Le primat de l’Église russe a rencontré le président de l’Association des anciens prisonniers du camp de Mauthausen
Le 9 avril 2018, à la fin de la liturgie célébrée à la cathédrale de la Dormition, le patriarche Cyrille de Moscou et de toute la Russie a reçu dans les appartements patriarcaux du Kremlin de Moscou le professeur Wolfgang Johannes Bandion, président de l’Association des anciens prisonniers du camp de Mauthausen (Comité Mauthausen international, Autriche).
Prenaient part à la rencontre : M. Stefan Weidinger, ministre plénipotentiaire à l’ambassade d’Autriche en Russie ; A. V. Konopatchenkov, membre de la section russe du Comité Mauthausen international ; le diacre Andreï Titouchkine, collaborateur du Secrétariat aux affaires de l’étranger lointain du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou.
Le professeur Wolfgang Johannes Bandion a souhaité de bonnes Pâques au patriarche Cyrille. « J’ai assisté avec un grand respect et une grande reconnaissance à l’office que vous venez de célébrer. En des jours de fête, nous nous souvenons plus particulièrement de tous ceux qui, dispersés dans le monde entier, ont souffert des guerres, de la faim et des problèmes économiques. Nos pensées vont aujourd’hui vers tous les chrétiens qui sont en Terre Sainte » a déclaré l’hôte.
« Nous n’oublions pas non plus en ces jours les souffrances des millions de personnes qui sont mortes pendant la Seconde guerre mondiale. Tant de soldats russes et d’officiers, tant de simples citoyens qui ont péri dans les camps de concentration nazis, notamment dans le camp de concentration de Mauthausen et dans les 50 camps situés sur le territoire autrichien. Beaucoup de ceux qui ont péri ainsi étaient des chrétiens baptisés » a constaté le président du Comité Mauthausen, remerciant le primat de l’Église orthodoxe russe de sa contribution au travail de préservation de la mémoire des victimes de la Seconde guerre mondiale.
« Je suis particulièrement heureux de vous transmettre les salutations du cardinal archevêque de Vienne, Mgr Christoph Schönborn » a ajouté le professeur Bandion.
Selon le président du Comité Mauthausen, garder la mémoire du passé est du devoir sacré des contemporains. « Se souvenir, cela veut dire se sentir responsable du passé. Se souvenir, cela veut dire nommer les victimes et les coupables. Se souvenir, cela veut dire faire la différence entre le bien et le mal. Se souvenir, c’est aussi être capable d’avoir compassion de ceux qui souffrent et de ceux qui meurent. Le souvenir n’est pas un processus achevé, il est orienté vers l’avenir » a dit M. Bandion.
Ensuite, le président de l’Association des anciens prisonniers du camp de Mauthausen a remis à Sa Sainteté la médaille « du mérite ».
Cette médaille du Comité Mauthausen international a déjà été remise à des hommes d’état, des politiques, des historiens, des religieux, notamment au patriarche Alexis II de Moscou et de toute la Russie (2002), au cardinal Angelo Sodano, secrétaire d’état du Saint-Siège, à Vaclav Havel, président de la Tchéquie, à Rudolf Schuster, président de la Slovaquie, à Vladislav Bartochevski, ministre des Affaires étrangères de Pologne.
Le primat de l’Église orthodoxe russe s’est adressé au président du Comité Mauthausen :
« Je tiens à vous remercier de vos bonnes paroles et de cette distinction dont vous m’avez trouvé digne. Nous avons beaucoup de respect pour votre activité. Vous avez fort justement remarqué que le passé est ce qui tend vers l’avenir. Je pense que l’une des principales erreurs de l’humanité contemporaine est d’aspirer à l’avenir en oubliant souvent le passé. Comme vous le savez, aussi bien l’Église catholique que l’Église orthodoxe sont attachées à la tradition. Pour nous, la tradition n’est pas seulement la préservation du passé, c’est aussi la capacité à actualiser tout ce qui appartient au passé, mais garde un sens éternel tant pour le présent que pour l’avenir. »
« Je suis profondément convaincu que l’Église orthodoxe en Orient et l’Église catholique en Occident sont grandement responsables de l’avenir du genre humain, a poursuivi le patriarche. Vous avez dit qu’il était important de garder la capacité à distinguer le bien du mal. Je pense que c’est là une erreur très dangereuse de l’époque post-moderne dans laquelle nous vivons : perdre la faculté de distinguer le bien du mal. On considère que la valeur principale est la liberté de choisir : l’homme peut choisir tout ce qu’il désire, le mal et le bien étant relégués au second plan. Nous savons ce qui arrive à la civilisation contemporaine. Nous voyons que la spiritualité disparaît de la vie sociale, que les représentations des choses les plus sacrées – l’amour, le mariage – sont détruites, tandis que des modèles alternatifs de relations sont mis sur le même plan que ce qui fait la vraie valeur de toute époque. Je suis fermement convaincu, je le répète, que les Églises ont une grande responsabilité pour que demeurent la moralité personnelle et sociale, pour que soit préservée la capacité à distinguer le bien du mal. »
« Je vous prie aussi de transmettre mes salutations à Monsieur le Cardinal Schönborn. Je tiens à exprimer mon estime pour le travail de mémoire que vous effectuez sur les horreurs des camps de concentration fascistes. En Russie, vous trouverez beaucoup de gens solidaires de votre action. Vous savez combien nombreux furent les victimes de la Grande guerre patriotique en Union soviétique, presque chaque famille a eu ses morts. Une nouvelle tradition s’est mise en place de façon spontanée : le jour de la Victoire, les gens défilent en portant les portraits de leurs proches victimes de cette guerre ; le nombre de participants à ces défilés peut atteindre le million. Ce défilé a reçu l’appellation magnifique de « Régiment immortel ». On y voit les photos de beaucoup de gens morts dans les camps de concentration. En Russie, vous trouverez des gens qui partagent vos idées, qui s’efforcent de sauvegarder la mémoire de ceux qui ont souffert et qui sont morts pendant la guerre » a conclu le primat de l’Église russe.
A la fin de la rencontre, le patriarche Cyrille et le professeur Wolfgang Johannes Bandion ont échangé des cadeaux en souvenir.
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Le Comité Mauthausen international est l’héritier des organisations de résistance qui agissaient en 1944 à l’intérieur du camp de concentration de Mauthausen. Les prisonniers du camp avaient compris que leur résistance à la direction du camp et la solidarité envers les captifs ne pouvaient donner de résultat que s’ils collaboraient le plus possible entre eux, dépassant les clivages nationaux et idéologiques.
Le Comité est resté actif après la libération du camp, prenant soin de nombreux monuments en Autriche. Font partie du comité les anciens prisonniers du camp de concentration, ainsi, principalement de nos jours, que leurs descendants et ceux auxquels le sort des victimes du nazisme n’est pas indifférent.
Aujourd’hui, le Comité se compose de représentants de 21 pays : l’Albanie, la Belgique, la Bulgarie, l’Allemagne, la France, la Grèce, l’Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas, l’Autriche, la Pologne, la Russie, la Serbie, la Slovaquie, la Slovénie, l’Espagne, la Tchéquie, l’Ukraine, la Hongrie, les États-Unis et la Biélorussie.