Le métropolite Hilarion de Volokolamsk : Nous devons avancer, préserver et affermir notre unité
Le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou, a donné une interview au portail grec « Romfea »
- Éminence, vous effectuez actuellement une courte visite à Athènes. Quels sujets avez-vous abordé avec l’archevêque Jérôme pendant votre rencontre ?
- En route vers l’île de Leros, où je participerai à la réunion du Comité d’observation du dialogue orthodoxe-catholique, j’ai décidé de profiter de l’occasion qui s’offrait pour m’arrêter à Athènes. Je suis reconnaissant à Sa Béatitude l’archevêque Jérôme d’Athènes et de toute la Grèce d’avoir trouvé le temps de me recevoir. Nous avons eu un entretien bref, mais riche. J’ai transmis à Sa Béatitude les salutations et les bons vœux de Sa Sainteté le patriarche Cyrille. Je lui ai expliqué en quoi cette année était importante pour notre Église, puisque nous commémorons le centenaire de la révolution et du début des persécutions contre l’Église, ainsi que le centenaire de la restauration du Patriarcat.
- L’archevêque vous a reçu chaleureusement. A-t-il répondu à votre invitation à venir en Russie ?
- Je n’attendais pas de réponse immédiate de Sa Béatitude, mais je lui ai dit que nous serions très heureux de le voir sur le territoire de l’Église russe. S’il décide de venir, nous organiserons le programme de sa visite et le recevrons avec beaucoup d’amitié et de respect.
- Éminence, le cardinal Pietro Parolin, secrétaire d’état du Vatican est venu récemment à Moscou. Est-ce le début d’une nouvelle étape dans le dialogue entre le Vatican et l’Église russe? Le patriarche a eu plusieurs déclarations remarquables au sujet de cette visite.
- C’est la rencontre historique entre le patriarche Cyrille et le pape François qui a ouvert une nouvelle page dans les relations. La visite du cardinal Parolin avait un caractère plus étatique car, comme on sait, le Vatican est un état reconnu, et le cardinal, en tant que secrétaire d’état du Vatican était venu en Russie à l’invitation des autorités russes. Il en a profité pour rencontrer le patriarche Cyrille, et m’a aussi rencontré au tout début de son séjour. La rencontre avec le patriarche a duré environ une heure quarante, celle avec moi a duré deux heures. Nous avons eu un entretien très riche sur de nombreux sujets de l’actualité internationale.
Naturellement, nous avons surtout parlé de ce qui était au cœur de la rencontre du patriarche et du pape à La Havane, c’est-à-dire de la situation des chrétiens du Proche-Orient.
- Vous venez d’évoquer la Syrie. Nous savons toute l’importance de la participation de la Russie à la résolution du problème existant. A mon avis, c’est la Russie qui a arrêté la guerre là-bas. L’Église russe continue-t-elle à organiser des convois d’aide humanitaire pour le peuple syrien?
- L’Église est très impliquée dans l’aide humanitaire au peuple syrien. Nous y travaillons en collaboration avec l’état russe. Nous avons aussi organisé une collecte pour la population syrienne, réalisée par les confessions traditionnelles en Fédération de Russie.
En même temps, nous ne cessons de travailler au règlement politique de la crise syrienne. Notre Église est en dialogue permanent avec les autorités de la Fédération russe.
- J’aimerais aborder un autre sujet. Où en sont aujourd’hui les relations entre l’Église russe et le Patriarcat de Constantinople, un an et demi après le Concile de Crète ? Des négociations sont-elles en cours dont nous n’aurions pas connaissance ?
- Nos relations avec le Patriarcat œcuménique sont traditionnellement fraternelles, j’espère rendre visite à Sa Sainteté le patriarche Bartholomée en septembre. Je pense que malgré les difficultés qu’a occasionnées la tenue du Concile de Crète, nous devons avancer, préserver et affermir notre unité. J’espère que nous pourrons renforcer cette unité durant les prochains mois.
- Éminence, si vous le permettez, je poursuivrai sur ce thème. Ce que je vais dire est d’une grande actualité en Grèce. Nous avons ici des groupes de prêtres qui ont cessé toute commémoration liturgique du patriarche Bartholomée à cause du Concile de Crète. Approuvez-vous cette façon d’agir ?
- Certes non, nous n’approuvons ni ces groupes, ni les méthodes qu’ils emploient pour prouver le bien-fondé de leurs positions. Mais des groupes semblables existent aussi dans notre Église, et nous devons être sensibles à leurs attentes. Nous nous souvenons très bien du schisme survenu au XVII siècle en Russie, et qui se poursuit jusqu’à aujourd’hui. Il a été provoqué par des questions de rite uniquement, et non à cause de problèmes théologiques ou dogmatiques.
- Ce que vous dites est extrêmement important, Éminence…
- C’est pourquoi nous nous efforçons de nous tenir au courant des dispositions au sein de nos communautés, et d’y réagir. Certes, nous comprenons bien qu’il existe des groupes qui cherchent consciemment à faire chavirer le navire ecclésial. Mais il y a aussi des fidèles qui, pour différentes raisons théologiques, sont critiques envers certains points des documents du Concile de Crète. Il faut savoir faire la différence entre les attaques volontaires et agressives contre l’Église et les réelles inquiétudes des gens.
- Il y a encore un autre thème, tout aussi important et de grande actualité, qui intéresse les gens. Il y a quelques années, B. Obama a rencontré le patriarche Cyrille. Une rencontre entre le patriarche et l’actuel président des États-Unis, D. Trump, est-elle possible dans l’avenir, afin d’y discuter de la situation de l’Église orthodoxe ukrainienne ?
- Je pense que les décisions que prend actuellement Trump sont pour beaucoup dictées par la profonde crise politique que traverse l’Amérique. La majeure partie de l’establishment politique avait misé sur l’autre candidat à la présidence, et les médias préparaient les esprits à l’arrivée de ce président. Mais le peuple a élu Trump, et ceux qui sont contre lui font tout pour l’empêcher d’appliquer ce qu’il avait déclaré avoir l’intention de faire durant sa campagne. Il est difficile de dire comment cela finira, mais il est évident que le président Trump n’est pas libre d’agir.
- Visiblement, la crise ukrainienne n’est toujours pas résolue. Quelle est la position de l’Église russe ?
- De notre point de vue, il n’y a qu’un seul moyen de résoudre la crise ukrainienne : les personnes qui se sont séparées de l’Église doivent faire pénitence et rentrer dans le sein de l’Église. En deux mille ans d’existence, l’Église n’a pas trouvé d’autre moyen pour réintégrer ceux qui s’étaient séparés d’elle. Nous sommes compréhensifs et compatissants envers ceux qui ont trouvé la foi à l’intérieur du schisme sans, peut-être, avoir conscience qu’il s’agissait d’un schisme. Ce sont les initiateurs du schisme qui en portent la responsabilité, les gens ordinaires n’ont pas à porter la responsabilité des leaders ecclésiastiques qui s’en sont pris à la tunique du Christ.
Malheureusement, dans l’Ukraine contemporaine, la religion est étroitement liée à la rhétorique politique. On fait la propagande de l’idée d’une Église indépendante dans un état indépendant. Mais si l’on suit cette voie, il faudra diviser de nombreuses Églises locales en de multiples petites entités. Ces idées ne peuvent que provoquer l’affaiblissement de l’Orthodoxie au niveau mondial. Pour l’Église russe, qui compte des millions de fidèles et est multi-ethnique, ces idées sont catégoriquement inadmissibles.
L’Église orthodoxe ukrainienne est une Église auto-administrée, du point de vue administratif et financier, elle ne dépend de personne, elle a son propre Synode, elle a son propre concile d’évêques, elle élit elle-même ses hiérarques, ils ne répondent pas à Moscou.
Sa Béatitude le métropolite de Kiev est membre permanent du Saint Synode de l’Église orthodoxe russe, et il y a un aussi un autre membre de l’Église ukrainienne dans le Synode. Dons, sur les quinze membres du Synode, deux viennent d’Ukraine et ils peuvent donc influer sur la vie de l’Église orthodoxe russe. Mais il n’y a personne de Moscou au Synode de l’Église ukrainienne. Ainsi, l’Église ukrainienne est entièrement autonome dans ses décisions, elle ne fait que conserver un lien de prière et un lien spirituel avec le Patriarcat de Moscou. C’est pourquoi, lorsqu’on dit aujourd’hui en Ukraine que l’Église ukrainienne est dépendante de Moscou, c’est tout simplement un mensonge.
- Ce que vous dites, Éminence, est très important, car beaucoup ignorent tout de ce que dont vous venez parler. Si nous avons assez de temps, j’aimerais vous poser une autre question. Il y a eu récemment en Géorgie une tentative d’assassinat contre le patriarche Élie. On juge mal le patriarche Cyrille pour les nombreux gardes du corps qui l’entourent, comme quoi cela ne correspondrait pas à l’esprit orthodoxe. L’Église russe entend peut-être prévenir de cette façon un attentat contre le patriarche ?
- La décision de faire garder ainsi le patriarche a été prise, si je ne me trompe, à l’époque du président B. Eltsine. Ce n’était pas une décision du patriarche, mais des autorités. Dans l’état, il y une certaine table des rangs, et les personnes sont gardées en fonction de leur rang. C’est l’état qui en décide, avant tout pour des raisons de sécurité. Il s’agit d’une décision de l’état.
- En dehors des thèmes que nous avons déjà abordés, y a-t-il des sujets dont vous voudriez parler ?
- Je me souviens de mon premier voyage à Athènes, en 1992, j’étais alors un jeune hiéromoine. La première chose que je voulais voir, c’était l’Aréopage, là où l’apôtre Paul prêcha. J’ai demandé à quelqu’un comment aller à l’Aéropage, on m’a donné le numéro d’un bus qui m’a mené assez loin. Enfin, le chauffeur m’a montré un bâtiment moderne et m’a dit : « Voilà l’Aréopage ». C’était bien un Aréopage, mais pas celui que je cherchais (le mot aréopage désigne le Tribunal de grande instance).
La fois suivante, je suis allé à pied, je suis allé jusqu’à l’Acropole, j’y ai longtemps erré, cherchant quelque trace de l’Aréopage antique, jusqu’à ce que je trouve un mur métallique portant un texte en grec ancien. En lisant les premiers mots de ce texte, j’ai compris que c’était le discours de Paul à l’Aréopage. Alors j’ai pensé qu’il y avait peu de discours dans l’histoire de l’humanité qui avaient été trouvé dignes d’être gravés en lettres d’or sur du métal.
A chaque fois que je viens à Athènes, je me souviens de cette première visite, et, bien que plus d’un quart de siècle ait passé, je regarde toujours avec émotion cette colline, me représentant le grand apôtre y semant les fondements de la foi.
- Voici de fort belles paroles, Éminence.
- J’ai récemment fini un livre sur l’apôtre Paul. C’est une biographie de lui, rédigée à partir du livre des Actes et de ses propres épîtres. C’est une grande joie pour moi d’être ici, dans une ville sanctifiée par les pas de ce grand apôtre.