Interview du métropolite Hilarion de Volokolamsk à « Radio Vatican »
Répondant aux questions du correspondant, le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou, qui participe en tant que représentant de l’Église orthodoxe russe à l’assemblée plénière de la III Assemblée générale extraordinaire du Synode des évêques de l’Église catholique, a abordé la question du sens chrétien de l’institut de la famille, avant de parler de la position de l’Église orthodoxe russe sur le conflit civil en Ukraine.
- Monseigneur, dites-nous ce que l’Église catholique pourrait emprunter à l’Église orthodoxe sur les problèmes de la famille et du mariage ?
Je pense qu’il faut avant tout renoncer à une approche rigoriste. Nous avons des règles canoniques communes, nous avons la même compréhension du mariage, cette union entre un homme et une femme, qui doit rester unique. Mais il existe en même temps dans la pratique une énorme quantité de situations lorsque cette doctrine, pour différentes raisons, n’est pas appliquée. La question passe alors du niveau doctrinal au niveau pastoral, où l’Église orthodoxe a acquis une certaine expérience tenant au fait que nous appliquons tantôt le principe d’acrivie – application rigoureuse des canons – tantôt celui d’économie, condescendance à la faiblesse humaine.
Dans les discussions que j’ai entendues aujourd’hui, la question de l’admission des époux divorcés au Sacrement de la Sainte Communion et au Sacrement de confession a été abordée. Il me semble que cette question doit être examinée avec le plus grand soin, et nous sommes prêts à partager notre expérience pastorale avec nos frères catholiques.
Je pense qu’il est absolument inadmissible de remplacer le Sacrement de la Sainte Communion par ce que certains intervenants ont aujourd’hui appelé « communion spirituelle », car cela ne peut nullement être un équivalent. Nous avons ici de grandes possibilités de coopération et d’échange d’opinions.
- Après une semaine de réunions, le Synode a publié un « compte-rendu d’après les débats » qui a suscité une réaction mitigée. Avez-vous été troublé personnellement par certains passages ?
Pour dire la vérité, je n’ai pas encore eu le temps de lire ce compte-rendu, mais j’ai entendu aujourd’hui de nombreuses réactions, qui seront également publiées. D’après ces réactions, j’ai compris qu’il existait une grande diversité d’opinion au sein de l’épiscopat catholique, et ceci doit être pris en compte dans l’élaboration du document final. J’ai eu l’impression que les avis qui étaient exprimés dans le document en question n’ont pas un caractère négatif ; peut-être quelques-unes des positions exprimées n’y ont pas été correctement interprétées.
- Les communautés catholiques de nombreux pays européens mettent leurs églises à la disposition des fidèles orthodoxes, y compris des fidèles de l’Église orthodoxe russe. En Russie, en Ukraine et en Biélorussie, il y a des communautés catholiques qui n’ont pas d’église, alors qu’il existe une église orthodoxe dans la localité. Cette pratique pourrait-elle être appliquée dans le sens inverse ?
Dans chaque cas concret, la question doit être résolue en tenant compte des exigences de la pastorale, des dispositions des fidèles, et nous devons être certains que l’implantation d’une communauté sur la base d’une autre ne fera pas tort aux deux et ne sera pas cause de conflits et de malentendus entre les différentes communautés.
- Monseigneur, quel rôle peut jouer l’Église, ou les Églises, dans la résolution du conflit en Ukraine ?
Avant tout, les Églises ne doivent pas s’immiscer dans les confrontations politiques. J’en ai parlé aujourd’hui ouvertement à propos de l’Église gréco-catholique ukrainienne.
Je pense que notre mission et notre mandat, que nous avons reçu du Seigneur Lui-même, consiste à unir les gens, à les réconcilier. Nous ne devons pas entrer dans les détails du processus politique, nous ne devons pas être associés à une des partie en conflit, c’est l’affaire des hommes politiques, des journalistes. Notre parole doit toujours être une parole de paix, une parole de réconciliation. Nous devons être ouverts aux gens de n’importe quelle orientation politique, en dehors des tendances inhumaines ou chauvinistes, nous devons soutenir les gens qui se tiennent des deux côtés des barricades.
C’était et cela reste la position de l’Église orthodoxe ukrainienne du Patriarcat de Moscou qui ne souhaite pas s’identifier à l’un ou à l’autre segment du spectre politique, mais soutient tous les gens. Il faut dire qu’il y a malheureusement des fidèles de notre Église (je dis « notre Église » parce que l’Église orthodoxe ukrainienne du Patriarcat de Moscou fait partie de l’Église orthodoxe russe multinationale), de chaque côté des barricades. Nous devons nous montrer compréhensifs et faire notre possible pour que le conflit civil ne devienne pas un conflit armé, pour que les controverses se résolvent par les pourparlers et que les gens n’aient pas à payer un prix aussi élevé pour leurs convictions.
- Monseigneur, n’allez pas croire qu’il s’agit d’une question provocatrice, elle est posée avec une franchise absolue. Peut-être cette question a-t-elle acquis une actualité encore plus grande dans le contexte du conflit ukrainien. La création d’une Église orthodoxe autocéphale unifiée est-elle possible en Ukraine ?
Il n’y a pas besoin de la créer, puisqu’il y existe déjà une Église locale. Elle n’est pas autocéphale, mais auto-administrée. C’est l’Église orthodoxe ukrainienne du Patriarcat de Moscou.
Les appels à la création d’une Église autocéphale sont des appels à éloigner les fidèles orthodoxes ukrainiens de l’Église orthodoxe russe une. Nous ne pouvons les soutenir, parce que ces appels ne sont pas fondés sur notre compréhension de l’Église ni sur les canons ecclésiastiques. Nos fidèles ne les soutiennent pas non plus. Ces appels se basent exclusivement sur des considérations d’ordre politique : certains hommes politiques ont eu envie de proclamer le principe « une Église indépendante dans un état indépendant », et les schismatiques se sont emparés de l’idée, parce que l’idée de schisme se base justement sur ce principe et sur ce principe uniquement.
Il n’y a pas d’autre raison à l’existence du schisme que les déclarations « une Église indépendante dans un État indépendant ». Mais pourquoi alors ne pas exiger de cette même Église gréco-catholique ukrainienne qu’elle rompe avec le Pape qui n’est pas seulement un chef symbolique de cette Église, mais la dirige tout à fait concrètement par le truchement de l’archevêque suprême, ratifiant les décisions sur la création des diocèses et sur les ordinations épiscopales ?
Il n’existe pas de lien semblable entre l’Église orthodoxe ukrainienne et le Patriarcat de Moscou, car le Patriarche de Moscou ne ratifie pas les décisions sur les élections d’évêques, ni sur la création de nouveaux diocèses. Le Patriarche ne ratifie que la décision d’élire un Primat, le nom du Patriarche est commémoré pendant les offices. Il ne s’agit donc ni d’un lien administratif, ni d’un lien financier. Le lien est spirituel, il existe depuis des siècles et remonte au baptistère commun du Dniepr sous le prince Vladimir.
Nous sommes catégoriquement opposés à ce que des liens qui se sont établis au cours des siècles et servent aujourd’hui de puissante force d’union soient rompus sous l’influence de la conjoncture. Alors que les hommes politiques et les schismatiques divisent les gens, l’Église les unit.
- Les relations entre l’Église catholique et l’Église orthodoxe en Biélorussie peuvent-elles servir de modèle de coexistence ?
Je pense que la Biélorussie est un bon modèle pour la coexistence des orthodoxes et des catholiques, de même que la Russie, où il n’y a pas de conflit entre nous. Nous vivons dans la paix et la concorde. Je présume que nous pouvons partager cette expérience avec nos frères dans d’autres pays où, malheureusement, cet accord et cette coopération n’ont pas encore été atteints.