Le métropolite Kallistos de Diokleia fait docteur honoris causa de l’Institut des Hautes Études du Patriarcat de Moscou
Le 13 décembre 2014, à la Salle des actes de l’Institut des Hautes Études Saints-Cyrille-et-Méthode, le doctorat honoris causa a été conféré au métropolite Kallistos (Ware) de Diokleia.
La décision en avait été prise par le Conseil scientifique de l’Institut et ratifiée par Sa Sainteté le Patriarche Cyrille de Moscou et de toute la Russie.
Assistaient à la cérémonie : l’évêque Irénée de Bačka (Église orthodoxe serbe), l’archevêque Ivan Jurkovič, nonce apostolique en Russie; le chapelain Clive Fairclough, recteur de la paroisse anglicane de Moscou, l’évêque Pantéléimon d’Orekhovo-Zouïevo, vicaire patriarchal, president du Département synodale pour les œuvres caritatives et le ministère social; l’évêque Tikhon de Podolsk, vicaire patriarcal; le hiéromoine Jean (Kopeïkine), vice-recteur de l’Institut des Hautes Études Saints-Cyrille-et-Méthode ; l’archiprêtre Vladimir Vorobiov, recteur de l’Université orthodoxe Saint-Tikhon, ainsi que les participants de la II Conférence internationale de l’Institut « Saint Syméon le Théologien, legs spirituel », les membres du Conseil scientifique de l’Institut des Hautes Études, les enseignants et des étudiants de l’Institut, des employés du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou.
Le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du DREE et recteur de l’Institut des Hautes Études a souhaité la bienvenue à l’assemblée. « C’est un grand honneur et une grande joie de conférer le grade de docteur honoris causa à l’un des hiérarques orthodoxes les plus en vue d’aujourd’hui, le métropolite Kallistos de Diokleia. »
Le métropolite Hilarion a rappelé que Mgr Kallistos avait choisi la patrologie comme domaine principal de ses recherches. Il est resté fidèle à ce choix durant les nombreuses décennies de son activité scientifique. Plusieurs centaines de recherches ayant apporté une contribution appréciable au développement de la théologie orthodoxe ont été préparées et soutenues sous sa direction.
« Durant ses années de professorat à Oxford, Mgr Kallistos a éduqué de nombreux chercheurs en théologie orthodoxe, qui étudient le patrimoine des Pères de l’Église et représentent aujourd’hui l’Église orthodoxe du monde occidental et du monde oriental, de New York à Moscou. Parmi les élèves de Mgr Kallistos, on compte d’éminents hiérarques des Églises orthodoxes locales, de grands théologiens travaillant dans le domaine de la patristique et de l’histoire ecclésiastique, des représentants de différentes confessions chrétiennes » a poursuivi le recteur de l’Institut des Hautes Études Saints-Cyrille-et-Méthode.
Il a également rappelé que Mgr Kallistos avait participé à de nombreux projets importants visant à développer la théologie orthodoxe académique et à populariser l’Orthodoxie en Occident. Ainsi, le métropolite Kallistos de Diokleia est le président du groupe « Les amis de l’Orthodoxie sur l’île d’Ion » (Écosse) et des « Amis du Mont Athos » ; il est le président de la Commission mixte pour le dialogue orthodoxe-anglican et est membre de la Commission mixte pour le dialogue entre l’Église catholique et l’Église orthodoxe.
« Le métropolite Kallistos s’est beaucoup intéressé à la tradition spirituelle russe, a continué Mgr Hilarion. C’est en effet en Russie que l’héritage de l’hésychasme byzantin a trouvé un second souffle et qu’ont vécu de grands saints et de grands ascètes comme saint Serge de Radonège, saint Nil de la Sora, saint Séraphin de Sarov, saint Silouane l’Athonite. Le métropolite a consacré à l’œuvre de saint Silouane plusieurs de ses travaux. Son intérêt pour ce thème ne lui vient pas seulement de ses lectures des écrits de saint Silouane, mais aussi de sa longue amitié avec le disciple le plus proche de saint Silouane, l’archimandrite Sophrony (Sakharov) ».
Dans un climat solennel, le recteur de l’Institut des Hautes Études a remis au métropolite Kallistos de Diokleia le diplôme et la croix doctoraux.
Ensuite, la parole a été donnée aux anciens élèves de Mgr Kallistos : l’archiprêtre John Behr, doyen du séminaire Saint-Vladimir (États-Unis), l’archimandrite Irénée (Steenberg), doyen de l’Institut orthodoxe Saints-Cyrille-et-Athanase d’Alexandrie, le hiéromoine Nicolas (Sakharov), enseignant à l’Institut de théologie orthodoxe de Cambridge et de l’Académie de théologie de Moscou.
A son tour, le métropolite Kallistos Ware a constaté qu’il était profondément touché et très flatté de l’honneur que lui faisait l’Institut des Hautes Études. « J’aimerais exprimer ma sincère gratitude au chef de cet établissement, le métropolite Hilarion de Volokolamsk, ainsi qu’au Conseil scientifique qui m’a cru digne de cet honneur. Je suis heureux de voir le métropolite Hilarion, qui est non seulement l’un de mes anciens élèves, mais aussi l’un de mes proches amis. Je suis sûr que la présente cérémonie nous rapprochera encore plus. J’aimerais aussi remercier mes trois anciens élèves de leurs généreuses paroles, dont je me trouve indigne ».
Poursuivant son intervention, le métropolite Kallistos a partagé aux auditeurs ses réflexions sur ce qu’est la théologie.
« La théologie n’est pas une discipline scientifique que l’on doit aborder de façon stricte et académique. Elle suppose qu’on soit attachée à cette matière, qu’on soit prêt à lui consacrer toute sa vie. Il y a un lien très étroit entre la théologie et la prière, entre la doctrine et les tentatives d’appliquer dans notre vie ce que nous étudions.
Nous connaissons tous la phrase d’Evagre le Pontique, père du désert, qui disait : « Le théologien est celui qui prie. Si quelqu’un prie véritablement, il est véritablement théologien ». C’est pourquoi j’espère que l’Institut des Hautes Études ne sera pas seulement un établissement d’enseignement, mais avant tout un lieu de prière. Et, gardant en mémoire ce lien profond entre théologie et vie quotidienne, j’aimerais poser la question, non pas « quoi », mais « qui ». Et j’aimerais moins parler de ce qu’est la théologie, que des théologiens qui m’ont le plus influencé.
S’agissant de la pensée religieuse du XX siècle, ce furent le père Georges Florovski et Vladimir Losski. J’ai beaucoup aimé la façon dont le père Georges Florovski envisageait la synthèse néo-patristique. Et j’ai été très influencé par la façon dont Vladimir Losski comprenait la théologie mystique. J’ai eu le bonheur et l’honneur de les connaître tous deux personnellement, et leur exemple a été pour moi une source d’inspiration dans tous mes travaux à Oxford.
Je voudrais élargir un peu la question et révéler quels pères de l’Église m’ont le plus influencé. Il m’est difficile de choisir parmi toute la richesse de la pensée patristique, quelle influence aura été la plus puissante. Peut-être saint Irénée, ou saint Maxime le Confesseur, saint Syméon le Nouveau Théologien ou Grégoire Palamas. Tous ont été pour moi une source d’illumination, mais celui qui m’est peut-être le plus proche, c’est Grégoire de Nysse.
Aujourd’hui, j’aimerais rappeler deux points de sa doctrine qui me sont le plus chers. Ils sont particulièrement développés dans son ouvrage sur la Vie de Moïse, dans lequel saint Grégoire parle de la vie chrétienne comme d’un chemin en trois étapes. La première étape, comme on le voit dans la vie de Moïse dans l’épisode du Buisson ardent, c’est la vision de Dieu dans le feu incréé. La vision cataphatique de Dieu comme Lumière. La seconde étape est comparée à la marche du peuple hébreu dans le désert, lorsque Dieu le conduit et l’accompagne sous la forme d’une colonne de feu et de nuées ; nous voyons ici un mélange de lumière et de ténèbres. Ensuite, vient la troisième étape, lorsque Moïse fait l’ascension du Mont Sinaï et entre dans la nuée. Ici, nous pouvons parler de vision apophatique de Dieu. A propos de cette troisième étape, le saint père dit que la vraie connaissance de Dieu, c’est l’inconnaissance, la compréhension que nous ne pouvons le connaître. Ainsi, on est en présence d’un certain paradoxe.
Il est très intéressant de constater que saint Grégoire envisage la voie du chrétien, non pas comme un cheminement des ténèbres à la lumière, mais au contraire un chemin de la lumière vers les ténèbres, un cheminement vers le mystère et dans le mystère. On peut dire la même chose de la vocation du théologien. Le théologien entre dans le mystère vivant du Dieu vivant. Mais saint Grégoire dit que ces ténèbres ne sont pas négatives, mais lumineuses. Bien que la nuée symbolise le mystère de Dieu, elle symbolise aussi l’union avec Dieu. Moïse, entrant dans la nuée, devient un avec Dieu. Cette nuée n’est pas un vide, mais au contraire une communion avec Dieu qu’éprouve Moïse sur le Sinaï. Cette présence, ce rayonnement, cet amour divin dont parle Grégoire de Nysse sont cette même lumière qui ne peut s’exprimer, la lumière inexprimable, ineffable.
Cette doctrine m’est particulièrement chère, parmi tout ce que j’ai appris des Pères de l’Église, mais il y a quelque chose d’autre. Après les trois théophanies que vécut Moïse – le Buisson ardent, la colonne de feu et l’apparition sur le Mont Sinäi – il y a une quatrième théophanie. Et ici saint Grégoire de Nysse se réfère à l’épisode du chapitre 33 du livre de l’Exode, où Dieu dépose Moïse dans une crevasse de la falaise et passe devant lui dans toute Sa gloire. Et Moïse, qui jette un œil, ne le voit que de dos. Qu’est-ce que cela signifie ? Si tu vois quelqu’un de dos, c’est que tu le suis. C’est pourquoi, affirme saint Grégoire de Nysse, en suivant le Christ, nous devons toujours marcher à sa suite, mais, tout en le voyant de dos, nous ne pouvons jamais le rattraper complètement. Nous sommes toujours derrière. Et ensuite, il évoque un autre paradoxe : connaître Dieu, rencontrer Dieu, c’est le voir face à face.
Saint Grégoire de Nysse envisage la vie chrétienne comme un mouvement permanent vers l’avant, un mouvement qui ne s’arrête pas non plus dans la vie éternelle. Lorsque j’étais enfant, j’avais un album de Félix le Chat. Il avait reçu des bottes magiques qui lui permettaient, lorsqu’il les chaussait, d’aller partout. La même idée se répète dans le livre : il marchait, marchait et continuait à marcher partout. Ce n’est pas un ouvrage de Grégoire de Nysse, mais sa théologie se reflète même ici : être un chrétien, être un théologien, c’est ne jamais se reposer sur ses acquis, toujours aller de l’avant, toujours suivre le Seigneur. Et l’essence de la perfection, dit le saint, consiste en ce que nous ne l’atteignons jamais, nous ne devenons jamais parfaits. Nous avançons vers ce qui nous attend, nous passons de la gloire à la gloire.
Ceci s’applique au travail du théologien. Le travail du théologien n’est jamais achevé, c’est toujours un état temporaire, inachevé, présent. C’est toujours ce qui n’est pas mené à bien ; si éloquents que nous soyons dans notre théologie, nous ne pouvons jamais exprimer qu’une toute petite parcelle de la vérité.
Saint Irénée dit : « Même dans le siècle à venir le Seigneur continuera à nous révéler quelque chose de nouveau sur Lui, et nous aurons de quoi apprendre. » J’aimerais que ceux d’entre vous qui enseignent ici et ceux qui étudient gardent à l’esprit que tout ce que nous entendons et tout ce que nous enseignons n’est qu’une petite parcelle de ce qui peut et doit être dit. Nous ne pouvons jamais l’appréhender en plénitude.
Je veux remercier l’Institut des Hautes Études Saints-Cyrille-et-Méthode de l’honneur qui m’est fait aujourd’hui. Que le Seigneur bénisse votre enseignement, vos travaux, vos études. Soyez toujours fidèles à cette vision de la théologie que nous a transmise saint Grégoire de Nysse.
Lisez l’histoire vivante que tente de transmettre la théologie, et que votre théologie soit vivante et dynamique. Tournés vers le passé, vers la théologie patristique, soyez aussi tournés vers l’avant, jetez un œil vers l’avenir. Continuez à entrer toujours plus avant dans le mystère inaccessible, en avançant toujours (cf. Phil 3, 13), comme dit l’apôtre Paul. C’est ma prière pour vous tous.
Pour terminer la cérémonie, le chœur synodal de Moscou a interprété plusieurs chants liturgiques.