Allocution du métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du DREE, à la réunion du Conseil de la Fédération et de la Douma d’État (Moscou, 20 novembre 2015)
Le 20 novembre 2015, le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou, est intervenu lors de la réunion du Conseil de la Fédération et de la Douma d’État. Le thème de la réunion était la lutte contre le terrorisme. Le texte de l’allocution est reproduit ci-dessous in extenso.
Honorables participants de cette réunion, frères et sœurs,
Au nom de Sa Sainteté le Patriarche Cyrille de Moscou et de toute la Russie, et au nom de toute l’Église orthodoxe, j’aimerais présenter encore une fois mes profondes et sincères condoléances à tous ceux qui ont perdu des proches dans la catastrophe aérienne au-dessus du Sinaï.
On a déclaré la guerre à la Russie. Et c’est un groupe terroriste et criminel se donnant le nom « d’État islamique » et s’étant rendu célèbre par des forfaits monstrueux dans le monde entier qui la lui déclare.
Il faut bien comprendre qu’il ne s’agit pas simplement de la guerre d’une confession religieuse contre une autre. La notion même de « terrorisme religieux » ne peut qu’induire en erreur. Il n’existe pas de terrorisme religieux. Les gens qui déclenchent cette guerre n’ont pas mérité le droit d’être appelés croyants. Ce sont des satanistes, qui accomplissent la volonté du diable, portant aux hommes le malheur, la mort et la destruction. Les leaders religieux de toutes les confessions et les gens ordinaires, croyants et incroyants du monde entier, les maudissent. Le seul moyen d’en finir avec eux est de les éliminer méthodiquement et délibérément, les cherchant partout où ils se terrent, les éradiquant en groupe ou un par un, car chacun d’eux est une menace pour des dizaines, des centaines, des milliers de vies.
Toute la communauté internationale doit s’unir dans la lutte contre le terrorisme. Les évènements de ces dernières semaines ont démontré la nécessité urgente de la formation immédiate d’un mécanisme de résistance au terrorisme au niveau global. Il faut des actes, et non des paroles. Les contradictions entre les états, les divergences politiques doivent passer au second plan.
Souvenons-nous de la dernière grande guerre. Les citoyens de l’Union soviétique y ont lutté côte à côte avec ceux d’Amérique, de Grande-Bretagne et de France. N’y avait-il pas entre les pays de la coalition antihitlérienne de profondes divergences ? Mais ces contradictions sont passées au second plan lorsqu’il a fallu vaincre la peste brune.
Et aujourd’hui le temps est venu de s’unir contre une nouvelle peste. S’unir et vaincre.
Mais si nous devons détruire les bandes déjà existantes, un autre objectif capital consiste à prévenir le terrorisme. Et ici il faut créer une autre coalition, celle qui réunira les leaders politiques et religieux. Cette coalition est nécessaire, avant tout, pour protéger les gens, en particulier la jeunesse, de l’influence d’une idéologie criminelle se voilant derrière des slogans religieux.
La guerre contre le terrorisme est une guerre sur le champ spirituel. La principale ligne de front passe dans les âmes. C’est pourquoi nous ne pouvons pas lutter contre le terrorisme uniquement sur le théâtre des opérations militaires, mais encore et avant tout sur le champ de la bataille pour les âmes et les cœurs.
L’histoire de l’étudiante du plus grand établissement d’enseignement supérieur de l’État, recrutée par les terroristes, doit servir de sonnette d’alarme. Si nous ne prenons pas de mesures urgentes, il peut y avoir de plus en plus d’étudiants et d’étudiantes qui prendront le même chemin.
De quelles mesures s’agit-il ? Avant tout de l’éducation des enfants et des jeunes dans un esprit de respect pour les religions. Ce n’est un secret pour personne que l’extrémisme à slogans religieux se développe sur le terrain d’une ignorance totale des questions religieuses, lorsque des gens n’ayant si conscience, ni repères moraux font passer l’islam pour ce qu’il n’est pas, appellent à commettre au nom d’Allah des crimes qui contredisent l’essence même de la religion.
Il est temps enfin de renoncer à une conception de la séparation de l’Église et de l’état, de l’école et de l’Église qui suppose que la religion ne doit pas être présente dans l’espace destiné à l’enseignement. Aujourd’hui plus que jamais l’enseignement des bases de la culture religieuse dans les écoles est nécessaire, et cette expérience doit être étendue. Nos enfants doivent savoir la vérité sur la religion, et non pas les iniquités que peuvent tenter de leur inculquer des satanistes déguisés en croyants.
Nous devons terminer l’élaboration d’un secteur « théologie » en tant que discipline scientifique, avec toutes les conséquences que cela implique, y compris le droit d’obtenir des diplômes dans cette spécialité reconnus par l’état. Que rapport cela a-t-il avec le terrorisme ? Un rapport direct. Dans le contexte russe, la théologie n’est pas une discipline laïque ou « supraconfessionnelle » comme on tente de nous l’imposer à la manière occidentale, mais une science rattachée aux confessions traditionnelles. Et elle peut devenir un espace unique de coopération entre les religions traditionnelles de notre pays.
Il est temps maintenant de renoncer aux clichés libéraux. Il ne faut pas avoir peur de la religion, mais de l’ignorance dans les questions religieuses. Il ne faut pas avoir peur du fameux « cléricalisme », que les occidentalistes agitent comme un épouvantail, mais de ce qui pourrait se produire si nos enfants et notre jeunesse étaient coupés de la source des véritables connaissances sur la religion.
Le clergé des différentes confessions religieuses a aujourd’hui une responsabilité particulière. Un rôle important appartient aux leaders de l’islam, qui sont appelés à répéter inlassablement à leurs coreligionnaires que ce que les terroristes appellent islam n’est pas l’islam.
Il est nécessaire que l’État et les communautés religieuses, par leurs efforts communs, contribuent à préserver dans notre peuple les valeurs traditionnelles sur lesquelles était bâtie son existence durant des siècles. La jeunesse d’Europe n’aurait pas été recrutée en telle quantité dans les rangs des rebelles si l’on n’avait pas volontairement détruit ces dernières décennies les valeurs spirituelles, si l’institut de la famille n’avait pas été anéanti, si l’on n’avait pas implanté le culte de la consommation, les perversions sexuelles, l’idéologie du profit.
Le multiculturalisme, si populaire en Europe, ne suppose pas seulement l’égalité de toutes les religions, mais aussi leur absence de l’espace public, et cet idéal s’est aujourd’hui complètement discrédité. Idéologiquement, l’Europe n’a rien à opposer aux terroristes. Seule une Europe forte, n’ayant pas honte de ses racines chrétiennes, de son identité spirituelle, sera capable de résister aux fanatiques, convaincus de leur vérité au point de pas épargner leurs vies pour en détruire d’autres.
Aujourd’hui, la Russie a un rôle unique. Des millions d’hommes du Proche Orient regardent vers la Russie avec espoir, eux qui ont longtemps placé leurs espérances dans l’Occident mais n’en ont rien reçu. La Russie est devenue aujourd’hui le leader dans la lutte contre la peste du terrorisme, et nous y voyons le rôle historique de notre peuple, éduqué dans les valeurs spirituelles et morales du christianisme, en même temps que dans le respect des autres religions traditionnelles.
C’est parce que la Russie est projetée en première ligne de la lutte contre le mal international que les risques augmentent, comme l’a montré la tragédie survenue dans le ciel au-dessus du Sinaï. Inclinant la tête devant la mémoire des victimes, promettons aujourd’hui, non de les venger, mais de faire tout ce qui dépend de nous pour que rien de semblable ne se produise plus jamais.