L’Église d’Albanie a refusé de reconnaître « l’église orthodoxe d’Ukraine » créée par le Patriarcat de Constantinople
Conformément à la résolution prise lors de la séance du Saint-Synode de l’Église orthodoxe albanaise le 4 janvier 2019, l’Église albanaise a refusé de reconnaître « l’église orthodoxe d’Ukraine », récemment fondée par le Patriarcat de Constantinople. C’est ce qu’expose Sa Béatitude l’archevêque de Tirana et de toute l’Albanie Anastase dans une lettreь adressée le 14 janvier 2019 au patriarche Bartholomée de Constantinople, et rendue publique le 7 mars 2019 d’après une décision du Saint-Synode de l’Église orthodoxe albanaise. Le texte de cette lettre est publié ci-dessous intégralement.
Sanctissime et divinissime archevêque de Constantinople – Nouvelle Rome, patriarche œcuménique, bien-aimé et désiré confrère dans le Christ Dieu et concélébrant de notre petitesse, seigneur Bartholomée ! Embrassant chaleureusement Votre divinissime Sainteté dans le Seigneur, nous avons le grand plaisir de vous saluer.
Que le Christ Dieu « venu illuminer le monde » éclaire l’esprit, les résolutions et les actes de tous les orthodoxes durant cette nouvelle année, dirigeant l’Église « qu’Il s’est acquise par Son précieux Sang », sur la voie de la paix.
Réunis en Synode le 4 janvier 2019, nous avons lu attentivement la lettre de Votre divinissime Toute-Sainteté en date du 24 décembre 2018, et avons soigneusement examiné la question de l’octroi de l’autocéphalie à l’Église orthodoxe en Ukraine. Avec un sincère respect et une audace emplie de charité, nous résumons, comme toujours, les réflexions de l’Église albanaise, principalement concernant les actions de l’Esprit Saint.
Notre critique à l’adresse de l’Église russe, quant à son refus de participer au Saint et Grand Concile de l’Église orthodoxe à l’île de Crète, vous est déjà connue. Nous avons aussi récemment critiqué l’Église russe pour sa décision hâtive de rompre la communion eucharistique avec le Patriarcat œcuménique. Ainsi, dans notre lettre à Sa Sainteté le patriarche de Moscou Cyrille, le 7 novembre 2018, nous avons, entre autres, remarqué : « La décision et l’ordonnance de l’épiscopat de l’Église russe peuvent-elles annuler l’action de l’Esprit Saint dans les églises orthodoxes de la juridiction du Patriarcat œcuménique ? (...) Nous reconnaissons que nous ne pouvons approuver semblables décisions. La Divine Eucharistie, sacrement ineffable par sa sainteté et unique par son importance, doit rester en dehors de toute controverse ecclésiastique. »
La même douleur et le même tourment pour la préservation de l’unité de l’Église orthodoxe nous forcent à exprimer nos doutes fondamentaux quant à la légalisation post-factum de la validité de consécrations épiscopales célébrées par une personne réduite à l’état laïc, excommuniée et anathématisée. La vie de monsieur Philarète Denissenko, auteur de ces actes et figure centrale de la crise de l’Église en Ukraine, le dénonce. Il a été consacré évêque du Patriarcat de Moscou en 1962 ; il a, entre autres, occupé la fonction de président du Département des relations ecclésiastiques extérieures, et a été métropolite de Kiev. En 1991, il a exigé l’autocéphalie, non pas du Patriarcat œcuménique, mais du Patriarcat de Moscou, qu’il considérait alors comme « Église-mère ». En 1992, il a été réduit à l’état laïc, puis, en 1997, excommunié et anathématisé par l’Église orthodoxe russe, qui fait partie intégrante de l’Église une, sainte, catholique et apostolique. Ces mesures ont, d ‘ailleurs, été reconnues par toutes les Églises orthodoxes autocéphales.
Depuis qu’il a été réduit à l’état laïc et anathématisé, monsieur Philarète n’a cessé de célébrer des rites non canoniques, qui ne sont pas des sacrements valides. C’est pourquoi les chirotonies auxquelles il a procédé ne sont pas valides, elles sont vides, privées de la grâve divine et de l’action de l’Esprit Saint. Parmi celles-ci, citons l’ordination diaconale, sacerdotale et finalement épiscopale de son secrétaire, Sergueï Doumenko, aujourd’hui métropolite Épiphane. Dans votre lettre du 24 décembre, il est dit : « ... en les rétablissant dans leur rang épiscopal et sacerdocal ». Cependant, nous nous posons la question : comment des ordinations, effectuées par ce monsieur Philarète, se trouvant sous le coup de l’excommunication et de l’anathème, ont-elles pu acquérir dans l’Esprit Saint post factum et sans ordination canonique la légitimité et la véritable empreinte de la succession apostolique ?
Au niveau panorthodoxe, il est admis comme un principe fondamental que l’ordination des schismatiques et des hérétiques, et d’autant plus, l’ordination d’une personne réduite à l’état laïc et excommuniée, en tant que « sacrements » célébrés hors de l’Église, ne sont pas valides. Nous sommes convaincus qu’il ne convient pas de mépriser ce principe fondamental, indissociable de la doctrine orthodoxe de l’Esprit Saint, qui constitue le fondement inébranlable de la succession apostolique des évêques orthodoxes.
Il nous est difficile de nous montrer compréhensifs lorsque ce qui est invalide et inexistant devient pneumatophore « par économie » ; lorsque des actes qui représentent un blasphème répété contre le Saint Esprit (comme, par exemple, l’invocation du Saint Esprit par monsieur Philarète, alors excommunié : « La Grâce divine... prophétise... prions pour lui, que descende sur lui la grâce du Très-saint Esprit ») sont reconnus post factum « par économie ». Enfin, on sait que la sélection et l’élection du nouveau primat de l’Église d’Ukraine, au récent Concile de réunification, ont été le résultat de l’obstination de monsieur Philarète, aujourd’hui officiellement nommé en Ukraine « Sanctissime patriarche émérite de Kiev et de toute la Rus’-Ukraine ». Compte-tenu de tout ce qui vient d’être dit, nous doutons qu’il faille introduire le nom du métropolite Épiphane dans les Saints Dyptiques.
La réconciliation escomptée parmi les orthodoxes ukrainiens, qui ont subi dans le passé différentes persécutions de la part des régimes athées, n’a pas été atteinte. De fait, les millions de fidèles orthodoxes restant sous l’omophore du métropolite Onuphre (selon les statistiques de janvier 2018, ils s’organisent dans 12 069 paroisses placées sous la direction de 90 hiérarques et comptent 12 283 clercs, 251 monastères et 4412 moines), ont refusé de prendre part à la procédure de proclamation de l’autocéphalie, rompant la communion eucharistique avec le Patriarcat œcuménique. La plénitude orthodoxe des pays, auxquels ont été octroyés l’autocéphalie dans le passé (Serbie, Roumanie, Bulgarie, Géorgie, Pologne, Albanie, Tchéquie et Slovaquie), est restée une.
Nous regrettons que les craintes que nous avions exprimé en juillet 2018 à une délégation de trois resprésentants du Patriarcat œcuménique et pendant notre rencontre personnelle en Crète (octobre 2018) se soient trouvées justifiées. Au lieu de la réconciliation et de la réunification attendues des orthodoxes d’Ukraine, nous faisons face au danger de rupture de l’unité dans l’Orthodoxie universelle.
Les pronostics sur la courte durée de l’actuelle rupture [de l’unité] et de l’évidente division, sur le prochain accord de toutes les Églises orthodoxes autocéphales à propos de ce qui s’est produit, ne peuvent être perçus que comme des jugements infondés par tous ceux qui ont une connaissance même élémentaire de l’histoire des schismes dans l’Église et de la solidité du fanatisme religieux. Quant aux propos rassurants de ceux qui disent que la réconcilation interviendra, peut-être,... au siècle prochain, ils sont plutôt cyniques. Les blessures sérieuses qui n’ont pas été traitées à temps ne cicatrisent pas. Généralement, elles ne font que s’étendre et devenir des plaies incurables.
La situation en présence exige de nouvelles approches, des initiatives inspirées pour promouvoir la paix en Ukraine et, avant tout, pour préserver l’unité dangeureusement menacée de l’Orthodoxie. Nous croyons fermement que la solution consiste à recourir à la conciliarité dans l’Esprit Saint, comme cela a été souligné de la façon la plus claire en Crète : « L’Église orthodoxe exprime son unité et sa catholicité dans le Concile. Sa conciliarité façonne son organisation, la manière par laquelle elle prend des décisions et la détermination de son destin.» (Message du Saint et Grand Concile, 1).
Nous ne cessons de penser que les Synaxes panorthodoxes des primats et le Saint et Grand Concile de l’Église orthodoxe, convoqués grâce aux efforts infatigables du Patriarcat œcuménique et de Votre divinissime Toute-Sainteté en personne, ont été une réussite d’une valeur inestimable des orthodoxes ces dernières décennies. Suivant l’esprit de conciliarité du Saint et Grand Concile, l’Église orthodoxe autocéphale albanaise vous prie ardemment de convoquer au plus tôt une Synaxe panorthodoxe ou un Concile, vous servant de votre privilège exclusif de coordination des Églises orthodoxes, afin de prévenir l’évident danger d’éclatement d’un schisme douloureux, menaçant la fiabilité de l’Orthodoxie et de son témoignage devant le monde moderne.
Nous souhaitons de tout cœur et nous prions pour que Dieu dans Sa Trinité dirige nos pas à tous sur la voie de la conservation de l’unité de l’Orthodoxie. « Que le Dieu de l’espérance vous remplisse de toute joie et de toute paix dans la foi, pour que vous abondiez en espérance, par la puissance du Saint-Esprit ! » (Rm 15,13).
Sur ce, Vous donnant la sainte accolade, nous demeurons avec respect et un profond amour dans le Christ Dieu venu dans le monde qu’Il a illuminé,
De Votre divinissime Toute-Sainteté le plus humble confrère dans le Seigneur,
+ ANASTASE,
Archevêque de Tirana, de Dirrachée et de toute l’Albanie
Tirana, le 14 janvier 2019