Le métropolite Antoine de Borispol et de Brovary : Les architectes de l’autocéphalie condamnent l’Ukraine à des siècles de division
Le Synode de l’Eglise orthodoxe ukrainienne a exprimé une fois de plus son opinion sur l’idée de fondation d’une église orthodoxe « indépendante », qui comprendraient les organisations religieuses non reconnues suscitées par la vague de sentiments nationalistes dans les années 1990. A la suite de l’Eglise orthodoxe russe, l’Eglise orthodoxe ukrainienne a suspendu la concélébration avec l’épiscopat de l’Eglise de Constantinople, qui a envoyé ses émissaires à Kiev en réponse à la requête de P. Porochenko, qui souhaite voir accorder l’autocéphalie à l’Eglise ukrainienne. Le Synode de l’EOU a invité les envoyés de Constantinople à quitter le territoire canonique du Patriarcat de Moscou. Le métropolite Antoine de Borispol et de Brovary, chancelier de l’Eglise orthodoxe ukrainienne du Patriarcat de Moscou, explique à l’agence TASS quelles seront les conséquences de cette histoire d’autocéphalie, qui se développe rapidement, et quelle est actuellement la situation de millions d’orthodoxes en Ukraine.
- L’Eglise orthodoxe russe, puis l’Eglise ukrainienne ont, peut-on dire, pris la décision de rompre les relations diplomatiques avec le Patriarcat de Constantinople. Cela veut-il dire qu’elles refusent de dialoguer sur la question de l’autocéphalie ?
Le Synode de l’Eglise orthodoxe russe n’a pas rompu toute relation avec le Patriarcat de Constantinople, il les a suspendues. C’est une grosse différence. Ainsi, l’Eglise montre, d’une part, son désaccord de principe avec les actes anti-canoniques de Constantinople et, d’autre part, se réserve néanmoins une possibilité de dialogue, démontre sa volonté de résoudre la question. Il faut asbolument le comprendre, au moins parce que dans les médias ukrainiens on s’efforce de faire croire que l’Eglise orthodoxe russe s’enferme dans l’isolement. Non, l’Eglise russe ne s’enferme pas dans l’isolement. Au contraire, elle se montre ouverte à la résolution de la question. Quant à notre Eglise orthodoxe ukrainienne, il y a déjà eu une déclaration de Sa Béatitude le métropolite Onuphre, comme quoi il n’y aura pas d’échanges avec les exarques (les évêques, émissaires de Constantinople nommés le 7 septembre en Ukraine par le patriarche Bartholomée, note TASS), car nous considérons la nomination unilatérale d’exarques comme une ingérence dans les affaires internes de notre Eglise. Le Saint-Synode de l’EOU a d’ailleurs confirmé cette position.
- Sait-on de source sûre ce que doivent faire ces envoyés, ces exarques, en Ukraine ?
Pour autant que nous puissions en juger d’après les déclarations officielles du Patriarcat de Constantinople, ces envoyés sont chargés de créer une nouvelle structure à laquelle, croit-on, pourrait être remis le Tomos.
- Comme on sait, ce sont deux évêques qui ont été envoyés. Or, deux évêques ont le droit d’en ordonner un troisième. Y aurait-il ainsi une possibilité de légitimer les représentants des organisations schismatiques du patriarcat de Kiev et de l’église orthodoxe autocéphale ukrainienne ?
D’après ce que nous savons, il ne s’agit pas pour l’instant d’ordonner de nouveau hiérarques, mais de réunir les schismatiques actuels du « patriarcat de Kiev » et de « l’église orthodoxe autocéphale ukrainienne » en une seule structure. En tous cas, d’après les déclarations officielles de Constantinople, on ne peut pas conclure qu’ils sont envoyés pour consacrer des évêques.
- Le président Porochenko a déclaré que le processus de fondation d’une nouveau église indépendante, autocéphale, dans le pays, arrivait à son achèvement. Par ailleurs, il a promis de revenir prochainement sur la question de la dénomination de l’Eglise orthodoxe ukrainienne, qui deviendrait Eglise orthodoxe russe en Ukraine. A quel point cela est-il réalisable dans un proche avenir ? Pourraient-ils fonder cette nouvelle Eglise autocéphale avant la fin de l’année, comme le promettent les auteurs du projet ?
D’une part, il est difficile de parler de dates et de délais quant à la création de cette nouvelle structure parallèle, ni de dire si elle sera vraiment créée. D’autre part, comme je l’ai déjà répété plus d’une fois, l’Eglise orthodoxe ukrainienne n’est absolument pas d’accord avec cette initiative de changement de dénomination et protestera par tous les moyens légaux, s’élevant contre la réalisation de ces intentions.
- Il y a quelques jours, le supérieur de la Laure des Grottes de Kiev a informé avoir reçu des menaces d’usurpation du monastère. Ce n’est pas la première fois qu’on entend pareilles menaces de la part des nationalistes et des schismatiques du patriarcat de Kiev. La probabilité d’une usurpation violente est-elle grande cette fois ? Comment réagiraient les moines et les paroissiens de la Laure ? D’autres églises et sanctuaires sont-ils aussi menacés ?
Il existe un risque de prise de la Laure par la force. Aujourd’hui, nos opposants et nos adversaires disent que notre Eglise va simuler différentes provocations, notamment s’emparer de ses propres églises pour simuler des persécutions, puis accuser ses adversaires. N’est-ce pas absurde ? Voici les faits tels qu’ils sont. Ces quatre dernières années, avec ou sans le soutien de forces radicales comme le « Pravy Sektor », « Svoboda » et d’autres, on nous a arraché par la force une cinquantaine d’églises, la plupart en Ukraine occidentale. Par conséquent, on peut s’attendre à ce qu’ils poursuivent leur activité en s’attaquant à la laure des Grottes. Le chef de l’église orthodoxe ukrainienne du patriarcat de Kiev, Philarète (Denissenko), l’avait d’ailleurs déclaré plus d’une fois publiquement. Si ces prises d’assauts étaient auparavant complètement illégales, mais se produisaient quant même, il est hautement probable qu’après la possible réception du Tomos, ces tendances contraires à la loi prendront une ampleur bien plus grande. Dans ce contexte, il est indubitable que les fidèles chercheront à défendre leurs églises. Et la laure des Grottes de Kiev en particulier.
- Les fonctionnaires ukrainiens ne cessent de répéter que dans un état indépendant il doit y avoir une Eglise indépendante. Les gens d’Eglise partagent-ils cette opinion ? Pouvez-vous éclaircir ce point ?
Le 36e canon apostolique dit, certes, que les « évêques de tout peuple doivent reconnaître le premier d’entre eux ». Mais ce canon ne précise pas quel est le rang de ce « premier d’entre eux », soit patriarche, métropolite ou archevêque. Il ne dit rien non plus de la nécessité de l’autocéphalie prise dans l’acception moderne du terme. Ce canon a été écrit à une époque où la notion d’autocéphalie n’existait même pas. La notion d’autocéphalie, dans son sens moderne, n’apparaît qu’au XIXe siècle. Dans notre pays, il y a l’Eglise orthodoxe ukrainienne, et tous les évêques, le clergé et les laïcs reconnaissent pour leur premier hiérarque le métropolite Onuphre de Kiev et de toute l’Ukraine. Par ailleurs, notre Eglise est indépendante, administrativement et financièrement parlant. Le fait que notre Eglise conserve un lien eucharistique, spirituel avec l’Eglise orthodoxe russe ne raye pas cette indépendance. Toutes les Eglises orthodoxes du monde gardent un lien eucharistique, un lien de prière les unes avec les autres, qui est le garant de l’unité de l’Orthodoxie mondiale, sans pour autant perdre leur indépendance dans la prise de décisions administratives. La structure autocéphalique, comme nous l’avons dit plus d’une fois, n’est qu’une forme d’existence de l’Eglise dans un contexte historique déterminé. A l’heure actuelle, la question de l’autocéphalie ne fait pas l’unanimité parmi les fidèles de l’Eglise orthodoxe ukrainienne. Les positions diffèrent, et, comme nous en tenons compte, nous ne voulons pas apporter la division et le trouble en prenant des décisions. C’est précisément pour cette raison et à partir de ces réflexions que les hiérarques de l’EOU, dans leur déclaration du 25 juin 2018 ont affirmé que le statut actuel de l’EOU était optimal.
- En marge de la discussion sur la création d’une nouvelle église indépendante en Ukraine, les médias se sont mis à publier différents sondages et statistiques pour comprendre qui soutient le peuple : l’Eglise canonique, ou les organisations schismatiques. On cherche aussi à savoir combien de paroisses a l’Eglise canonique, et combien en ont les schismatiques. Les données sont contradictoires. Certains affirment que deux tiers des prêtres seraient prêts à rejoindre la nouvelle Eglise autocéphale. D’autres, au contraire, dénoncent les statistiques truquées des schismatiques : dans la région de Ternopol, par exemple, le « patriarcat de Kiev » a trois monastères, mais il n’y a que deux moines. A votre avis, quelles sont les dispositions réelles des croyants dans la société ukrainienne ? Leur voix est-elle assez forte ?
La meilleure donnée statistique est le nombre de communautés. Il est difficile de compter les gens, tandis qu’il en va autrement avec les communautés, car chaque communauté représente des personnes réelles. Par conséquent, suivant le nombre de communautés, on peut se faire une idée du potentiel réel de l’Eglise. Le nombre de communautés paroissiales s’élève à 12500. C’est presque trois fois plus que l’EOU PK et que l’EOAU ensemble. La plupart des personnes qui composent ces 120500 paroisses sont prêts à conserver le statut actuel de notre Eglise, auquel ils sont attachés. Certes, il y a des croyants et même un petit nombre de clercs de notre Eglise auxquels l’idée de l’autocéphalie en impose. Mais jusqu’à présent, ils représentent tout de même une minorité. Quant à la voix des croyants ou à la voix de l’Eglise dans la société ukrainienne, c’est une question purement rhétorique. Parce bien que l’Eglise parle, mais tous sont loin d’entendre et d’écouter sa parole.
Je pense que s’il se forme une structure parallèle, une minorité la rejoindra, surtout dans les villages. Parce que dans les villages, il n’y a généralement qu’une seule église et il n’y a pas d’alternative. Par ailleurs, il est plus facile de faire pression sur les fidèles par le biais des organes administratifs locaux. Dans les villes, il me semble que ce ne seront que des cas isolés. Dans tous les cas, nous resterons la plus grande Eglise orthodoxe en Ukraine.
Cependant, j’aimerais souligner autre chose : en créant une structure parallèle et en tentant de la légaliser, les architectes de ce projet condamnent le peuple orthodoxe ukrainien à des siècles de division. C’est justement pour cette raison que l’Eglise orthodoxe ukrainienne qui est l’Eglise locale du peuple ukrainien, est si catégorique dans ses réflexions, pour empêcher cela.
Nous prions le Seigneur Jésus Christ, Pasteur des pasteurs, de nous aider à passer par cette étape de l’histoire, en conservant la paix et la charité fraternelle.