Le métropolite Hilarion : L’école moderne doit à la fois éduquer et instruire
Le 10 mars 2018, le métropolite Hilarion de Volokolamsk a répondu aux questions de la présentatrice de télévision Ekaterina Gratcheva dans l’émission « l’Église et le monde » (« Tserkov i mir »), diffusée les samedis et les dimanches sur la chaîne « Rossia-24 ».
E. Gratcheva : Bonjour ! Vous regardez l’émission « L’Église et le monde », nous nous entretenons avec le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou. Bonjour, Monseigneur.
Le métropolite Hilarion : Bonjour, Ekaterina ! Bonjour, chers frères et sœurs !
E. Gratcheva : Monseigneur, fin février, des milliers de croyants se sont précipités vers les portes du Saint-Sépulcre qui venait de rouvrir, car le but de beaucoup de ceux qui viennent en Terre Sainte est de visiter le principal sanctuaire du christianisme. On se demande donc pourquoi avoir fermé le Saint-Sépulcre ? Cela n’était jamais arrivé. Quels évènements ont précédé la fermeture ?
Le métropolite Hilarion : Le Saint-Sépulcre a été fermé en signe de protestation contre une décision du maire de Jérusalem, qui a créé un impôt sur l’immobilier des Églises chrétiennes, à l’exception des chapelles privées. Cet impôt a été prélevé sans la participation des Églises. Certaines Églises se sont vues présenter des notes très élevées, qu’elles n’ont pas pu payer. Comme cet évènement était absolument sans précédent, qu’il n’y avait eu aucun dialogue, les portes du Saint-Sépulcre ont été fermées en signe de protestation, pour attirer l’attention sur ce nouveau problème. Le premier ministre d’Israël, Benjamin Netanyahu, s’en est mêlé, il a créé une commission chargé de résoudre la question. Les Églises ont accepté de collaborer avec cette commission et ont rouvert les portes du sanctuaire.
E. Gratcheva : La commission travaille actuellement à la résolution du problème ? Il n’y a pas encore eu de solution définitive ?
Le métropolite Hilarion : La commission a été créée, en tous cas. J’espère qu’elle fonctionnera et saura prendre une décision qui satisfera les Églises.
E. Gratcheva : Monseigneur, puisque nous parlons du Proche-Orient, je reviendrai sur la situation des chrétiens dans la région. On continue à nettoyer la Syrie des terroristes. On espère que les sanctuaires chrétiens seront restaurés et que les populations civiles, notamment les chrétiens, pourront à nouveau mener une vie normale sur le territoire de la République arabe. Je sais que le Département des relations ecclésiastiques extérieures effectue un monitoring de la situation des chrétiens au Proche-Orient. Quels sont les derniers chiffres ? Quels sont les résultats des dernières études ?
Le métropolite Hilarion : La situation varie selon les pays. En Syrie, des centaines de milliers de chrétiens ont dû quitter leur pays à cause des terroristes. Au Liban, le nombre de chrétiens diminue lentement à cause de l’émigration, de l’augmentation de la population musulmane, de la modification des équilibres, des proportions. En Égypte, bien que la situation se stabilise peu à peu, beaucoup de chrétiens préfèrent malgré tout quitter le pays où ils ne se sentent pas en sécurité. En Lybie, il ne reste pratiquement plus aucun chrétien. En Irak, il ne reste plus qu’un dixième de la population chrétienne, qui s’élevait auparavant à près d’un million et demi de personnes.
La liste des pays du Proche-Orient, d’Afrique du Nord et d’Asie où les chrétiens sont soumis en permanence à des discriminations est très longue, elle peut être continuée. Nous sommes face à une situation qu’il n’est pas possible de changer, pour l’instant. Je pense que cela tient pour beaucoup au fait que les états occidentaux, surtout ceux qui sont à l’origine des bouleversements politiques au Proche-Orient, ne se préoccupent pas de la situation des chrétiens.
E. Gratcheva : Malheureusement, des persécutions contre les chrétiens ont cours beaucoup plus près de nos frontières. Le patriarche Cyrille de Moscou et de toute la Russie a qualifié de persécutions les attaques et les usurpations de 50 lieux de culte de l’Église orthodoxe ukrainienne ces derniers mois en Ukraine. Qu’est-ce que les informations ukrainiennes ne nous diront jamais ?
Le métropolite Hilarion : Il s’agit en fait d’usurpations par la violence, parce qu’on chasse la communauté de l’Église canonique pour y introduire de nouveaux membres par la violence. En effet, environ 50 églises ont été usurpées de la sorte, dans le meilleur des cas avec la complaisance des autorités locales, parfois avec leur connivence directe. Bien plus, des projets de lois sont à l’étude à la Rada suprême, qui permettront, s’ils sont adoptés, de légaliser cette pratique. Autrement dit, n’importe quel groupe de gens pourra venir dans n’importe quel village et dire : nous sommes la communauté de cette église, nous votons pour qu’elle soit transmise aux schismatiques.
E. Gratcheva : Par exemple, des radicaux ou des nationalistes.
Le métropolite Hilarion : Des radicaux ou des nationalistes, oui, par exemple. Il n’y a aucun mécanisme juridique qui permette de définir si ces gens sont vraiment des membres de la communauté ou s’ils sont, disons, des appeaux, ou encore des gens envoyés pour s’emparer du bâtiment.
E. Gratcheva : Monseigneur, des postes d’infirmerie pilotes pour sans domicile fixe seront ouverts dans trois régions de Russie, avec l’aide de l’Église. Qui est à l’origine de cette idée, a-t-elle le soutien des autorités ?
Le métropolite Hilarion : C’est généralement le patriarche qui est à l’origine de ce genre d’idées, dans l’Église. L’Église travaille énormément dans le domaine caritatif, en faveur des sans-abri. Il y a des bus qui sillonnent la ville, qui ramassent les sans-abri, les emmènent pour les nourrir, les réchauffer, leur donner les premiers soins.
Il y a un stéréotype qui veut que l’Église ne prenne soin que des âmes. Ce n’est pas le cas. En fait, on ne peut séparer l’âme du corps, et l’Église ne peut pas se concentrer uniquement sur l’âme sans avoir d’abord, dans certains cas, nourri, réchauffé, aidé les personnes en situation difficile.
E. Gratcheva : Monseigneur, quels sont ensuite les mécanismes d’adaptation de ces personnes à la vie normale ? On peut les réchauffer, les nourrir pour une ou deux nuits, voire pour une semaine, mais il leur faut vivre, ensuite, et ils n’ont pas de toit. Cela pose problème, lorsque ce genre de personnes, et ce sont souvent des gens qui boivent, qui se droguent, se retrouvent dans un monastère, ils troublent ceux qui sont venus avec d’autres objectifs pour servir Dieu et pour prier. Comment faire revenir ces gens à la vie, les remettre sur la voie d’une vie propre, juste ?
Le métropolite Hilarion : Un monastère, c’est une famille spirituelle, où viennent des gens pour vivre ensemble, aller ensemble vers Dieu, prier ensemble. Ce n’est pas un simple institut social. Cependant, les monastères fondent souvent des orphelinats, des maisons de retraites, des maisons d’accueil pour les sans-abri, des réfectoires. Cette activité de l’Église ne dérange pas l’esprit intérieur du monastère, et permet, d’autre part, aux moines et aux moniales de faire des efforts pour venir en aide aux autres. Les méthodes peuvent être diverses : cela peut être une aide palliative, cela peut être une aide pour trouver une maison, des parents perdus. Il y a beaucoup de moyens, et l’approche de l’Église est individuelle.
E. Gratcheva : La principale banque russe, « Sberbank » a récemment déclaré qu’elle pensait lancer un projet pilote d’épargne conforme aux principes de l’islam dans trois républiques : le Tatarstan, la Tchétchénie et la Bachkirie. On en a parlé lors du premier Forum économique musulman russe. L’Église orthodoxe russe a-t-elle engagé des pourparlers semblables avec « Sberbank » ou avec d’autres leaders du marché financier russe ? La première question qui se pose est : peut-il y avoir, doit-il y avoir des micro-crédits basés sur la confiance ou quelque chose de ce genre ?
Le métropolite Hilarion : Non, nous n’avons pas de pourparlers semblables en cours avec les banques. Je ne pense d’ailleurs pas que la notion de « banque chrétienne » ou de « banque orthodoxe » existe. Je ne saurais dire si une conception musulmane de la banque est possible. Nos collègues musulmans pourraient mieux vous répondre que moi.
Il me semble que dans un pays dont la législation est valable pour tous il sera difficile de créer un espace où fonctionnerait une autre législation. Il y a quelques temps, l’archevêque Canterbury (pas l’actuel, le précédent) avait déclaré que les normes de la charia devraient être mises en place en Angleterre pour les musulmans. Cette déclaration avait causé une sérieuse polémique, car on ne peut pas vivre suivant deux législations différentes dans un même pays.
Je pense que tous les citoyens de notre pays doivent se soumettre à la même législation. Il faut s’efforcer de perfectionner en permanence cette législation, en tenant compte des intérêts des confessions religieuses. Le rôle des confessions religieuses traditionnelles aujourd’hui ne doit pas consister à adapter la législation en fonction de leurs intérêts confessionnels, mais à établir dans un pays une atmosphère et des conditions, telles que les représentants de toutes les confessions religieuses traditionnelles puissent vivre en bonne entente.
E. Gratcheva : Il va de soi que l’Église ne peut pas encourager l’usure et ne l’encouragera pas, mais inévitablement, les gens peuvent avoir besoin, avant de recevoir leur salaire, d’une petite somme d’argent pour soigner un enfant ou pour faire face à des dépenses imprévues. Ils vont à la banque ou s’adressent à un organisme financier, prennent un microcrédit et se retrouvent piégés par des pourcentages énormes.
Peut-être que si l’Église collaborait avec les banques, s’il existait des schémas d’aide aux familles nombreuses, aux plus démunis avant qu’ils n’aient recours à des crédits, ils éviteraient de tomber dans les mains de malfaiteurs ?
Le métropolite Hilarion : Vous savez bien que le patriarche s’est déjà prononcé sur les microcrédits et qu’il s’est prononcé de façon très claire et très dure. Ces microcrédits, selon lui, font la fortune des banques et la misère des gens. Je pense que les initiatives qui sont mises en place aujourd’hui par l’état, par exemple la limitation des microcrédits à un plafond de 9000 roubles au lieu de 40000, comme c’était le cas encore récemment, aideront à apaiser la situation. Mais je ne doute pas que si l’on a attiré l’attention sur ce problème, c’est parce que le patriarche s’est exprimé haut et fort, sachant que ce problème inquiète beaucoup de gens.
E. Gratcheva : Monseigneur, encore un autre problème. Il concerne tous ceux qui ont des enfants, et c’est la majorité des citoyens. Le vice-speaker de la Douma d’état, Irina Iarova, s’apprête à adresser au ministère de l’Instruction, une lettre pour proposer de limiter le développement des services d’aide psychologique dans les écoles. Elle dit que le principal, en Russie, a toujours été l’éducation, et que ce n’est pas la mission des psychologues. Le député propose de remettre à l’honneur dans les écoles l’institut des éducateurs, bien connu de ceux qui ont été à l’école à l’époque soviétique. Êtes-vous d’accord avec Irina Iarova, que les psychologues, ce n’est pas pour la Russie ?
Le métropolite Hilarion : Il doit naturellement y avoir des éducateurs dans les écoles maternelles. Les éducateurs sont des gens qui agissent sur le développement moral et psychologique de l’enfant. Mais je crois aussi que les éducateurs d’aujourd’hui doivent être en même temps des psychologues.
De la même façon, les prêtres d’aujourd’hui ne peuvent pas ne pas être psychologues. Parce que bien souvent les gens s’adressent à nous avec des problèmes qui sont du ressort de psychologues professionnels. Et nous donnons des conseils qui diffèrent sensiblement de ceux des psychologues professionnels. Si l’on remet les fonctions d’éducateurs d’école maternelle à des psychologues professionnels, il risque de manquer quelque chose d’important dans l’instruction et dans l’éducation des enfants. Mais si les éducateurs ont en même temps des connaissances psychologiques et sont des psychologues qualifiés, cela ne peut faire que du bien, à mon avis.
E. Gratcheva : Les médias et la publicité informent souvent sur des techniques comme la fécondation in vitro, les méthodes de contraception modernes, etc. Lorsque j’allais à l’école, il y venait des représentants de grandes compagnies pharmaceutiques qui en parlaient aux jeunes filles. Des téléspectateurs nous écrivent souvent pour proposer d’introduire dans le cadre du cours sur les fondements de la culture religieuse et l’éducation civique un bloc d’information où on ne parlerait pas aux jeunes filles des méthodes de contraception, mais où on leur dirait qu’il vaut mieux ne pas attendre pour devenir mère, afin de mettre au monde et d’élever un enfant en bonne santé. Les filles et les garçons seraient séparés pour ce cours. Nous connaissons bien aujourd’hui les possibilités artificielles de l’organisme et de l’intellect humain, mais nous ne connaissons souvent pas les possibilités naturelles de notre organisme, celles que Dieu a mis en lui.
Le métropolite Hilarion : Le cours de religion et d’éducation civique, tel qu’il est dispensé actuellement, ne dure qu’une année, et encore ne lui accorde-t-on qu’une heure par semaine. Avec un cours aussi réduit, il est impossible de prévoir des activités différentes pour les filles et pour les garçons. On ne peut pas non plus leur présenter, même sous la forme la plus résumée, les fondements de l’éthique familiale. J’estime pourtant que les écoliers doivent prendre connaissance des fondements de l’éthique familiale bien avant qu’on leur parle, excusez-moi, de différentes formes de perversions sexuelles ou des divers moyen de fécondation et de naissance artificielles. C’est pourquoi il me paraît essentiel que ce cours se poursuivent dans les classes suivantes, de la 5e à la 10e, dans le cadre d’un cours qu’on propose d’intituler « Fondements de la culture morale et spirituelle des peuples de Russie ».
On discute beaucoup aujourd’hui du rôle de l’école : est-ce d’éduquer ou d’instruire ? Je suis profondément convaincu que l’école moderne doit faire les deux à la fois. En dehors des sciences, des matières qu’on étudie à l’école, l’essentiel est que les écoliers comprennent durant leurs études pourquoi ils vivent, quel est le sens de leur vie, sur quelles valeurs morales et spirituelles ils peuvent s’appuyer durant le reste de leur vie.
Durant la seconde partie de l’émission, le métropolite Hilarion de Volokolamsk a répondu aux questions postées par les téléspectateurs sur le site du programme « L’Église et le monde ».
Question : Le suicide en temps de guerre ou dans des situations désespérées, comme dans le cas du pilote Roman Filippov qui s’est fait sauter avec une grenade, est-il considéré par l’Église comme un péché ?
Le métropolite Hilarion : L’Église considère le suicide comme un péché mortel lorsqu’il est commis pour des considérations égoïstes. J’appelle considérations égoïstes toutes les raisons qui font que la personne n’a plus envie de vivre, sans que la vie d’autres personnes soit en jeu.
Si, par contre, quelqu’un se jette dans l’embrasure pour défendre des gens qui risquent de mourir, ce n’est pas un suicide, c’est une prouesse, un exploit. Le cas de Roman Filippov ne peut pas être qualifié de suicide, il a péri à la guerre. C’est pourquoi il a été honoré comme héros. Du point de vue de l’Église, son acte est une prouesse.
Je citerai un autre cas, celui de sainte Eupraxie de Riazan. Elle était l’épouse du prince Théodore de Riazan, à l’époque de l’invasion du khan Baty. Suivant les renseignements historiques dont on dispose, son mari fut tué, et elle devait être amenée à Baty pour devenir sa concubine. Pour échapper à son sort, elle prit son jeune fils et se jeta du toit du palais, mourant sur le coup. D’un point de vue purement formel, c’est un suicide, mais l’Église l’a pourtant canonisée. L’Église a considéré l’acte de cette femme comme un exploit, comme un martyre.
Question : J’ai regardé un film sur Jésus Christ et me suis demandé pourquoi l’apôtre Jean est le seul à être resté auprès de Jésus dans les dernières minutes de sa vie ? Où étaient les autres ?
Le métropolite Hilarion : L’Évangile rapporte que les autres apôtres eurent peur et s’enfuirent. Le Seigneur Jésus leur avait souvent prédit qu’Il serait crucifié et qu’Il ressusciterait, mais ils avaient peine à le croire. Ils étaient complètement désemparés, au moment où Il a été crucifié, au moment où Il est mort et même après Sa résurrection.
Ils sont loin d’avoir tout de suite compris ce qui s’était accompli sous leurs yeux. L’Évangile décrit leur lente renaissance intérieure. Le moment dont vous parlez est un moment de crise, où les apôtres n’ont pas senti en eux la force de suivre leur Maître. La résurrection a eu lieu ensuite, et Jésus est apparu aux apôtres à de nombreuses reprises. Cinquante jours après la fête de Pâques, l’Esprit Saint est venu sur eux, et c’est alors seulement qu’ils ont compris ce dont ils avaient été témoins, c’est à ce moment qu’ils se mettent à prêcher le Christ crucifié et ressuscité.