Le Primat de l’Église orthodoxe russe a terminé sa visite en Grande-Bretagne par une conférence de presse
Le Patriarche Cyrille de Moscou et de toute la Russie a terminé le 18 octobre 2016 sa visite au diocèse de Souroge, pour la célébration du 300e anniversaire de la présence de l’Église orthodoxe russe en Grande-Bretagne.
L’archevêque Élisée de Souroge et l’ambassadeur de la Fédération de Russie en Grande-Bretagne, A. V. Iakovenko, ont accompagné Sa Sainteté à l’aéroport.
Avant le départ, le Primat de l’Église russe a répondu aux questions des représentants des médias russes et étrangers.
- Sainteté ! Nous avons suivi attentivement le déroulement de votre visite en Grande-Bretagne et de votre rencontre avec la reine Élisabeth II. Le pouvoir royal représente aujourd’hui des valeurs, un code d’honneur pour notre pays. En quoi et pourquoi cette rencontre était-elle importante pour vous ? Quel en a été le bilan, quels thèmes avez-vous abordés, êtes-vous satisfait ?
- Je suis très satisfait de cette rencontre, et je dois dire que je ne m’attendais pas à ce qu’elle se passe dans un tel climat, soit si animée. J’avais rencontré Sa Majesté en 1994 à Moscou, lors de sa visite officielle, mais notre entretien de l’époque avait été beaucoup plus formel. Cette fois, j’ai vu la Reine en excellente santé, ce dont je la félicite, ainsi que la famille royale et la nation britannique. Elle a des yeux vifs et brillants, son discours est excellent. Je l’ai écoutée avec intérêt. Dans l’ensemble, notre conversation m’a laissé une impression très agréable, tant sur le plan intellectuel que sur le plan émotionnel. Je garderai le souvenir de l’image lumineuse de la Reine, qui a 90 ans et en a passé 60 sur le trône.
Je suis d’accord avec votre appréciation de l’importance de la monarchie pour la Grande-Bretagne. La monarchie est, dirais-je, au-dessus de la conjoncture politique, elle permet aux citoyens de Grande-Bretagne de s’appuyer sur la tradition nationale. La reine est certes une autorité, et Dieu fasse que cela continue encore longtemps. Je conclurais ma réponse à votre question par l’exclamation : Dieu sauve la reine !
- Vous avez qualifié l’opération militaire en Syrie de guerre sainte. En Occident, nous avons un autre point de vue. Considérez-vous les récentes opérations conduites par la Russie à Alep comme faisant partie de la guerre sainte en Syrie ?
- Je regrette que mes paroles aient été mal interprétées. Je n’ai jamais parlé de guerre sainte en Syrie, j’ai parlé de guerre sainte contre le terrorisme. Je pense que bien des victimes du terrorisme en Europe se retrouveront dans mes paroles : il suffit de se souvenir de ce qui s’est récemment passé en France, en Belgique. Demandez aux proches de ceux qui sont morts de la main des terroristes « A votre avis, qu’est-ce qui peut contrer le terrorisme ? Peut-on dire que la résistance au terrorisme est sacrée ? » En défendant nos proches, nos parents, en défendant notre pays et nos peuples contre le terrorisme, nous défendons le don sacré de la vie, car les terroristes portent atteinte à ce don sacré. Il n’y a donc pas de raison de donner une connotation politique à mes paroles. Mais je suis profondément convaincu de ce que la participation de peuples et d’états à certaines opérations militaires peut être définie ainsi.
Nous parlons bien de « guerre sainte » à propos de la lutte contre le fascisme. Nos chansons de la Seconde guerre mondiale, qui chantent l’héroïsme de nos soldats, emploient ces mots. Il y a une chanson magnifique, avec les paroles suivantes : « C’est la guerre du peuple, la guerre sacrée » parce que la guerre contre le nazisme était absolument sacrée. Il s’agissait de défendre ce que les gens avaient de plus sacré : leur vie, leur indépendance, leur mode de vie, leur avenir en général. En ce sens, aujourd’hui, la guerre contre le terrorisme doit aussi être commune. Ce n’est pas seulement l’affaire de la Russie, tous les pays sont concernés. Nous devons nous unir pour vaincre ce mal. C’est cette guerre que j’appelle sainte.
- Parlez-nous de vos impressions en général, ainsi que du bilan politique de votre visite. Avez-vous pu, pendant vos rencontres avec la reine ou avec d’autres personnalités officielles, établir des ponts pour améliorer les relations entre nos deux pays ? Pensez-vous que les désaccords existant entre eux aujourd’hui sont un phénomène temporaire ? Ou sont-ils la conséquence d’un conflit sérieux entre la civilisation européenne et une autre voie que la Russie aurait choisie ?
- Dès le départ, j’ai refusé d’envisager ma visite ici sous l’angle politique, et j’aimerais que tous le perçoivent ainsi. Je comprends parfaitement qu’une visite du Patriarche ne suffit en aucun cas à effacer les désaccords qui existent aujourd’hui. Mais j’ai pensé que je devais venir en Grande-Bretagne, indépendamment du contexte politique, de l’état des relations entre les deux pays, à l’occasion du tricentenaire de notre paroisse, afin de prier avec les fidèles orthodoxes et échanger avec les Britanniques. Vous avez mentionné ma rencontre avec la reine. J’ai échangé aussi avec des gens très différents : des parlementaires, des représentants de l’aristocratie, de simples citoyens. Je n’ai ressenti aucune animosité. Je vous assure que les gens que j’ai rencontrés ne sont pas spécialement amis de la Russie. Ce sont des Britanniques que la visite du Patriarche intéressait. J’ai ressenti un climat très chaleureux, accueillant. Qu’est-ce que cela veut dire ?
J’ai posé plusieurs fois la question : nos échanges sont si riches, dites-moi comment la société britannique est-celle disposée à notre égard ? On m’a répondu : « Les Britanniques sont bien disposés ». Pourquoi ? Parce les relations bilatérales entre la Russie et la Grande-Bretagne sont très anciennes. Il y a eu des mariages dynastiques, la lutte contre un ennemi commun, des échanges culturels. La Grande-Bretagne a apporté une importante contribution au développement de l’Empire russe. Pierre I envoyait des gens faire leurs études ici. Nous ne nous rendons pas compte à quel point nous avons été proches durant 300 ans. Prenez la littérature anglaise : qui n’a pas lu Dickens. Ou la littérature russe : qui n’a pas lu Tolstoï ou Dostoïevski ? On ne peut ignorer ces faits. Face à cette réalité historique, les désaccords politiques présents, si importants soient-ils, car je ne veux pas les minimiser, ne peuvent, j’en suis convaincu, ébranler les relations entre la Grande-Bretagne et la Russie à un niveau profond, au niveau de la conscience populaire. Je pense que j’ai réussi à sentir le signal émis par la société anglaise. Et j’en suis content.
En fin de compte, tout cela nous rapproche du rôle de l’Église. L’Église soutient tout ce qu’il y a de positif dans les relations entre les peuples. L’Église tente de réconcilier les gens. On nous demande souvent quelle est notre position sur l’Ukraine. La seule position possible : réconcilier les gens, faire baisser les tensions, œuvrer pour que cesse ce conflit sanglant. L’Église fait tout pour être une force pacificatrice. Nous en avons parlé aujourd’hui avec Monsieur l’archevêque de Canterbury. Ce fut d’ailleurs un entretien très utile. Nous avons ébauché tout un programme d’actions en commun, et nous avons l’intention de travailler ensemble pour la paix, en différents endroits de la planète où se déroulent actuellement des confrontations. L’Église russe et l’Église d’Angleterre ont une approche commune sur le rôle de l’Église en cas de conflit.
- Vous voyagez beaucoup à l’étranger. Il suffit de penser à votre rencontre historique avec le Pape de Rome à Cuba. Peut-on considérer que cet évènement donne le ton en faveur de la réunification des chrétiens ? Et quelles sont les raisons de ce rapprochement ? Que dites-vous du fait que durant votre visite en Grande-Bretagne, les comptes de la compagnie de télévision RT aient été fermés, comme l’a annoncé la Banque britannique ?
- Nous vivons des temps difficiles, tout le monde en a conscience, y compris les hommes politiques anglais et russes, et les leaders religieux. Des changements radicaux se produisent aujourd’hui dans le monde. Nous sommes confrontés à des défis très dangereux, à des défis globaux. Je ne vais pas les énumérer, mais il est évident que l’humanité en est à un stade assez risqué de son développement historique. De la façon dont nous dépasserons ce stade dépend l’existence même de l’humanité, que nous pouvons facilement anéantir non seulement à coup d’armes nucléaires, mais aussi par des crises écologiques, le fossé incroyable entre riches et pauvres et beaucoup d’autres choses. La question se pose alors : et l’Église ? Doit-elle se contenter d’observer cette dynamique négative ? Ou a-t-elle pour vocation de prévenir les gens, de les aider à repenser certains aspects pour trouver un langage commun et lutter ensemble contre ces crises ?
C’est pour cela que j’ai rencontré le Pape François. Lorsque nous nous sommes rencontrés à l’aéroport, je lui ai dit : « Je crois que nous nous rencontrons au bon moment… » et j’ai ajouté « et au bon endroit », parce que nous nous sommes vus en dehors du contexte européen, marqué par l’histoire de la division entre les Églises orthodoxe et catholique. L’histoire de ces divergences européennes entre deux Églises est encore dominante dans la conscience des catholiques et des orthodoxes. La rencontre de La Havane nous a permis de sortir un peu du contexte historique européen. Mais je pense qu’il faut surtout mettre l’accent sur la première expression : au bon moment.
Aucun Patriarche de Moscou n’avait jamais rencontré le Pape de Rome. Et j’ai ressenti la nécessité de rencontrer le chef de l’Église catholique afin de discuter avant tout des problèmes qui nous inquiètent sur le plan du développement global. Nous nous sommes parfaitement compris. Comme vous le savez, nous avons signé une déclaration qui expose la position des deux Églises.
J’ai ressenti la même chose aujourd’hui dans mon entretien avec l’archevêque de Canterbury et ses collègues. Nous avons en commun cette inquiétude de ce qui se passe dans le monde, et nous nous sommes prêts à œuvrer ensemble pour que le monde devienne meilleur pour autant que les Églises puissent le permettre.
Quant à la fermeture des comptes bancaires, je ne connais pas très bien les lois britanniques. Je ne sais pas si vous pouvez passer de la banque qui veut fermer vos comptes à une autre banque. Je regretterais beaucoup que ces décisions empêchent votre chaîne de poursuivre son travail en Grande-Bretagne.
Je pense qu’un point de vue alternatif est absolument nécessaire, aussi bien ici qu’en Russie. Nous avons des chaînes de télévision, des stations de radio connues et des journaux qui proposent une opinion différente. C’est tout à fait normal dans la société actuelle. Si l’information reste monochrome, n’a plus qu’une seule couleur, les lecteurs ou les utilisateurs se demandent ce qui se passe. Le fait même de l’existence d’un point de vue alternatif est très important pour que les gens se sentent à l’aise et puissent tirer leurs propres conclusions dans un sens ou dans un autre. C’est un processus normal. Il ne plaît pas toujours à la majorité. Vous savez que la majorité en Russie ne voit pas d’un bon œil les stations de radio et les journaux dont je viens de parler. Mais c’est l’affaire de la majorité, cela plaît à certains. Dieu fasse qu’il en aille de même en Grande-Bretagne.
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