LE METROPOLITE HILARION DE VOLOKOLAMSK. A LA MEMOIRE DE L’ARCHIMANDRITE CYRILLE (PAVLOV)
Le 23 février 2017, le Patriarche Cyrille de Moscou et de toute la Russie a célébré à la cathédrale de la Dormition de la Laure de la Trinité-Saint-Serge les funérailles de l’archimandrite Cyrille (Pavlov), qui fut durant des années le père spirituel de la Laure et le confesseur du Patriarche Alexis II, de bienheureuse mémoire. L’archimandrite Cyrille est retourné à Dieu le 20 février 2017, dans sa 98e année.
Le même jour, le métropolite Hilarion de Volokolamsk a partagé ses souvenirs sur le starets.
Il y a des gens qui témoignent du Royaume des Cieux par leur seule présence sur la terre. Ils viennent d’en haut, de ce monde supérieur où le Christ règne avec tous les saints. Ces gens sont très rares, et tout le monde n’a pas la chance de rencontrer ne serait-ce que l’un d’entre eux durant sa vie. Mais ceux qui ont eu le bonheur de cette rencontre en gardent à jamais la mémoire gravée dans leur cœur.
Dans ma jeunesse, le Seigneur a permis que je rencontre et apprenne à connaître plusieurs hommes qu’on peut à bon droit qualifier de saints. Trois d’entre eux sont déjà canonisés : le métropolite Zinovi, le starets athonite Païssi et le starets géorgien Gabriel (Ourguebadze). Trois autres, je le crois, seront canonisés un jour : l’archimandrite Sophrony (Sakharov), disciple de saint Silouane l’Athonite, l’archimandrite Jean (Krestiankine), starets du monastère des Grottes de Pskov, et le père spirituel de la Laure de la Trinité-Saint-Serge, l’archimandrite Cyrille (Pavlov), que nous avons conduit aujourd’hui à sa dernière demeure.
J’ai souhaité cité ces noms, car chacun d’entre eux est sacré pour moi. Ce sont ces rencontres qui ont déterminé mon choix de vie, laissant une marque indélébile dans mon âme et formant pour beaucoup ma façon d’appréhender le monde. Ils étaient l’expression de tout ce qu’il y a de plus lumineux, de plus joyeux, de plus profond, de plus beau dans la Sainte Église orthodoxe. Chacun d’eux a rempli sa propre obédience, porté sa propre croix, accompli ses propres prouesses, ils ne se ressemblaient pas. Mais tous ressemblaient au Christ, tel que nous Le découvrent les pages de l’Évangile.
La véritable simplicité évangélique, la douceur et l’humilité, voilà les qualités qui distinguaient le père Cyrille. « Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau, et je vous soulagerai ; chargez-vous de mon joug et mettez-vous à mon école, car Je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos pour vos âmes, car Mon joug est bon et Mon fardeau léger » dit le Sauveur (Mt 11, 28-30). Ces paroles reviennent en mémoire lorsqu’on pense au père Cyrille. Il était doux et humble de cœur, et, près de lui, les âmes de milliers de gens ont trouvé la paix intérieure qui manque tant à l’homme moderne.
En tant que père spirituel, le père Cyrille ne faisait jamais porter de « pesants fardeaux» (Mt 23, 4) à ses fidèles. Il ne forçait jamais personne à rien, il n’imposait rien. Il échangeait avec les gens, il parlait peu, il écoutait beaucoup. Ses répliques étaient brèves, mais denses, ses enseignements pleins de douceur et d’amour. Parfois, il n’avait pas besoin de mot : il suffisait d’un de ses regards, pour qu’on comprenne ce qu’il voulait dire. Et il n’était pas forcément nécessaire de lui poser des questions : il suffisait de s’asseoir auprès de lui, de le regarder, et les questions se résolvaient d’elles-mêmes, les problèmes disparaissaient et la paix intérieure revenait.
Il avait un regard étonnant : simple, droit, doux et modeste. Sa stature iconique témoignait de la présence constante du Christ en lui, qu’Il avait connu dans sa jeunesse lorsque, jeune militaire, il avait découvert au front, dans les ruines d’une église, un Évangile.
J’avais douze ou treize ans lorsque j’ai vu le père Cyrille pour la première fois. Avec ma mère, nous étions venus le voir non parce que nous avions des problèmes à résoudre, mais simplement pour voir un saint homme. Il n’était pas facile de se frayer à travers la foule de ceux qui l’attendaient, mais les minutes passées à côté du starets valaient la peine qu’on prenait à faire la route de la Laure, les heures d’attentes. Ensuite, durant des années, nous sommes régulièrement venus le voir, soit ensemble, soit chacun de notre côté.
Lorsqu’à l’âge de quinze ans, j’ai pris la décision de servir l’Église, j’en ai parlé au père Cyrille, qui a approuvé avec joie ma décision. A vingt ans, après mon service militaire, j’ai décidé d’entrer au monastère, et il m’a donné sa bénédiction sans hésiter. Durant toutes ces années, je ne l’ai jamais mis en demeure de m’aider à choisir mon destin, de trancher entre telle ou telle décision, parce que je n’ai jamais eu de doutes, ni à quinze ans, ni à vingt ans : j’ai toujours su que je voulais servir l’Église. Mais à chaque nouveau tournant de mon cheminement, j’avais besoin d’entendre sa parole, de voir son regard, de baiser sa main, de recevoir sa bénédiction.
La Bible enseigne que l’homme est créé à l’image et à la ressemblance de Dieu. Certains Pères précisent : l’image de Dieu, c’est ce qui demeure indélébilement en l’homme, tandis que la ressemblance est ce qu’il doit acquérir par les efforts de sa vie. Le père Cyrille était semblable à Dieu et semblable au Christ. Il avait atteint le but de la vie chrétienne, dont saint Séraphin de Sarov disait qu’il était l’acquisition de l’Esprit Saint. Ces paroles du saint : « Acquiers un esprit de paix, et des milliers d’hommes se sauveront autour de toi », trouvent leur pleine confirmation dans le défunt starets.
En théologie, l’état d’une personne parvenue aux plus hauts niveaux de la perfection spirituelle est appelé « divinisation ». Qu’est-ce que la divinisation ? Ce n’est pas un état dans lequel l’homme serait privé de ses attributs ou de ses qualités d’humain. Au contraire, la divinisation est la plénitude absolue de l’humanité, lorsque l’homme réalise sa vocation principale et, s’unissant à Dieu, devient tel que Dieu veut voir tout homme. L’homme divinisé est celui dont les paroles, les actes, le regard, les gestes, sont pénétrés de Dieu ; celui qui est si ouvert à la présence de Dieu que Dieu agit par lui sur les hommes, parle avec eux, leur énonce Sa volonté.
Tel était le père Cyrille. Pour deux ou trois générations de chrétiens, il a été l’expression de la volonté de Dieu, le conducteur de l’amour divin dont le Seigneur a dit : « Je vous donne un commandement nouveau : vous aimez les uns les autres ; comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres » (Jn 13, 34). Le père Cyrille avait assez d’amour pour tous : pour les clercs, les moines et les laïcs, les hommes et les femmes, les jeunes et les vieux, les personnes en bonne santé et les malades.
Le Seigneur a donné au père Cyrille une longue vie. Ces dernières années, il ne pouvait plus communiquer avec les gens, mais les visiteurs continuaient à affluer vers son lit de malade : ils venaient passer quelques minutes auprès de lui, lui toucher la main. Il est arrivé qu’il réagisse à leur présence, par un regard, un mot ou un geste de bénédiction, leur envoyant un message du monde vers lequel son esprit s’en était allé bien avant de quitter son corps.
Mémoire éternelle à l’archimandrite Cyrille nouvellement décédé ! Que le Seigneur fasse reposer son âme avec tous ses saints !
23 février 2017
Laure de la Trinité-Saint-Serge