Le métropolite Hilarion : Le projet d’autocéphalie ukrainienne a échoué pratiquement sur toute la ligne
Le 2 mars 2019, le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou, a répondu aux questions de la présentatrice de télévision Ekaterina Gratcheva, dans l’émission hebdomadaire « l’Eglise et le monde » (Tserkov’ i mir).
E.Gratcheva: Bonjour ! Vous regardez l’émission « l’Eglise et le monde », nous nous entretenons avec le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou. Bonjour, Monseigneur.
Le métropolite Hilarion : Bonjour, Ekaterina ! Chers frères et sœurs, bonjour.
E.Gratcheva: Une réunion ordinaire du Saint-Synode de l’Église orthodoxe russe a eu lieu cette semaine. Toutes les agences d’informations discutent des changements dans la direction de la Chancellerie de l’Église orthodoxe russe et du Département des finances et de l’économie. Ces changements sont-ils importants, à quoi sont-ils liés ? Quels sont les autres conclusions à retenir de cette réunion du Synode ?
Le métropolite Hilarion : Le Saint-Synode a fait le bilan de la décennie du patriarcat de Sa Sainteté le patriarche Cyrille. Ces dernières années, le nombre de clercs est passé de 29 000 à plus de 40 000, le nombre de monastères s’élève à près de mille. Durant toute cette période, la croissance de l’Église s’est poursuivi au même rythme que sous le patriarche Alexis, ce qui veut dire que nous avons ouvert plus de 1000 églises par an ou plus de trois par jour.
En tant que président du Département des relations ecclésiastiques extérieures, il m’a été particulièrement agréable d’entendre le Saint-Synode constater que les affaires étrangères de l’Église orthodoxe russe, durant toute cette période, ont été menées, et continuent à l’être, au plus haut niveau. Et ce malgré les actes de banditisme qui ont été commis ces derniers temps par Constantinople.
Le Saint-Synode a publié une déclaration spéciale sur l’Ukraine, où il est souligné que l’Église orthodoxe urkainienne est persécutée dans ce pays. On s’empare des églises par la violence, les autorités ukrainiennes exigent que l’Église change de dénomination et se fasse réenregistrer, les principaux monastères, la Laure des Grottes de Kiev et la Laure de Potchaïev, sont menacés d’être enlevés à l’Église canonique, bref, par tous les moyens, légitimes et illégitimes, l’état cherche à forcer les fidèles de l’Église orthodoxe ukrainienne, leurs propres citoyens, à rejoindre le schisme.
Plusieurs décisions ont été prises, en effet, concernant les cadres supérieurs de l’Église, la Chancellerie, notamment, a désormais un autre chef. Le métropolite Barsanuphe a rempli cette fonction pendant près de dix ans, mais depuis qu’il occupe le siège de Saint-Pétersbourg (depuis quelques années), il était à cheval sur deux villes : la moitié de la semaine il à Saint-Pétersbourg, l’autre moitié à Moscou. Ces déplacements continuels en avion ou en « Sapsan » (équivalent du TGV, ndt) le fatiguaient beaucoup. Il a donc demandé au patriarche de le libérer des fonctions de chancelier. C’est le métropolite Sabas de Tver et de Kachine qui a été nommé, il a déjà fait ses preuves en tant qu’adjoint au chancelier.
Par ailleurs, la Direction de l’économie et des finances a aussi un nouveau chef, le métropolite Ignace de Vologda. Plusieurs monastères ont un nouveau supérieur, notamment la Trinité-Saint-Serge, le monastère du Don, celui de Novospasski. Plusieurs diocèses ont été fondés dans le cadre de l’Exarchat patriarcal d’Asie du Sud-Est : ceux de Singapour, des Philippines et du Vietnam, de Corée (qui couvre les deux Corées), de Thaïlande.
E.Gratcheva: Monseigneur, avant même la séance du Saint-Synode de l’Église orthodoxe russe, l’Église de Chypre a tenu sa propre séance. Si l’Église russe, comme on voit, a abordé de nombreux sujets, les chypriotes, eux, avaient une seule question à l’ordre du jour, celle de la proclamation de l’autocéphalie de « l’église ukrainienne ». Un document a été adopté à la fin de la séance, qui précise : « Tout peuple ayant obtenu son indépendance nationale est par principe en droit de demander son autocéphalie sur le plan ecclésial, comme le fixent les saints canons. La structure ecclésiale doit évoluer en même temps que la structure politique. » Monseigneur, quels canons précisent le lien entre la religion et la politique ?
Le métropolite Hilarion : Les canons ont été rédigés à l’époque byzantine et, effectivement, il existe un certain lien entre la vie ecclésiastique et la politique. Le 28e canon du Concile de Chalcédoine, par exemple, stipule que l’évêque de Constantinople – Nouvelle Rome devrait disposer des mêmes prérogatives que l’évêque de l’ancienne Rome, puisque Constantinople était la capitale de l’empire, où siégeaient le sénat et le synclite. Ainsi, l’élévation du patriarche de Constantinople découle directement de la création d’une nouvelle capitale sur les rives du Bosphore.
A peu près de la même façon, lorsque Pierre I fonda Saint-Pétersbourg, le métropolite de Saint-Pétersbourg reçut les mêmes droits que celui de Moscou ; il avait même préséance sur le métropolite de Moscou à l’époque synodale. Ce lien existe.
Cependant, il n’existe pas de canons qui préciseraient qu’en cas d’obtention de l’indépendance politique, l’Église doive automatiquement devenir indépendante. Si cette règle existait, nous n’aurions pas, à l’heure qu’il est, quinze Églises orthodoxes locales, mais, au bas mot, cent cinquante. En effet, il y a eu beaucoup de cas, dans l’histoire, où l’acquisition de l’indépendance politique entraînait l’acquisition de l’autocéphalie. En général, lorsqu’un pays se libérait du joug ottoman. Le Patriarcat de Constantinople dirigeait tous les diocèses et toutes les paroisses situées sur le territoire de l’Empire ottoman, mais lorsque la Grèce, puis la Serbie, ou la Bulgarie se libérèrent du joug turc, elles ont proclamé l’autocéphalie de leur Église. Constantinople ne la reconnaissait jamais immédiatement, mais il y venait ensuite.
L’essentiel, pour nous, est que l’Église de Chypre n’a pas reconnu « l’église orthodoxe d’Ukraine » créée par Constantinople. L’Église de Chypre a dit clairement que les personnes ordonnées dans le schisme ne peuvent être considérées comme des hiérarques, que leur consécration est plus que douteuse. Ainsi, l’Église de Chypre, comme le montre les résolutions exposées à la fin du document de son Saint-Synode, n’a pas soutenu les actions de Constantinople.
E.Gratcheva: Quelle est la position des autres Églises locales sur l’autocéphalie de « l’église ukrainienne » ?
Le métropolite Hilarion : Actuellement, aucune Église locale n’a reconnu l’iniquité commise par Constantinople. Cela témoigne de l’échec total de Constantinople, qui a tenté d’imposer sa décision aux Églises orthodoxes locales, mais n’a pas été suivi. Quelques Églises se prononcent ouvertement contre les décisions de Constantinople. Les Églises d’Antioche, de Serbie, de Pologne, plus récemment celle de Chypre, ont exprimé leur position. Il y a des Églises qui n’ont pas encore fait de déclarations, mais elles n’ont pas envoyé de représentants à « l’intronisation » du chef des schismatiques, ne l’ont pas félicité de son élection, ce qui témoigne aussi de ce qu’elles ne reconnaissent pas l’iniquité accomplie.
E.Gratcheva: Monseigneur, plusieurs médias ont annoncé que le président ukrainien aurait promis au patriarche de Constantinole l’église du Sauveur, où est située le tombeau du grand-prince Iouri Dolgorouki, le fondateur de Moscou. Est-ce vrai ?
Le métropolite Hilarion : Nous ne savons pas si ce qu’affirment les médias ukrainiens à ce sujet est vrai, mais nous savons que le Patriarcat de Constantinople a fait connaître ses prétentions à plusieurs églises et immeubles. Il y avait toute une liste de bâtiments, une trentaine, des églises, des monastères, des bâtiments, notamment dans le centre de Kiev. Mais je ne suis pas certain que le marchange va se poursuivre entre les autorités ukrainiennes et Constantinople. Je pense que Constantinople a perdu tout intérêt pour le pouvoir ukrainien, il a rempli sa mission, il a octroyé le prétendu « tomos d’autocéphalie » au chef des schismatiques. Si Constantinople voulait obtenir quelque chose en Ukraine, il aurait fallu le faire avant de donner le tomos. Il y a peu de chances qu’ils reçoivent autre chose de plus que ce qu’ils ont déjà reçu.
E.Gratcheva: S’ils n’obtiennent pas ce qu’ils veulent, quelles conséquences cela peut-il avoir ? Le Patriarcat de Constantinople pourrait-il, théoriquement, reprendre son tomos ?
Le métropolite Hilarion : Ce ne serait pas possible sans perdre la face. Ils sont allés trop loin, il y a eu trop de discours sur les prétendus droits particuliers de Constantinople. Il est peu probable que Constantinople accepte maintenant de faire marche arrière. Même l’absence de soutien visible de la part des Églises orthodoxes locales ne l’a pas empêché d’avancer sur la voie qu’il a prise depuis un peu moins d’un an, lorsqu’il a annoncé la création « d’une église ukrainienne autocéphale ».
Nous voyons que ce projet a échoué pratiquement sur toute la ligne : d’une part parce que la majorité des orthodoxes d’Ukraine n’a pas rejoint le groupe schismatique légalisé, créé à partir de la fusion de deux anciens groupes schismatiques, d’autre part parce que les Églises orthodoxes locales n’ont pas soutenu cette iniquité.
Il existe aujourd’hui un papier, signé de Constantinople, une certaine « église orthodoxe d’Ukraine », mais la majorité des orthodoxes d’Ukraine, malgré les persécutions, malgré les pressions de la part des autorités civiles, continuent à fréquenter l’Église canonique, dirigée par Sa béatitude le métropolite Onuphre. C’est cette Église que les Églises orthodoxes locales soutiennent.
E.Gratcheva: Une première plainte, portée par l’Église orthodoxe ukrainienne, plus exactement par la communauté du village de Ptitchié, dans la région de Rovno, est déjà parvenue à la Cour européenne des droits de l’homme. Les fidèles se plaignent de ce que les autorités ukrainiennes ont illégalement saisi leur église. L’Église orthodoxe russe suit-elle ce procès ? Y avait-il un représentant de l’Église orthodoxe russe à cette séance de la Cour européenne des droits de l’homme ?
Le métropolite Hilarion : Nous suivi le procès, mais les plaintes émanent de l’Église orthodoxe ukrainienne. C’est l’Église orthodoxe ukrainienne qui suit de près les choses. Il faut dire que les autorités ukrainiennes parlent de passages en masse des paroisses de l’Église orthodoxe russe à la nouvelle structure. En fait, il y a très peu de passages volontaires, dans la plupart des cas il s’agit d’usurpation d’églises, illégitimement saisies par les forces armées. Les communautés portent plainte devant la justice ukrainienne, mais lorsqu’elles ont épuisé toutes les instantes judiciaires ukrainiennes, elle s’adressent à la Cour européenne. Vous avez évoqué le premier cas.
Je pense qu’il y en aura d’autres, parce que la vague de persécutions contre l’Église orthodoxe ukrainienne est loin d’être passée. Les organisations de défense des droits de l’homme, en Occident, cherchent à ignorer le problème, non parce qu’ils n’en connaissent pas l’existence, mais parce que la conjoncture politique occidentale actuelle n’admet pas que l’Ukraine puisse être un anti-héros. Il n’y a que la Russie qui puisse jouer le rôle d’anti-héros en Occident, aujourd’hui.
E.Gratcheva: Si l’Occident ne veut pas remarquer que Kiev mélange politique et religion, il n’a pas pu ne pas constater que Kiev confondait politique et musique. Je parle du dernier concours de l’Eurovision. Suivez-vous ce qui arrive aux candidats en Ukraine ? Que pensez-vous du fait que la gagnante du concours national ait été éliminée pour avoir fait une tournée en Russie ?
Le métropolite Hilarion : Pour autant que je sache, elle est loin d’être la première chanteuse éliminée pour avoir donné des concerts en Russie, bien qu’étant citoyenne ukrainienne. On trouverait difficilement des domaines aussi incompatibles que la politique et la musique, mais pour les autorités ukrainiennes actuelles, les choses n’ont de valeur que dans le contexte de la campagne électorale. Par tous les moyens, légitimes ou non, les dirigeants ukrainiens actuels s’accrochent au pouvoir. C’est pourquoi ils persécutent l’Église orthodoxe ukrainienne, c’est pourquoi l’état poursuit ses propres citoyens, c’est pourquoi ils font la chasse à la langue russe, que parlent des millions de citoyens ukrainiens, c’est pourquoi les artistes qui se produisent en Russie font l’objet de répressions.
Pour autant que je sache, le pouvoir ukrainien n’a rien gagné à ces manœuvres : ils ont éliminé une chanteuse, mais un autre groupe s’est désisté de lui-même. Finalement l’Ukraine n’est représentée par personne à l’Eurovision.
Dans la seconde partie de l’émission, le métropolite Hilarion a répondu aux questions des téléspectateurs, posées sur le site du programme « l’Église et le monde ».
Question : Pourquoi le Christ ordonne-t-il de présenter la joue gauche ? De cette façon, c’est le mal qui domine.
Le métropolite Hilarion : Le Christ ordonne de ne pas résister au mal, parce qu’on ne peut guérir le mal par un autre mal. Seul le bien peut déraciner le mal. D’un point de vue chrétien, dans un conflit entre deux personnes, ce n’est pas celui qui a tenu bon et obtenu ce qu’il voulait, qui remporte la victoire morale, mais celui qui a cédé pour que le mal ne se répande pas, pour que le bien règne entre les hommes. Ce principe moral est à la base de toute la morale chrétienne.
Question : Comment comprendre les paroles du Christ : « Je ne Suis pas venu apporter la paix, mais le glaive » (Mt 10,35) ?
Le métropolite Hilarion : Ne surtout pas interpréter ces paroles dans le sens d’un appel quelconque à la violence. Il faut les comprendre dans le contexte de ce que le Christ disait à propos de comment Le suivre et de comment observer Sa doctrine.
Le Christ a prévenu Ses disciples que les gens seraient loin de toujours approuver leur choix moral. Souvent, le bien rencontre dans le monde une violente résistance, il peut rencontrer une résistance à l’intérieur d’une famille. Si, par exemple, un membre de la famille devient chrétien, se met à fréquenter l’Église, tandis que les autres membres ne l’acceptent pas, des conflits peuvent survenir dans la famille. C’est de situations semblables dont parlait Jésus Christ.