Déclaration des participants du V Plénum du Comité consultatif interconfessionnel chrétien (Saint-Pétersbourg, 26 avril 2017)
Nous, représentants des confessions chrétiennes d’Azerbaïdjan, d’Arménie, de Biélorussie, de Géorgie, du Kazakhstan, de Kirghizie, de Lettonie, de Lituanie, de Moldavie, de Russie, du Tadjikistan, du Turkménistan, d’Ouzbékistan, d’Ukraine et d’Estonie, sommes rassemblés à Saint-Pétersbourg pour participer au V Plénum du Plénum du Comité consultatif interconfessionnel chrétien, consacrée au thème « La foi et le dépassement des conflits civils : les leçons d’un centenaire ».
Cette année, nous nous souvenons des évènements d’il y a cent ans, qui ont laissé une empreinte indélébile sur la vie de nos peuples et ont influencé le cours de l’histoire de toute l’humanité. Les historiens et les politiques évaluent différemment les évènements du XX siècle. Mais nous parlons avant tout des causes et des conséquences spirituelles des bouleversements qui ont eu lieu sur le territoire de nos pays.
La révolution de 1917 a réveillé dans les masses populaires des pulsions basses et obscures, a été la cause des souffrances et de la mort de millions de personnes. Beaucoup sont morts dans la guerre fratricide, d’autres de la faim, d’autres encore ont été torturés dans les camps et les prisons. Certains ont dû partir à l’étranger, buvant jusqu’à la lie la coupe amère de l’exil et de la nostalgie.
« La misère ne sourd pas de terre, la peine ne germe pas du sol » (Job 5, 6). Les causes des évènements catastrophiques du siècle dernier vont chercher racine dans le rejet de Dieu d’une grande part de la société, dans la perte des repères moraux et spirituels, dans le manque de communication parmi les chrétiens, dans le mépris de la morale chrétienne, le refroidissement de la charité chrétienne et des autres vertus, dans la perte du vrai sens de l’enseignement religieux, dans l’aggravation des inégalités sociales et l’exaspération des antagonismes de classe. « Ce qu’on sème, on le récolte » (Gal 6, 7).
Les plaies laissées par ces évènements se font sentir jusqu’à nos jours. Leur guérison exige non seulement du temps, mais des efforts spirituels : le repentir et le pardon mutuel. Chacun des protagonistes du conflit défendait sa vérité de classe ou sociale. Mais l’histoire enseigne que si une vérité, toujours partielle, est absolutisée, si une partie de la société s’appuie sur cette idéologie pour entrer en conflit avec une autre, il se produit une explosion sociale, les fondements de l’état et les rapports sociaux sont ébranlés. En appelant au pardon et au repentir, les chrétiens témoignent qu’il existe une vérité supérieure : celle de l’accueil de l’autre, de l’amour du prochain, du service l’un de l’autre. C’est sur cette vérité que peut être fondée l’existence pacifique et constructive des gens et des peuples.
Le schisme social, engendré par la révolution et par la guerre civile, a eu des conséquences de longue durée. Les répressions organisées par les autorités athées contre la population de leur propre pays, notamment contre les chrétiens, ont été la conséquence naturelle de ce schisme. D’un point de vue chrétien, rien ne peut justifier ni la collectivisation forcée, ni les répressions contre des groupes sociaux entiers, ni les déplacements de populations. Ces phénomènes de terreur ont privé nos peuples de leurs meilleurs représentants, ont causé de sérieux dommages à la moralité et entraîné la perte de nombreuses valeurs spirituelles.
Les chrétiens ont partagé le sort de leurs compatriotes. Dans les conditions inhumaines du Goulag, ils ont porté à leurs compagnons d’infortune la nouvelle de l’espérance offerte par le Christ. Les évènements tragiques ont manifesté les prouesses des nouveaux martyrs chrétiens, dont le sang a été une nouvelle semence de christianisme. En mourant pour leur foi, ils priaient pour la patrie, sûrs qu’ils étaient que Dieu donnerait le réveil spirituel à nos peuples. Le Seigneur a toujours été spécialement proche de ceux qui doivent passer par les épreuves. Les chrétiens ont suivi ce chemin avec leur peuple, restant fidèles au Seigneur et travaillant pour que prospère leur patrie terrestre, pour la défendre dans les années terribles de la Grande guerre patriotique. Et ce, alors qu’ils subissaient des vexations à cause de leur foi au Christ, tombant parfois victimes de persécutions directes !
Les historiens évaluent différemment la chute de l’Union soviétique. Des millions de gens, ayant pu entendre la Parole de Dieu, ont découvert la foi au Christ, cette foi qu’on avait vainement tenté d’éradiquer durant des décennies. Nous croyons que la renaissance spirituelle est une réponse aux prières de ceux pour qui suivre le Christ signifiait souffrir et mourir. Nous rendons hommage à leur exploit et remercions Dieu de la soif spirituelle inouïe et de la conversion de tant de gens au Christ qui est la réponse à leurs prières.
Cette période s’est caractérisée non seulement par la conversion en masse des gens au Christ, mais aussi par de nouveaux défis. Le monde qui nous entoure remet en doute les fondements traditionnels de notre civilisation. Il suffit de se souvenir du refus de mentionner les racines chrétiennes dans les constitutions de certains pays européens. La famille qui est, d’un point de vue chrétien, le fondement de l’Église et de la société, est soumise à de sérieuses pressions.
La situation du monde post-sécularisé, du point de vue spirituel, rappelle la situation des premiers siècles du christianisme, alors que les membres de l’Église devaient témoigner du Christ dans un environnement païen. L’homme moderne n’est pas incroyant. Il peut croire à tout et n’importe quoi, mais cette religiosité est bien souvent infiniment loin de la foi biblique. Ce qui veut dire que le commandement du Seigneur « allez et enseignez tous les peuples » (Mt 28, 19) reste d’actualité aujourd’hui pour toutes les confessions chrétiennes. L’autre commandement du Christ : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Mc 12, 31) n’est pas moins actuel. Pour nos contemporains, les œuvres sont un meilleur témoignage que les paroles. « Que votre lumière brille devant les hommes, afin qu’en voyant vos bonnes œuvres ils glorifient votre Père céleste » (Mt 5, 16). C’est pourquoi, le ministère social, qui consolide aussi les liens des chrétiens de différentes confessions, est un aspect toujours plus important de ce témoignage.
Nous souvenant de l’histoire du siècle passé, nous ne nous contentons pas de réfléchir au passé. Les leçons de l’histoire sont nécessaires pour aller de l’avant. Ce sont les chrétiens qui, avec leur expérience historique de deux siècles, peuvent et doivent désigner les défis auxquels sera confrontée l’humanité dans l’avenir.
Une grande partie de ces défis a trait au développement rapide des technologies, notamment des technologies biomédicales et informationnelles. Si le développement technologique découvre dans toute sa plénitude l’image du Créateur en l’homme, il peut aussi donner l’illusion dangereuse d’une toute-puissance humaine. Nos contemporains se laissent de plus en plus souvent tenter par les mots du serpent de la Bible : « Vous serez comme des dieux » (Gen 3, 5).
D’autres défis sont relatifs au développement socio-économique. Le problème des inégalités toujours plus grandes entre quelques personnes en particulier et des peuples entiers, la question de la coexistence de gens de cultures et de convictions différentes, les conflits armés, la manipulation de la conscience publique, notamment, sont des problèmes qui n’ont pas encore reçu de réponse satisfaisante.
Nous avons conscience de la responsabilité historique qui incombe aujourd’hui à ceux qui ont la foi, aux représentants des confessions chrétiennes de nos pays. Nous sommes appelés à avoir notre propre agenda, un agenda chrétien, qui proposera une réponse aux questions les plus actuelles qui se posent à l’humanité, des profondeurs de la révélation chrétienne et de l’expérience de la vie de l’Église. Et la réponse doit être donné non seulement en paroles : les chrétiens sont appelés à manifester par leur vie une autre vision du présent et du futur que celle proposée par le monde séculier.
Notre foi nous permet d’envisager l’avenir avec espoir : chaque jour nous rapproche du second avènement du Christ ! Dans l’avenir, Son Royaume se manifestera dans toute sa plénitude, dans sa majesté et dans sa gloire, mais dès à présent le Christ se montre notre Seigneur et notre Roi. Le sachant, nous continuerons à prier pour nos pays et pour nos peuples, à œuvrer à leur prospérité et à porter l’annonce joyeuse du Christ à nos contemporains. Et nous croyons que notre labeur « n’est pas vain dans le Seigneur » (I Cor 15, 58) !