Le métropolite Hilarion : Dans l’Église, il ne peut pas y avoir de tarifs fixes pour les sacrements ou pour les rites
Le 16 mars 2019, le metropolite Hilarion de Volokolamsk, president du Departement des relations ecclesiastiques exterieures du Patriarcat de Moscou, a repondu aux questions de la presentatrice de television Ekaterina E. Gratcheva, dans l’emission hebdomadaire « l’Eglise et le monde » (Tserkov’ i mir).
E. Gratcheva: Bonjour ! Vous regardez l’emission « l’Eglise et le monde », nous nous entretenons avec le metropolite Hilarion de Volokolamsk, president du Departement des relations ecclesiastiques exterieures du Patriarcat de Moscou. Bonjour, Monseigneur.
Le metropolite Hilarion : Bonjour, Ekaterina ! Chers freres et s?urs, bonjour.
E. Gratcheva: Le patriarche Cyrille s’apprete a se rendre en Coree du Nord. Si cette visite a lieu, il s’y rendra pour la premiere fois en tant que primat de l’Eglise orthodoxe russe. Quand et pourquoi Sa Saintete ira-t-elle en Coree du Nord ?
Le metropolite Hilarion : La date de la visite du patriarche en Republique populaire democratique de Coree n’est pas encore fixee. Mais le patriarche entretient depuis longtemps des relations avec ce pays ; lorsqu’il etait encore president du Departement des relations exterieures, il y est alle plusieurs fois : d’abord pour poser la premiere pierre de l’eglise orthodoxe a Pyongyang, ensuite pour la consacrer. C’etait le precedent leader politique de la Coree du Nord, Kim Jong-ilь qui avait pris l’initiative de faire construire cette eglise : ayant visite Khabarovsk, il y avait vu une eglise orthodoxe, y etait entre, l’avait visitee, s’etait longuement entretenu avec le pretre et avait propose de batir a Pyongyang une eglise orthodoxe comme monument a l’amitie russo-coreenne.
Aujourd’hui, des offices sont regulierement celebrees dans cette eglise par des pretres coreens. Les paroissiens sont principalement des representants du corps diplomatique russe et d’autres ambassades de pays orthodoxes.
A l’automne dernier, je suis alle dans ce pays, notamment a Pyongyang, je me suis entretenu avec les representants des autorites au sujet d’une possible visite du patriarche. Celui-ci est attendu avec Grande impatience. J’espere que la visite aura lieu, comme on dit, en son temps, lorsque tout aura ete fixe.
E. Gratcheva : Le premier dimanche du Grand Careme est appele dimanche du Triomphe de l’Orthodoxie. Les profanes ne connaissent pas tellement cette fete. Les annees precedentes, a l’ambassade de Grece, par exemple, il y avait une reception en l’honneur du patriarche Cyrille, et d’autres manifestations. Comment cette fete sera-t-elle celebree cette annee ? Dans le contexte de nos rapports avec Constantinople, peut-on parler de Triomphe, d’unite de l’Orthodoxie ?
Le metropolite Hilarion : Tout d’abord, je precise que la fete du Triomphe de l’Orthodoxie a ete instituee apres le VIIe Concile ?cumenique, lorsque la veneration des icones eut definitivement triomphe dans l’Eglise. Selon la tradition, nous nous rassemblons ce jour-la pour la Divine liturgie autour du patriarche, a l’eglise du Christ Sauveur, avec la participation de representants des Eglises orthodoxes locales. On invite egalement les ambassadeurs des etats de tradition orthodoxe. Cette fete continuera a etre celebree comme avant, independamment de la conduite de Constantinople.
E. Gratcheva : De nombreux clercs estiment que le schisme murissait depuis longtemps dans la famille des Eglises orthodoxes, et que l’Ukraine n’a fait que servir de pretexte. A votre avis, y a-t-il du vrai dans cette affirmation ?
Le metropolite Hilarion : Il y a beaucoup de vrai, dans cette affirmation : si l’on etudie la facon d’agir de Constantinople durant tout le XXe siecle, depuis les annees 20, on constate qu’existaient deja les pretentions papistes de Constantinople qui ont entraine aujourd’hui sa chute du plerome de l’orthodoxie.
Ces pretentions sont nouvelles, elles ne s’inscrivent pas dans la tradition orthodoxe. Depuis des siecles, les hierarques orthodoxes polemiquent contre le papisme, ce qui temoigne qu’il n’y a pas, qu’il n’y a jamais eu d’autorite papale dans l’Eglise orthodoxe, qu’il n’y a jamais eu d’eveque supreme qui dirigerait toutes les Eglises orthodoxes.
Les evenements en Ukraine sont une sorte de conclusion logique aux pretentions de Constantinople. La crise qui s’est produite autour de la fondation de cette « eglise orthodoxe d’Ukraine » a ete preparee durant une longue periode. Mais le bilan n’en est pas l’eclatement de l’Orthodoxie, mais le retrait d’une des Eglises orthodoxes locales, l’Eglise de Constantinople, de l’unite orthodoxe : en s’unissant aux schismatiques, elle s’est placee elle-meme en etat de schisme.
E. Gratcheva : Bien que l’Eglise orthodoxe russe considere aujourd’hui Constantinople comme etant hors de l’Orthodoxie, il y a des pretres (j’en connais) qui permettent neanmoins a leurs fideles de communier, voire meme de se marier dans des eglises grecques. Lorsque le Patriarcat l’apprendra, qu’adviendra-t-il de ces pretres ? Ils seront semonces ou excommunies ?
Le metropolite Hilarion : On n’excommuniera personne, mais je pense que les hierarques devront expliquer aux pretres que l’Eglise a formule sa position, et que la position d’un pretre, ou meme d’un eveque, ne peut differer de celle de toute l’Eglise.
E. Gratcheva : Selon une information qui s’est repandue dans les reseaux sociaux, un eveque du diocese de Voronej aurait fortement augmente les prix des sacrements sur le territoire dont il a la charge. L’appareil central de l’Eglise orthodoxe russe est-il au courant ? Augmenter les prix, cela releve-t-il de politique generale dans l’Eglise, ou de l’initiative privee d’un eveque ?
Le metropolite Hilarion : Je tiens d’abord a preciser ce qu’ont deja souvent precise le patriarche et ses representants officiels. Nous n’avons pas de tarifs. Si vous venez a l’eglise et que vous dites : je veux faire baptiser mon enfant, mais je n’ai pas de quoi payer, le pretre est tenu de baptiser votre enfant, sans exiger aucun argent. S’il refuse, c’est une raison suffisante pour se plaindre a l’eveque diocesain.
Si un eveque publie des tarifs, il agit a l’encontre de la position de l’Eglise, souvent exprimee par le patriarche, qui souligne que, dans l’Eglise, il ne peut y avoir de tarifs des baptemes, des mariages, ni d’autres sacrements ou rites, que ce soit des offices d’intercession, de commemoration, etc.
Il existe la notion d’offrande recommandee. Autrement dit, quand quelqu’un vient et dit qu’il veut faire baptiser son enfant et demande combien cela coute, la reponse doit etre : « rien ». En general, la personne demande ensuite : « je souhaite neanmoins faire une offrande, mais je ne sais pas combien donner ». Et on peut lui suggerer une somme souvent donnee a cette occasion. Mais il ne doit pas exister de tarifs. S’il y en a quelque part, la Chancellerie du Patriarcat de Moscou doit intervenir aupres des pretres qui proposent des tarifs, ainsi que des eveques qui les mettent en circulation, si c’est effectivement le cas.
E. Gratcheva : Ou ecrire dans ce cas ?
Le metropolite Hilarion : Il faut adresser une plainte ecrite au chancelier du Patriarcat de Moscou.
E. Gratcheva : Le directeur du Service federal antimonopoliste a ouvertement declare que la majorite des Russes payaient deux fois plus de charges qu’ils ne devraient. Par exemple, des l’instant de sa naissance, un enfant paye 140 roubles pour l’enlevement des ordures, alors que l’allocation par enfant ne s’eleve qu’a 50 roubles. A votre avis, les tarifs des services collectifs sont-ils justes ? Qui doit controler la fixation des tarifs ?
Le metropolite Hilarion : Dans le reste du monde, suivant les pays, les charges s’elevent a entre 7 et 16% du revenu. 16%, c’est ce qui se pratique en Grande-Bretagne, ou, comme on sait, les charges sont tres elevees. Mais dans la plupart des pays, les tarifs montent a 7-10% du revenu par tete, 12% dans certains pays.
Dans notre pays, ce coefficient est plus eleve, et ne fait qu’augmenter. Si l’etat n’intervient pas pour reguler ce processus, les consequences seront lourdes pour la population, et cela aura des repercussions, notamment, sur la natalite, et, plus generalement, sur le niveau social de nos citoyens. Les prix des services collectifs doivent etre abordables, notamment pour les familles a faibles revenus.
E. Gratcheva: Monseigneur, une histoire epouvantable, a mon avis, qui s’est passee a Saint-Petersbourg, a fait la une des medias. Il s’agit d’une mere de deux enfants, affligee d’un handicap auditif. Uniquement a cause de ce handicap, les services sociaux lui ont retire ses enfants, qui ont ete places en maison. L’Eglise intervient-elle dans des cas comme celui-ci ? A-t-elle de l’experience dans la defense de meres comme celle-ci ?
Le metropolite Hilarion : L’Eglise n’intervient que lorsqu’on s’adresse a elle. J’ai suivi attentivement cette histoire, et je pense que les services sociaux ne doivent jamais se transformer en organes de repression, s’abattant sur les appartements et arrachant les enfants a leurs familles si celles-ci, par exemple, ont un petit revenu.
Dans le cas present, il s’agit d’une femme qui entend mal. Elle a appele le docteur, mais lorsque celui-ci est arrive, elle n’a pas entendu frapper a la porte. Cela a suffi pour qu’on enleve les enfants a leur mere. Des huissiers sont venus, ils ont reveille tout le monde, ont vu que les enfants n’etaient pas coiffes (puisqu’ils venaient de se lever), ont trouve qu’ils etaient mal tenus, et on les a emmenes. Je pense que c’est parfaitement inadmissible.
L’affaire se complique du fait que cette femme et ces deux enfants vivent dans un appartement communautaire. Je trouve honteux qu’il existe encore des appartements communautaires au XXIe siecle. J’ai vecu en appartement communautaire jusqu’a l’age de 16 ans, et je sais tres bien ce que c’est. Les voisins luttent pour avoir plus d’espace, parce que si l’on obtient l’expulsion d’une famille, on ne la remplace generalement pas, et on peut utiliser les metres carres pour soi. Les voisins ont donc interet a, par exemple, faire retirer les enfants a une mere, puis a faire expulser la mere elle-meme pour recuperer les metres carres qui se liberent.
Le pouvoir doit serieusement intervenir. J’espere que les autorites de Saint-Petersbourg interviendront dans cette affaire et feront leur possible pour que les enfants vivent avec leur mere dans des conditions decentes.
E. Gratcheva: Monseigneur, un projet de loi a ete adopte en premiere lecture, sur ce qu’on appelle l’internet souverain. Avez-vous suivi les discussions autour de ce theme ? A votre avis, peut-on avoir un internet souverrain, dans un pays donne ?
Le metropolite Hilarion : J’ai suivi la discussion, et je pense que dans le contexte du monde global actuel, un internet souverain est tout simplement impossible et irrealiste. Mais on peut et on doit defendre les utilisateurs d’internet des sites et des groupes sur les reseaux sociaux qui professent une ideologie terroriste ou font la propagande d’un mode de vie amoral. L’etat et les organes de l’etat disposent de mecanismes pour cela. Je pense qu’il faut et qu’on peut perfectionner ces mecanismes.
Quant au projet de loi qui a ete propose, a premiere vue, tout au moins pour un non specialiste, il donne l’impression d’avoir ete mal prepare. La somme dont il est question, pour realiser le projet, est tres importante, on parle de 25 milliards de roubles. Mais le resultat de cet investissement n’est absolument pas clair. Je pense que ce n’est pas pour rien que la Chambre des comptes s’est montre negative quant a cette initiative : c’est une instance ou l’on sait compter.
E. Gratcheva: Existe-t-il dans l’Eglise orthodoxe russe des sites fermes aux utilisateurs ?
Le metropolite Hilarion : L’Eglise orthodoxe russe ne s’occupe pas du blocage des sites. Cependant, on peut conseiller a ses paroissiens de ne pas consulter certains d’entre eux.
Il existe aujourd’hui des ressources sur internet qui se specialisent dans les sujets religieux, mais qui ressemblent plutot a un caniveau ou s’ecoulent toute sorte d’information mensongere, de calomnies, de propagande en faveur de groupements sectaires. Certains me disent : nous avons vu telle publication sur tel portail, on y parle de vous ; je reponds que je ne consulte jamais ce portail, par principe. Si l’on me demande pourquoi, je reponds : imaginez qu’on vous dise qu’on peut trouver des choses interessantes dans la decharge voisine, il suffit de fouiller dans les ordures pour en tirer quelque chose de bon. Je ne pense pas que vous irez fouiller les ordures. Il existe aujourd’hui des decharges sur internet. Je conseille a mes paroissiens de s’abstenir de consulter ces sites, s’ils veulent avoir l’esprit calme et serein, afin de ne pas fouiller dans les poubelles et de ne pas se souiller par des informations ou des mesinformations de ce genre.
Dans la seconde partie de l’emission, le metropolite Hilarion a repondu aux questions posees par les telespectateurs sur le site du programme « l’Eglise et le monde ».
Question : Quelle est la difference entre la loi de Moise et la loi que Jesus Christ a donne a Ses disciples ?
Le metropolite Hilarion : La difference est considerable. La loi de Moise etait destinee a un collectif d’auditeurs, tandis que les commandements que donne le Seigneur Jesus Christ s’adressent a chaque homme en particulier.
L’objet de la loi de Moise etait de preserver le peuple d’Israel de la contagion du peche. Le pecheur, selon la loi de Moise, devait etre rejete, et de nombreux peches etaient punis de la peine de mort.
La loi que le Seigneur Jesus Christ a donne aux hommes est de tout autre nature. Elle a pour but la renaissance de l’homme. Jesus Christ eleve incommensurablement plus haut le niveau moral. Jesus dit par exemple : « Vous avez entendu qu’il a ete dit aux anciens : Tu ne tueras point ; celui qui tuera merite d’etre puni par les juges. Mais moi, je vous dis que quiconque se met en colere contre son frere merite d'etre puni par les juges » (Mt 5,21-22). Autrement dit, le Seigneur ne parle pas des consequences, parce que le meurtre est toujours la consequence d’un conflit entre personnes, mais des racines, de la maniere de prevenir ce qui pourrait evoluer en crime, comment travailler sur soi, comment eduquer son ame et son c?ur.
Question : Comment faire coincider les textes de certains psaumes avec la parole de Dieu sur l’amour des ennemis ?
Le metropolite Hilarion : Cette question rejoint celle a laquelle je viens de repondre. Les psaumes ont ete ecrits a l’epoque veterostestamentaire, lorsque tout etait envisage en noir et blanc. Le mechant etait l’ennemi, qui devait etre elimite, et il fallait prier Dieu pour que cet homme mauvais recoive le chatiment qu’il meritait. Le Christ a un enseignement tout different sur les ennemis, qu’il faut apprendre a aimer, pour lesquels il faut prier, qu’il faut benir, et ne pas repondre au mal par le mal.