne volonté, nous travaillons à améliorer la société ».
Les pèlerins italiens ont aussi abordé la réforme de l’enseignement de la théologie dans l’Église russe. Le métropolite a répondu que cette réforme était en train d’être appliquée, mentionnant notamment la création d’un programme de doctorat. « Nous réexaminons actuellement tout le programme de nos séminaires et académies pour les rendre plus conformes aux réalités contemporaines, y compris tels qu’elles sont reflétés par le processus de Bologne. Nous avons commencé il y a quelques mois une révision des manuels. Nous avons découvert qu’il n’y a pratiquement aucun manuel récent dans aucune discipline. Je rencontre actuellement des spécialistes de l’Ancien et du Nouveau Testament, de théologie dogmatique, de patrologie, de sciences liturgiques pour élaborer de nouveaux manuels qui tiendraient compte des progrès de la science. C’est un immense travail qui exige de très grosses dépenses, intellectuelles et financières, mais sans cela nous ne pourrons pas élever le niveau de l’enseignement de la théologie. »
A la demande des auditeurs, le métropolite s’est aussi arrêté sur les rapports entre l’Église et la société, les caractérisant comme « très constructifs ». L’Église, a-t-il précisé, se réserve le droit de donner une évaluation morale aux différents phénomènes de la vie publique. Cela ne plaît pas à tout le monde (…) Nous répondons que le Christ n’a pas conçu l’Église comme un bureau de services rituels. Le Seigneur a dit après sa résurrection aux disciples : « Allez, enseignez toutes les nations, baptisez-les au nom du Père, et du Fils et du Saint Esprit » (Mt 28, 19). Nous n’imposons rien à personne, mais nous obéissons au commandement du Seigneur ».
Les auditeurs ont également demandé si le schisme en Ukraine pouvait être la cause de la crise politique actuelle dans ce pays.
« Je pense qu’il est indubitablement l’une des causes de cette crise, dans la mesure où les schismatiques ont tout fait depuis plus de vingt ans pour diviser le peuple ukrainien. Toute leur rhétorique était fondée non sur la réconciliation, mais sur la division. Et cette rhétorique a fait son effet.
Ce n’est pas un hasard si la seule force capable de réunir le peuple, au moment où le conflit a éclaté, s’est révélée être l’Église orthodoxe ukrainienne canonique, du Patriarcat de Moscou. Notre Église a été des deux côtés des barricades. Bien plus, nos moines sont sortis sous la pluie, ils y restés plusieurs heures et plusieurs jours entre les deux partis, ne les laissant pas s’empoigner à mort.
Le schisme divise toujours, tandis que l’Église unit toujours, et nous l’avons constaté encore une fois lors de ces tragiques évènements en Ukraine.
L’Église orthodoxe prie tous les jours pour « l’union de tous ». Nous élevons quotidiennement cette prière avec l’espoir que la volonté de notre Sauveur que tous les chrétiens soient unis sera un jour réalisée. Il y a beaucoup d’obstacles sur la voie de l’unité, mais comme le Seigneur priait pour l’unité de ses disciples, je pense que nous devons prier pour que l’unité détruite par le péché humain soit rétablie. »