Le métropolite Hilarion : Il faut que les médias ne déforment pas ce que disent les hiérarques de l’Église
Le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou, a fêté le 30e anniversaire de son ordination sacerdotale le 19 août. Dans une interview à « RIA Novosti », Mgr Hilarion a parlé des « petits et des grands » miracles de sa vie, de l’influence qu’a exercé sur lui « l’atmosphère des pays occidentaux » pendant son ministère à l’étranger, de la visite du secrétaire d’état du Vatican à Moscou, Mgr Pietro Parolin, de l’orthodoxie en Ukraine. Il a aussi partagé ses idées sur la couverture de l’actualité ecclésiastique par les médias laïcs.
- Monseigneur, vous avez été ordonné hiéromoine il y a 30 ans, le 19 août 1987, pour la fête de la Transfiguration du Seigneur. Que signifie pour vous la Transfiguration ? Y a-t-il eu dans votre vie des miracles qui ont affermi votre foi en Dieu ?
- La Transfiguration n’est pas une fête comme les autres. Elle nous rappelle la lumière divine manifestée aux disciples du Sauveur sur le Mont Thabor. Lorsque nous célébrons la Divine liturgie, nous montons à notre propre Thabor et recevons un peu de cette lumière incréée. Je suis infiniment reconnaissant à Dieu de pouvoir me tenir à Son autel depuis 30 ans pour y célébrer la Liturgie.
Des miracles, j’en ai eu beaucoup, des petits et des grands. Je sens que le Seigneur me guide, m’enseigne et me remet sur le droit chemin à travers les différentes circonstances de la vie. Chaque jour de la vie est un miracle. Il y a beaucoup de miracles qu’on ne voit pas de l’extérieur. Par exemple, la transfiguration des âmes par leur participation à la vie de l’Église, par la communion, par la prière. C’est un miracle dont nous, ministres du culte, sommes constamment témoins, et qui nous réjouit.
- Vous œuvrez beaucoup à l’instruction spirituelle des gens. Le 6e tome de votre épopée éditoriale, Jésus Christ. Sa vie, Sa doctrine, vient de sortir. Pour autant que je sache, il n’existait pas encore d’ouvrage de cette ampleur consacré au Fondateur du christianisme dans l’histoire de l’Église russe. Pourquoi vous êtes-vous attelé à cette tâche ?
- Il y a trois ans, Sa Sainteté le patriarche a déclaré pendant une réunion du Haut conseil ecclésiastique qu’il faudrait renouveler la littérature destinée aux étudiants de nos écoles de théologie. On m'a chargé de présider un groupe de travail pour mettre en œuvre ce projet de grande envergure, qui supposait la rédaction d’au moins 60 nouveaux manuels, tant collectifs que d’auteur. Presque en même temps, nous avons lancé environ 15 projets, trouvant pour chacun d’entre eux un auteur ou un collectif d’auteurs. Ce sont plus de 100 personnes qui travaillent aujourd’hui sur ces projets.
Lorsqu’on m’a soumis le plan du manuel de Nouveau Testament, j’ai compris que le groupe d’auteurs chargé de l’ouvrage pensait se limiter à l’exposition des théories modernes sur le texte évangélique, sans commenter le texte lui-même. Je veux au contraire que nos étudiants, avant tout, lisent le texte de l’Évangile, soient capables de s’orienter dans le texte, connaissent les différences entre les récits des quatre évangélistes, puissent les confronter. Finalement, j’ai pris ma plume et je me suis mis à écrire. Il y avait tant de matériel que le résultat de trois années de travail a été un ouvrage en six tomes. On s’appuie maintenant sur eux pour rédiger les manuels sur l’Évangile. Le texte du premier tome du manuel (basé sur les deux premiers tomes de ma série) a été lu et approuvé par Sa Sainteté, puis, à sa sortie, présenté par moi au Haut conseil ecclésiastique. Le patriarche est en train de lire le tome II (sur les miracles et les paraboles). Nous travaillons au tome III.
- Quelle influence ont eu sur vous vos années de vie et de ministère en Angleterre et en Autriche, des pays où la volonté européenne de « démocratisation » des traditions religieuses se fait fortement sentir ? A quel point un séjour prolongé dans cette atmosphère est-il un défi sérieux pour l’orthodoxe d’aujourd’hui ?
- Je ne peux pas dire que l’atmosphère des pays occidentaux ait eu une quelconque influence sur moi. J’ai toujours vécu dans mon propre monde, qui suit le rythme des fêtes de l’Église, le calendrier des offices liturgiques, et dépend beaucoup des obédiences que m’a confié l’Église et de mon travail de théologien, qui n’a pratiquement pas connu d’interruption durant toutes les années de mon ministère sacerdotal.
- Le secrétaire d’état du Vatican, Pietro Parolin, sera prochainement à Moscou. En tant que chef du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou, qu’attendez-vous de cette visite ? Quels thèmes sont à l’ordre du jour ? L’application de la déclaration commune du pape François et du patriarche Cyrille, adoptée lors de leur rencontre historique en février 2016, sera-t-elle discutée ? Quels problèmes existent toujours dans les relations interchrétiennes, quels moyens voyez-vous pour les surmonter ? En quoi et pourquoi les Églises doivent-elles développer leur coopération aujourd’hui ? Une visite du pape François en Russie ou du patriarche Cyrille au Vatican est-elle envisageable dans un proche avenir ?
- Pour l’instant, des échanges de visite à ce niveau ne sont pas prévus. Nous avons encore un long chemin à parcourir avant que soit appliqué ce qui a été esquissé lors de la rencontre historique du pape et du patriarche à La Havane. Certes, c’est de cela que nous parlerons avant tout avec le cardinal Parolin. Nous avons tout un catalogue de thèmes que nous soulevons à chaque rencontre. La défense des chrétiens persécutés du Proche Orient, dont la situation est toujours extrêmement grave. La situation en Ukraine, où les schismatiques continuent à semer le désordre en s’emparant de nos églises, tandis que des projets de loi discriminatoires sont en préparation, car différentes forces, dont les uniates, en veulent à l’Église orthodoxe canonique. Il y a aussi la défense des valeurs familiales traditionnelles, et beaucoup d’autres sujets.
- Compte tenu des récents succès des forces gouvernementales en Syrie et en Irak, peut-on espérer que la présence chrétienne sera tout de même préservée dans cette région ? Quels sont vos pronostics ?
- Nous souhaitons ardemment le rétablissement de la paix sur la terre de Syrie, qui a tant souffert. Nous prions à cette intention et nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour y contribuer. Nous devons tout faire pour préserver la présence chrétienne dans la région où naquit le christianisme.
- Les autorités ukrainiennes se sont souvent adressées au Patriarcat de Constantinople, le priant de reconnaître « l’autocéphalie » de l’Église ukrainienne, son indépendance du Patriarcat de Moscou. Jusqu’à présent, le Patriarcat de Constantinople n’a pas donné de réponse officielle. Savez-vous quelle est sa position ? Peut-être des rencontres personnelles vous ont-elles permis d’en savoir plus ? Que pensez-vous des perspectives de l’orthodoxie en Ukraine ?
- Je crois que le schisme sera surmonté et que l’orthodoxie ukrainienne sera réunie. Mais ce n’est pas en « intégrant » l’Église canonique aux schismatiques, comme le proposent certains hommes politiques ukrainiens, qu’on y parviendra. Le retour à l’Église n’est possible que par la pénitence. Il n’y a pas besoin de créer une Église ukrainienne : elle existe déjà et sa canonicité est reconnue par toutes les Églises orthodoxes locales sans exception, tandis que la canonicité des schismatiques n’est reconnue par personne.
Sa Sainteté le patriarche Bartholomée a exprimé à plusieurs reprises son soutien à l’Église orthodoxe ukrainienne canonique. Il a souligné qu’il reconnaissait Sa Béatitude le métropolite Onuphre comme unique Primat canonique de l’Église orthodoxe en Ukraine. Je ne doute pas que le Patriarcat de Constantinople continuera à soutenir cette position à l’avenir. Il ne peut en être autrement, car nous sommes une seule famille d’Églises orthodoxes. Si une Église connaît un schisme, toutes les autres Églises le vivent précisément comme un schisme.
- Ces dernières années, vous êtes à la tête du Conseil de rédaction de la publication officielle de l’Église, la Revue du Patriarcat de Moscou. A votre avis, à quels problèmes et à quels « défis », comme on dit aujourd’hui, sont confrontés les médias ecclésiastiques contemporains et les médias laïcs couvrant l’actualité ecclésiastique et religieuse ? De quoi ont-ils besoin pour gagner la guerre de l’information, si celle-ci est en cours ?
- Il faut que les médias ne déforment pas – consciemment ou inconsciemment – ce que disent les hiérarques de l’Église. Malheureusement, nous sommes de plus en plus souvent confrontés à ce problème, ce qui crée une image faussée de l’Église. On voit de temps en temps de gros titres du genre « l’Église appelle à interdire… », « L’Église russe exige l’interdiction… », etc. A la lecture, on se rend compte que l’Église n’appelle nullement à interdire, au mieux il s’agit de réflexions sur ce qui est bon et ce qui est mauvais. Mais le titre a déjà frappé. N’oublions pas que beaucoup se contentent de lire les gros titres, sans consulter l’article.
Voici un exemple récent. On m’a demandé dans l’émission « l’Église et le monde » quel conseil je donnerais aux gens qui souhaiteraient envoyer leurs enfants faire des études à l’étranger. J’ai répondu littéralement ce qui suit : « Ce n’est pas mal du tout, d’envoyer des enfants, des jeunes gens et des jeunes filles, faire des études à l’étranger. J’ai moi-même fait deux ans d’études à l’université d’Oxford et j’en ai tiré beaucoup plus sur le plan scientifique que de mes années d’études au séminaire et à l’académie de Moscou, ou des années passées à étudier moi-même des livres ou des manuels. »
Ensuite, j’ai raconté que l’Église envoyait souvent des étudiants à l’étranger et recevait des étudiants de l’étranger. Nous avons toute une commission qui s’occupe des échanges estudiantins, et j’en suis le président en tant que chef du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou. Je suis chargé d’environ 100 étudiants de nos séminaires, qui font des études à l’étranger, en Grèce, en Serbie, en Italie, en Amérique, en Suisse, en Allemagne, et de presque autant d’étudiants étrangers qui poursuivent leur formation chez nous. Comme je l’ai dit dans l’émission, les échanges d’étudiants « c’est un bon processus, qui permet d’élargir l’horizon. »
En même temps, j’ai évoqué les inconvénients : si les étudiants que nous envoyons à l’étranger restent là-bas et ne reviennent pas « ce n’est pas très bien pour le pays, parce que nous perdons des citoyens. » Dans le même ordre idée, j’ai parlé du risque qu’on court en envoyant des enfants à l’étranger : « Lorsqu’on me pose ce genre de questions, et on me les pose assez souvent, je m’efforce toujours d’envisager la situation sous tous ses angles. S’il existe un risque que l’enfant envoyé à l’étranger ne revienne pas, alors, naturellement, je conseille aux parents de ne pas l’y envoyer».
Cette seule phrase a suffi pour qu’apparaisse les gros titres suivants : « L’Église orthodoxe russe déconseille d’envoyer les jeunes faire des études à l’étranger », « l’Église orthodoxe russe déclare que les études à l’étranger sont nocives », « un représentant de l’EOR, ancien élève d’Oxford, déclare que les études à l’étranger sont nocives », etc. On a complètement ignoré tout ce que j’avais dit sur l’avantage des études à l’étranger, et ma phrase sur les risques de ces déplacements a suscité une avalanche de commentaires. A l’antenne de la station de radio « Les échos de Moscou » (Ekho Moskvy), le premier vice-président du Comité de la Douma d’état à l’instruction et à la science de la fraction du PCRF, Oleg Smoline, a dit, comme s’il voulait me répondre, qu’introduire des restrictions à l’envoi d’enfants à l’étranger pour y faire leurs études était inefficace et contraire à la Constitution de la Fédération de Russie. Et d’ajouter : « Aucun hiérarque ne pourra remplacer la Constitution et la législation en vigueur. » Qu’est-ce que la Constitution vient faire ici ? Qui a parlé de législation, de restrictions et d’interdictions ? Visiblement, ce respectable député n’a pas regardé l’émission, il a dû voir quelque part un gros titre et a décidé qu’il devait y aller de son commentaire.
Je pourrais produire quantité d’exemples semblables, où l’on envoie un signal, qui est si mal reflété par les médias que la société reçoit au final un signal complètement différent. J’aimerais beaucoup que certains médias soient plus attentifs à la qualité de l’information qu’ils diffusent.