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Le métropolite Hilarion : le Patriarcat de Moscou propose de poursuivre ensemble la préparation au Concile

Interview du métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou à l’agence d’information Interfax
- Éminence, le Saint Synode de l’Église orthodoxe russe a pris la décision de renoncer à participer au Concile panorthodoxe. Cela signifie-t-il que le Concile n’aura pas lieu, ou peut-il avoir lieu sans le Patriarcat de Moscou.
- Je ne dirais pas qu’il faille interpréter la décision de la réunion extraordinaire du Saint Synode de l’Église russe sur notre non-participation au Concile prévu pour les 18-27 juin comme un refus. Les membres du Synode, après avoir soigneusement étudié la situation telle qu’elle s’est formée ces derniers jours, ont constaté que la tenue du Saint et Grand Concile dans les délais initialement prévus n’était pas possible, dans la mesure où, dans les circonstances actuelles, cela reviendrait à une violation des accords auxquels étaient parvenus les Églises orthodoxes locales. Mais cela ne veut pas dire du tout que nous remettons en question l’idée du Concile elle-même.
Depuis le début du processus préconciliaire, le principe du consensus, c’est-à-dire de l’unanimité de toutes les Églises orthodoxes autocéphales, a été posé comme fondement de la prise de toutes les décisions. Ce principe a été confirmé lors de la Synaxe des Primats des Églises orthodoxes d’Istanbul en mars 2014, où il a été souligné que toutes les décisions conciliaires devraient être prises selon la méthode du consensus. Enfin, le Règlement du Saint et Grand Concile, élaboré lors de la dernière réunion des Primats en 2016, dit clairement que le Concile lui-même est convoqué avec l’accord de toutes les Églises orthodoxes locales officiellement reconnues. L’absence d’une de ces Églises équivaut à une absence de consensus. Et le refus de participer de ne serait-ce qu’une Église entraîne l’absence d’une condition nécessaire à la convocation du Concile.
Comme on sait, ces derniers jours, trois Églises locales, celles d’Antioche, de Géorgie et de Bulgarie, ont déclaré nettement qu’elles ne participeraient pas au Concile de Crète en juin. Qu’est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire que l’absence des susdites Églises au Concile, comme celle de n’importe laquelle des Églises autocéphales reconnues de tous, rend impossible le consensus panorthodoxe. Or, le principe du consensus de toutes les Églises locales consiste à garantir l’unité de l’Église orthodoxe. Si le Concile a lieu en violation de ce principe, s’il ignore la position de plusieurs Églises autocéphales, il risque de devenir un facteur de division, et non plus un facteur d’unité, ce qu’il était appelé à être. J’espère que semblable Concile n’aura quand même pas lieu. Dans le cas contraire, il n’aurait pas de dimension ni d’autorité panorthodoxe.
- Qu’est-ce qui a incité les Églises locales à refuser de participer au Concile ?
- Les causes ayant incité les Églises locales susmentionnées à refuser de participer au Concile dans les délais prévus sont décrites en détail dans les décisions des Saints Synodes de ces Églises. Je ne vais pas les énumérer puisqu’elles ont toutes été publiées et, pour une part, citées dans la déclaration de notre Saint Synode. De façon générale, toute une série de problèmes qui empêchait la bonne tenue du Concile n’ont pu être résolus durant le temps qui restait avant le Concile. Parmi ces obstacles, l’absence de communion eucharistique entre les Patriarcats d’Antioche et de Jérusalem, qui perdure jusqu’à aujourd’hui à cause de désaccords sur la juridiction sur le Qatar.
- Aviez-vous prévu un tel développement, ou était-ce inattendu pour vous ?
- Il y a déjà cinq ans, expliquant au journal « Izvestia » pourquoi le Patriarcat de Moscou défendait le principe du consensus au niveau panorthodoxe, j’avais parlé de la nécessité de la participation de toutes les Églises locales au Concile panorthodoxe. Je l’ai redit en 2011, dans mon discours à l’Académie de théologie de Saint-Pétersbourg, dont j’ai reçu le titre de docteur honoris causa. J’y expliquais les conditions auxquelles notre Église pourrait participer au Concile. J’ai exposé ces mêmes conditions à toutes les conférences préconciliaires. En décembre dernier, faisant le bilan de l’année dans une interview au Département synodal aux relations avec la société et les médias, j’ai dit douter que le Concile panorthodoxe pourrait avoir lieu alors que certaines Églises locales étaient en conflit. Malheureusement, ce conflit n’a pu être dépassé, et cela a été la principale raison du refus de ces Églises à participer au Concile.
Si le risque que le Concile n’ait pas lieu tel qu’il était prévu demeurait bien réel ces dernières années, nous gardions cependant l’espoir que la voix des Églises serait entendue, que leurs remarques seraient prises en compte, que les situations de conflit entre elles seraient résolues. Cela n’a pas eu lieu. Je ne m’attendais pas à ce que finalement trois Églises, les unes après les autres, refusent de participer au Concile, mais les arguments qu’elles avancent montrent que leur décision est réfléchie. Elle était donc d’une certaine manière prévisible.
- Peut-on dire que cette situation est aussi due aux défauts de la préparation du Concile ? Son organisation a-t-elle vraiment été bien faite ?
- Malheureusement, le processus préconciliaire, du point de vue de l’organisation, était loin de la perfection. Le mécanisme des conférences préconciliaires n’était pas suffisamment efficace. Elles étaient convoquées trop rarement, parfois à des intervalles très importants, pour des raisons que nous ne comprenions pas toujours. Elles étaient aussi limitées dans le temps, ce qui rendait extrêmement difficile toute discussion sérieuse et libre sur les documents. La proposition de l’Église russe et de quelques autres Églises locales de faire du Secrétariat pour la préparation au Concile un organe panorthodoxe permanent, auquel les Églises locales délègueraient leurs meilleurs théologiens et canonistes, n’a malheureusement pas été entendue à temps. Ce n’est qu’après la Synaxe des Primats de Chambésy, en janvier dernier, qu’un Secrétariat panorthodoxe du Saint et Grand Concile a été formé, mais dans les faits, il a continué à travailler selon les mêmes principes que les conférences préconciliaires et les commissions préparatoires, en se réunissant sporadiquement. Aucune question vraiment essentielle n’a été résolue depuis la création du Secrétariat panorthodoxe, qui s’est occupé exclusivement de questions techniques.
- A quoi est due, selon vous, la critique des documents conciliaires qui a suivi leur publication dans de nombreuses Églises orthodoxes locales ?
- Il n’y a rien d’étonnant ni d’inattendu dans le fait que les textes conciliaires aient été critiqués. Le but de la publication des documents du Concile panorthodoxe était justement de donner la possibilité aux évêques, aux clercs et aux laïcs d’étudier ces textes, de donner leur avis, d’en montrer éventuellement les défauts, les contradictions, s’il y en avait. Il était prévu que les remarques de principe justifiées mises en évidence de cette manière seraient par la suite prises en compte soit au Concile, soit durant le temps qui resterait. Cette sorte de « liaison en retour » est absolument nécessaire pour que les textes finaux, adoptés par le Concile, soient par la suite non seulement acceptés des participants du Concile, mais aussi du plérôme de l’Église.
L’Église russe insistait depuis longtemps sur la publication des projets de documents conciliaires. En 2013, notamment, le Concile épiscopal de notre Église a constaté dans ses décrets que la préparation au Concile devait prévoir une large discussion des décrets conciliaires en préparation. Cependant, certaines autres Églises locales n’étaient pas du même avis. Finalement, nos appels répétés à lever l’embargo sur les projets de documents ont finalement été entendus, mais uniquement à la fin du mois de janvier, lors de la Synaxe des Primats de Chambésy, alors qu’il restait à peine un peu plus de quatre mois avant le début du Saint et Grand Concile. Organiser des discussions sérieuses sur un temps aussi court, mettre en évidence, analyser et systématiser les amendements proposés aux textes était évidemment très difficile. Néanmoins, nous avons formulé des amendements aux documents à la précédente réunion du Synode, le 3 juin, et les avons envoyées au Patriarcat de Constantinople, proposant d’organiser une réunion préconciliaire d’urgence afin de résoudre les problèmes accumulés. Notre proposition n’a pas été accueillie favorablement.
Je rappelle que la dernière rédaction panorthodoxe des projets de documents conciliaires s’était effectuée dans le cadre de la Commission interorthodoxe spéciale, de la Cinquième conférence préconciliaire panorthodoxe, puis de la Synaxe des Primats de janvier à Chambésy, et ce durant plus d’un an, bien qu’avec des pauses importantes. Pourtant, cela s’est avéré insuffisant pour parvenir à un consensus sur tous les documents. Il est donc étonnant qu’on n’ait laissé qu’un temps si court au peuple de Dieu pour étudier les projets de documents conciliaires. Je pense que beaucoup de fidèles ont eu l’impression une fois de plus que leur opinion n’intéressait finalement personne. Je présume que ceci explique pour une part les protestations contre les documents conciliaires et contre le Concile panorthodoxe lui-même, qui sont apparues dans un certain nombre d’Églises, amenant certaines d’entre elles à refuser de participer au Concile.
- La décision prise par le Synode signifie-t-elle que l’Église russe se retire du processus préconciliaire ?
- La décision prise par le Synode d’appuyer la proposition de quatre Églises locales sur le report du Concile panorthodoxe ne veut absolument pas dire que l’Église russe renonce à la tenue du Concile, ou se retire du processus préconciliaire. Au contraire, le Patriarcat de Moscou propose de poursuivre ensemble la préparation du Concile pour que le Concile soit vraiment panorthodoxe, ce qui devient impossible si quatre Églises autocéphales ont officiellement refusé d’y prendre part aux dates prévues.
J’espère que le bon sens et le sentiment de responsabilité pour la famille orthodoxe qui nous est commune à tous permettra à toutes les Églises locales de surmonter les difficultés intervenues dans un esprit d’amour fraternel et de respect mutuel. Ce n’est en effet que dans ce cas que le Saint et Grand Concile pourra avoir lieu et être véritablement l’expression de l’unité de l’Église orthodoxe universelle.

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