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Le métropolite Hilarion : Ne crachons pas sur…

Le métropolite Hilarion : Ne crachons pas sur notre histoire

Le 22 avril 2017, le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou, répondait aux questions d’Ekaterina Gratcheva dans l’émission « L’Église et le monde » sur la chaîne de télévision « Rossia-24 ». Cette émission est diffusée les samedis et les dimanches.
E. Gratcheva : Bonjour ! Le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou, commente l’actualité de la semaine.
Le métropolite Hilarion : Bonjour, Ekaterina ! Bonjour, chers frères et sœurs.
E. Gratcheva : Le tribunal de grande instance de notre pays a interdit les « Témoins de Jéhovah » en tant qu’organisation sur l’ensemble du territoire de la Russie. Beaucoup ont salué cette nouvelle, mais certains craignent que le gouvernement perde tout contrôle sur cette organisation, maintenant qu’elle est interdite. Qu’en pensez-vous ?
Le métropolite Hilarion : Je ne pense pas que l’état contrôlait réellement cette organisation, parce qu’il s’agit d’une secte, qui plus est d’une secte totalitaire et nuisible. Je parle en connaissance de cause, car je me suis souvent entretenu avec d’anciens adeptes de cette secte. Dans l’église dont je suis le recteur, nous organisons tous les six mois une cérémonie de réintroduction dans l’Église des personnes l’ayant quittée pour faire partie d’une secte. Parmi elles, il y a d’anciens « Témoins de Jéhovah ».
Il s’agit vraiment d’une secte dangereuse, bien qu’elle se définisse comme confession chrétienne. Lorsque ses adeptes s’approchent des piétons dans la rue et leur proposent de prendre connaissance d’une brochure, ils ne disent pas qu’ils font partie de la secte des « Témoins de Jéhovah », ils se présentent comme chrétiens. Pourtant, ils tordent la doctrine chrétienne, proposent une interprétation inexacte de l’Évangile. La doctrine des Jéhovistes est faussée, ils ne croient pas que Jésus Christ est Dieu et Sauveur, ils n’acceptent pas le dogme de la Sainte Trinité. C’est pourquoi ils ne peuvent pas être appelés chrétiens.
Mais le danger de cette secte n’est pas tant dans ce détournement de la doctrine chrétienne, car ce n’est pas une raison pour mettre des gens en prison ou leur retirer leur licence. Elle est dangereuse parce que c’est une secte totalitaire, dont les agissements sont fondés sur la manipulation de conscience. Ses adeptes détruisent le psychisme des gens, détruisent les familles. Si quelqu’un décide de quitter la secte, ses plus proches parents, même son mari ou sa femme, ses enfants, ses parents, n’ont plus le droit de communiquer avec lui, ni doivent plus s’asseoir à sa table. L’ancien adepte devient paria dans sa propre famille si les membres de celle-ci continuent à faire partie de la secte.
Si, au contraire, quelqu’un fait partie des Témoins de Jéhovah, tandis que sa famille n’en n’est pas membre, il doit pratiquement rompre tout lien avec ses proches. Beaucoup de familles ont été ainsi détruites. Bien plus, les Témoins de Jéhovah, connus pour être contre les transfusions sanguines, sont responsables de la mort des gens qui auraient pu être sauvés par cette méthode de soin. Cela ne concerne pas seulement des vies d’adultes, mais aussi des vies d’enfants. Il y a eu des cas où des enfants sont morts parce qu’on ne leur a pas fait de transfusion sanguine à temps, la doctrine de cette secte l’interdisant.
On ne peut donc que se réjouir de l’interdiction de cette secte en Russie. En même temps, je tiens à souligner que l’Église n’est pour rien dans cette décision. On ne nous a pas consultés. L’Église, d’une façon générale, n’appelle pas à poursuivre en justice les hérétiques, les sectateurs, ceux qui ne sont pas d’accord avec elle. L’état n’a pas pris sa décision en partant de motifs doctrinaux, mais parce que l’activité de cette secte a une dimension extrémiste. Il ne s’agit pas d’opposition aux fondements de la foi de telle ou telle religion, mais d’infraction au code civil.
Il est indéniable que les membres de la secte continueront leur activité. Je ne pense pas qu’il sera plus difficile de les contrôler, puisqu’on ne les contrôlait pas auparavant. Mais, du moins, ils cesseront de se présenter comme confession chrétienne. Autrement dit, sur le marché des confessions, ce produit ne sera plus présenté, ce qui sauvera certainement bien des familles et même des vies.
E. Gratcheva : En tous cas, ils ne pourront plus louer des Palais de la culture ou d’autres espaces pour leurs réunions.
Le métropolite Hilarion : Ils ne pourront plus louer de Palais de la culture, ni de stades, et leur influence délétère et néfaste diminuera donc.
E. Gratcheva : Nous venons d’apprendre que, pour la première fois depuis 930 ans, les reliques de l’un des saints les plus vénérés dans notre pays, saint Nicolas le Thaumaturge, seront amenées en Russie. Près de la moitié des églises russes lui sont dédiées, il y a des parcelles de ses reliques dans beaucoup d’églises. Alors, quel est le sens, quelle est l’importance de la visite de ces reliques, transportées depuis la ville italienne de Bari ?
Le métropolite Hilarion : Je tiens à parler de l’histoire de cet évènement. Saint Nicolas est sans doute le saint le plus vénéré, non seulement en Russie, mais dans bien d’autres parties du monde. Ses reliques étaient conservées dans la ville dont il fut l’évêque, Myre en Lycie, une ville située sur le territoire de l’actuelle Turquie. Aux VI, VII, VIII siècles, elle a souvent fait l’objet de raids de la part des Arabes, d’abord, puis des Turcs. Comme l’existence même du christianisme était menacée, en 1087, les habitants de de Bari ont pris la décision de transférer les reliques de saint Nicolas dans leur ville. Pour cela, ils ont tout simplement volé les reliques. Ils sont venus à Myre, ont ligoté les moines qui gardaient les reliques, les ont volé, et transporté en bateau. Lorsque les moines ont été libérés, il était trop tard.
Singulièrement, ce vol est célébré comme une fête dans l’Église russe. Le 22 mai, lorsque nous faisons mémoire de saint Nicolas, nous fêtons en fait la translation des reliques de saint Nicolas de Myre en Lycie à Bari. C’est un exemple de ce dont parlait saint Jean Damascène dans son Précis de la foi orthodoxe : Dieu utilise parfois les œuvres mauvaises des hommes pour en tirer un bien. On se demande, en effet, ce que seraient devenues ces reliques si elles n’avaient pas été transférées à temps à Bari. Cela s’est produit il y a 930 ans. Depuis, les reliques n’ont jamais quitté la ville italienne. Lorsque le Patriarche Cyrille a rencontré l’an dernier le Pape François, l’un des sujets de négociations a été la possibilité de transporter en Russie les reliques de saint Nicolas. C’est ainsi qu’une grande partie de ces reliques séjournera dans notre pays. Elles seront exposées à l’église du Christ Sauveur.
Saint Nicolas est un saint qui réagit étonnamment aux prières. Il y a des quantités de témoignages de grâces reçues très rapidement. Il aide dans les circonstances difficiles de la vie, dans les malheurs, et même pour résoudre les petits problèmes du quotidien.
E. Gratcheva : Monseigneur, j’aimerais soulever un thème dont nous discutons rarement dans notre émission : le cinéma. Le film d’Alexeï Outchitel’, « Matilda », qui doit prochainement sortir sur les écrans, a suscité de vives réactions dans la société. Ce film part de faits réels, l’histoire d’amour entre le futur empereur Nicolas II et la ballerine Mathilde Kchessinskaïa. Beaucoup d’orthodoxes, sans avoir vu le film, l’accusent d’offenser les sentiments des croyants. L’Église peut-elle et doit-elle, à votre avis, formuler sa propre opinion sur un film, sur une exposition, sur un livre, si ces œuvres parlent d’une personnalité canonisée ?
Le métropolite Hilarion : L’Église a naturellement déjà formulé sa position, et ce à plusieurs reprises.
Nous approchons du centenaire de la fin tragique du dernier empereur russe et de sa famille. Il y a quelques années, j’ai accompagné le Patriarche Cyrille dans un voyage en Serbie, et nous avons participé à un évènement étonnant : sous une pluie battante, le Primat de l’Église russe et le Patriarche Irénée de Serbie ont consacré un monument au tsar-martyr, le dernier Empereur de Russie, Nicolas II, en plein centre de Belgrade. C’était très touchant, car la Serbie manifestait ainsi sa reconnaissance à l’empereur de Russie, qui avait soutenu le peuple serbe.
Dans notre pays, pour autant que je sache, il n’y a aucun monument au dernier empereur russe. Nous avons des quantités de monuments à Lénine, qui peut à bon droit être critiqué. Nombre de personnages historiques douteux ont leur monument sur nos places ou sont représentés dans la toponymie de nos villes, mais le dernier empereur, pendant le règne duquel beaucoup de bonnes choses ont été faites pour le pays, n’a toujours pas de monument. Le centenaire de sa mort approche, celui de cette atroce exécution perpétrée sans jugement sur lui, sur son épouse et ses enfants mineurs. Comment le pays se prépare-t-il à cette date ? En tournant un film sacrilège, soi-disant basé sur des faits historiques, alors que les faits historiques y sont tous détournés. Ce film est, à mon avis, l’apothéose de la vulgarité.
E. Gratcheva : Vous avez vu le film ?
Le métropolite Hilarion : Oui, je l’ai vu, j’ai été invité par le metteur en scène en personne. Je dois dire qu’il y a deux ou trois ans, il m’avait montré son projet et voulait même que j’y prenne part, il pensait, par exemple, que ma musique pourrait être utilisée dans le film. J’ai dit tout de suite que le scénario me paraissait douteux et que les réactions risquaient d’être assez vives. Malgré tout, après avoir fini le film, Alexeï Efimovitch m’a proposé de le voir.
Après quelques hésitations, j’ai décidé d’aller voir le film, au moins pour ne pas être un de ceux qu’on accuse de critiquer sans avoir vu. Après avoir regardé, j’ai dit à Alexeï Efimovitch que je n’avais rien de bon à dire sur son film. Il a été déçu, peut-être vexé. Malheureusement, comme je l’ai dit, le film détourne les évènements historiques et tout y est présenté de façon caricaturale. Le film s’ouvre sur un cadre de la scène du théâtre Mariïnski : la bretelle du bustier de Mathilde Kchesinskaïa se dégrafe, dénudant le sein… L’héritier du trône, assis dans la loge impérial, se dresse sur son fauteuil, tout excité. Le film commence par cette vulgarité et continue dans le même esprit.
E. Gratcheva : Votre critique concerne le fond même de l’œuvre, donc on ne peut rien arranger au montage ou en post-production ?
Le métropolite Hilarion : Je ne pense pas qu’on puisse arranger quoi que ce soit. Certes, je n’ai vu le film qu’inachevé, il restait des choses à terminer. Mais je ne pense pas qu’on ait changé quoi que ce soit sur le fond. Et je ne pense pas non plus qu’on puisse y changer grand-chose, car c’est l’approche d’une personnalité historique de cette envergure qui est incorrecte. Je ne parle pas des qualités ou des défauts artistiques de ce film.
L’empereur Nicolas II a été canonisé, l’Église a sa façon à elle d’envisager cette personnalité. Le jour de son décès, le jour anniversaire de l’assassinat de la famille impériale, des dizaines de milliers de personnes participent à une procession allant du lieu de la fusillade au lieu présumé de l’inhumation. La procession dure cinq heures, et rassemble soixante, soixante-dix ou quatre-vingt-mille personnes. Vous vous imaginez quelle sera la réaction des fidèles orthodoxes lorsque ce film sortira !
Certes, on peut dire : vous n’avez qu’à ne pas regarder, si ça ne vous plaît pas. Mais il s’agit de notre patrimoine national, de notre histoire. Nous ne devons pas cracher sur notre histoire. Nous ne devons pas humilier de cette façon, publiquement, les gens de ce niveau, de cette envergure, en les représentant comme ce film représente le dernier empereur russe. Je ne parle même pas de la représentation de la dernière impératrice, Alexandra Feodorovna, dont le film fait une véritable sorcière, alors qu’elle aussi a été canonisée.
E. Gratcheva : Monseigneur, mais on pourrait objecter qu’il faut distinguer le personnage historique du saint orthodoxe, le souverain du martyr. Le critique littéraire I. Aïkhenvald disait bien : « Pouchkine, ce n’est pas Alexandre Serguievitch ». Où passe la frontière entre les deux ?
Le métropolite Hilarion : Nicolas II a vécu une histoire d’amour réelle, celle de son amour pour la femme qui est devenue l’impératrice. Il en est tombé amoureux dès l’adolescence, on peut même dire dès l’enfance, lorsqu’ils se sont vus pour la première fois. Et il est resté amoureux d’elle toute sa vie. Son aventure avec Mathilde Kchessinskaïa est un amour de jeunesse, qui n’a pas duré longtemps. Cette aventure s’est terminé après les fiançailles du futur tsar, et Nicolas II n’a jamais trompé sa femme. Pour résumer, il y a bien eu une histoire d’amour entre le tsarévitch et la ballerine. Mais en faire toute une histoire, en tirer une soi-disant œuvre d’art, un film qui cartonne en caisses, et célébrer ainsi le centenaire de l’assassinat de la famille impériale, tout cela est vraiment profondément incorrect.
E. Gratcheva : Le 18 avril, le Conseil d’état réuni à Novgorod a discuté de l’activité de ce qu’on appelle des « organisations de micro-finances », qui prêtent de petites sommes à des taux très élevés. Le Patriarche a publiquement condamné cette pratique, disant qu’il fallait plutôt créer des banques pour les pauvres. Comme l’Église propose-t-elle de lutter contre les usuriers du XXI siècle ?
Le métropolite Hilarion : L’Église s’est toujours prononcée contre l’usure, car l’usure est une forme légale d’exploitation des malheurs. Prenons ce qu’on appelle les « micro-crédits ». De quoi s’agit-il en réalité ? Quelqu’un n’a pas assez d’argent pour vivre jusqu’à sa prochaine paye, il fait un petit emprunt. Puis un second. Le pourcentage à rendre peut excéder plusieurs fois les sommes empruntées. Lorsque vient le moment de rendre l’argent, le créditeur n’a pas de quoi payer. On peut alors lui confisquer ses biens, son appartement, etc.
Il s’agit donc en fait d’un système criminel. Le Patriarche n’en a pas parlé pour rien : les gens viennent nous voir, nous, membres du clergé, ils écrivent au Patriarche. L’état doit contrôler cette activité. Le fait de pouvoir emprunter et rendre ensuite peu à peu une somme n’est pas mauvais en soi, cela aide beaucoup de gens, notamment les jeunes familles, qui peuvent ainsi acheter un appartement. Mais lorsque cela devient un moyen de soutirer aux gens l’argent qu’ils n’ont pas et qu’ils n’auront jamais, il s’agit d’une activité inadmissible qui doit être strictement contrôlée.
Dans la seconde partie de l’émission, le métropolite Hilarion a répondu aux questions postées par les téléspectateurs sur le site du programme « L’Église et le monde » vera.vesti.ru.
Question : Comment Dieu peut-il aider, lorsqu’un proche est à l’article de la mort ? Quelles prières peut-on dire pour que Dieu entende et aide ?
Le métropolite Hilarion : L’Église est très attentive envers les gens qui sont au seuil de la vie éternelle. Elle propose différentes prières et rites, ainsi que des sacrements qui sont célébrés pour que la personne puisse se préparer au mieux à la mort. Nous disons que toute la vie doit être une préparation à la mort, car la mort n’est pas seulement la fin de la vie terrestre, mais un passage à la vie éternelle. De notre vie sur terre dépend notre sort dans la vie éternelle. Si vous savez qu’un de vos parents va bientôt mourir, il faut avant tout se préoccuper de ce qu’il ne meure pas sans confession ni communion.
La confession et la communion sont les sacrements qui nous soutiennent tout au long de notre vie et nous aident à nous préparer à l’heure de la mort. La famille, par pitié envers le mourant, lui cache souvent l’approche de la mort, craint d’inviter le prêtre, de peur que le mourant ne devine sa fin prochaine. A cause de quoi, malheureusement, beaucoup de gens sont privés de la possibilité de se confesser et de communier avant de mourir. C’est pourquoi, si vous savez que quelqu’un va bientôt mourir, appeler le prêtre, sans attendre le moment où la personne aura déjà perdu connaissance et que la visite du prêtre devienne pratiquement inutile.

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