Le métropolite Hilarion : Nous restons en communion avec tous les hiérarques et tous les clercs qui ne reconnaissent pas et ne reconnaîtront pas les schismatiques « légitimisés » par Constantinople
Dans une interview à la chaîne de télévision « Rossia 24 », le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou, a fait le bilan de l’année écoulée, parlant notamment de la réunion de la diaspora orthodoxe russe sous l’omophore du patriarche de Moscou et de toute la Russie, de la situation provoquée par la tentative de légalisation des schismatiques ukrainiens par le Patriarcat de Constantinople et de la réaction de l’Église orthodoxe russe à la reconnaissance de la structure non canonique en Ukraine par les chefs de deux Églises locales. Il a aussi exposé le projet d’aide aux enfants syriens élaboré par l’Église, et a partagé ses réflexions sur le rôle d’un travail social pour renforcer la coopération entre les chrétiens de différentes confessions.
- Le thème principal de l’information ecclésiale, durant l’année 2019, a été et continue à être le schisme ukrainien. Pourriez-vous expliquer quelle est désormais la position de l’Église orthodoxe russe envers les chrétiens qui ont reçu la nouvelle « église ukrainienne » non canonique ? Et peut-on dire que le schisme ukrainien dans l’Église russe a des répercussions sur l’ensemble de l’Orthodoxie ?
- Le schisme ukrainien n’a aucune répercussion sur la vie interne de l’Église orthodoxe russe. En Ukraine, par contre, c’est une situation douloureuse, car le schisme se poursuit depuis une trentaine d’années.
Remédier au schisme, du point de vue des canons, veut dire passer par le repentir. Les tentatives de « légitimation », entreprises par le patriarche Bartholomée, n’ont pas apporté la réconciliation aux orthodoxes ukrainiens, n’ont pas remédié au schisme, mais n’ont fait qu’aggraver le conflit existant.
Nous avons appris avec un profond regret la reconnaissance de cette nouvelle structure schismatique par deux Églises locales. Nous comprenons que ces décisions sont le résultat des fortes pressions exercées, notamment, par l’administration des États-Unis d’Amérique. Les États-Unis n’ont pas fait mystère de leur position : ils ont résolument soutenu la fameuse autocéphalie. Il suffit de rappeler que l’ambassadeur des États-Unis en Grèce, J. Payett, a rencontré l’archevêque d’Athènes Jérôme de nombreuses fois avant que celui-ci n’annonce sa décision de reconnaître la nouvelle structure en Ukraine. Accueillant la nouvelle avec regret, nous restons en communion avec tous les hiérarques et avec tous les clercs qui ne reconnaissent pas et ne reconnaîtront pas les schismatiques « légitimisés », et ils sont nombreux, tant dans l’Église de Grèce qu’au Patriarcat d’Alexandrie et dans le monde entier.
- Un autre évènement important s’est produit pendant l’année écoulée : comme l’a dit le patriarche Cyrille, la réunification des paroisses de tradition russe en Europe occidentale avec l’Église orthodoxe russe a été un évènement historique. Pourriez-vous expliquer en quoi est-ce important ? A votre avis, cet évènement peut-il renforcer les liens avec les émigrés russes de la première vague et leurs descendants ?
- Afin de comprendre l’importance de cet évènement, il faut se souvenir que peu après la révolution, un nombre important d’orthodoxes russophones s’est retrouvé à l’étranger. Parmi eux, de nombreux prêtres et évêques qui se sont regroupés en trois structures différentes : celle qui se dénommait Église russe hors-frontières, les paroisses du Patriarcat de Moscou, ayant conservé un lien avec Moscou, et les paroisses qui n’ont voulu faire partie ni de l’une, ni de l’autre, mais ont été introduites provisoirement à la juridiction du Patriarcat de Constantinople. Ce fut une division particulièrement douloureuse, qui ne concernait pas seulement les structures ecclésiales, mais aussi les familles, touchait directement les gens. Il y avait des familles dont certains membres fréquentaient une église, tandis que d’autres allaient dans une autre, ce qui causait des conflits, des disputes.
Nous avons été témoins de la fin de cette division : d’abord l’Église russe hors-frontières a rejoint le Patriarcat de Constantinople. Ce fut un pas important, en 2007, qui a eu une large résonnance dans les médias. La dernière étape sur la voie de la réunification a été la réunion des paroisses de tradition russe au Patriarcat de Moscou, celles qui faisaient provisoirement partie du Patriarcat de Constantinople. Ainsi, on peut dire que le processus de réunification de la diaspora orthodoxe russe sous l’omophore du patriarche de Moscou est achevé.
- J’aimerais que nous parlions des relations avec l’Église catholique. Il me semble très symbolique que cette période de fête de fin d’année, autour de la fête de Noël, unisse les catholiques et les orthodoxes. En 2016, a eu lieu une rencontre exclusive du patriarche Cyrille de Moscou avec le pape François de Rome. Je me souviens encore que je suivais les évènements depuis mon lieu de travail, pendant toute la nuit. Ce fut un moment très important. Qu’est-ce qui a changé depuis, a-t-on conservé la même dynamique dans nos rapports ?
- Nous parvenons à rester dans la même dynamique dans nos rapports avec l’Église catholique.
Nous fêterons bientôt le 4e anniversaire de la rencontre historique entre le patriarche Cyrille et le pape François. Elle fut historique pour plusieurs raisons. D’abord parce qu’aucun pape de Rome n’avait jamais rencontre aucun patriarche de Moscou. Ensuite parce qu’elle a, effectivement, ouvert une nouvelle page dans l’histoire des relations entre l’Église orthodoxe russe et l’Église catholique romaine. Elles sont plus confiantes, plus constructives. Nous avons élaboré plusieurs projets en commun. Il s’agit, avant tout, de projets caritatifs et sociaux, comme de l’aide à la population sinistrée de Syrie.
L’Église orthodoxe russe poursuit aussi un projet « Il n’y a pas d’enfants étrangers », dans le cadre duquel nous faisons venir en Russie des enfants victimes de mines ou de bombardements, ayant perdu un membre. Nous leur faisons faire des prothèses individuelles, et nous leur apprenons à s’en servir. Par ailleurs, les enfants syriens venus à Moscou bénéficient d’une réhabilitation complète, notamment sur le plan psychologique. Ce projet est réalisé actuellement grâce à des dons, avec le soutien de fondations russes, dont la fondation « Ligne de vie ».
Nous espérons pouvoir organiser des projets semblables en commun avec les catholiques, parce qu’ils ont entrepris des actions identiques de leur côté. Ce travail pourrait consolider nos liens.
- Cette année, la Russie avait organisé un forum international de grande envergure, « Russie-Afrique ». Comment l’Église orthodoxe russe voit-elle sa présence dans cette partie du monde ? Avez-vous des projets pour l’année 2020 et pour les années suivantes ?
- A l’heure actuelle, nous sommes confrontés à une situation inédite. Nous sommes toujours partis du fait que l’Afrique est le territoire canonique du Patriarcat d’Alexandrie, même s’il faut préciser que les mots « et de toute l’Afrique » n’ont été ajoutés au titre du primat de cette Église que dans les années 1920 : auparavant, son action se limitait à l’Afrique du Nord, c’est-à-dire au territoire qui relevait historiquement du Patriarcat d’Alexandrie.
Durant le siècle dernier, le patriarche d’Alexandrie a, effectivement, étendu sa juridiction à tout le continent africain, et nous l’avons soutenu. Lorsque nous construisions des églises en Afrique, celles-ci faisaient partie de ce Patriarcat, et même les prêtres que nous envoyions de Russie en Afrique devenaient provisoirement clercs de l’Église d’Alexandrie.
Depuis que, malheureusement, le patriarche Théodore d’Alexandrie a décidé de soutenir les schismatiques ukrainiens, nous devons revoir notre façon de faire. Nous ne savons pas encore comment, mais des clercs africains s’adressent déjà à nous. Nos prêtres qui sont en Afrique ne sont déjà plus liés au Patriarcat d’Alexandrie. A l’intérieur de cette Église, on est de plus en plus mécontent du choix du patriarche Théodore : il y a quelques jours, 27 prêtres de différents pays d’Afrique nous ont envoyé une lettre ouverte, dans laquelle ils exprimaient leur désaccord avec la reconnaissance des schismatiques. Je ne veux pas prédire comment les évènements évolueront, mais si le Patriarcat d’Alexandrie se retrouve du côté du schisme, il nous faudra créer en Afrique des paroissses pour nos fidèles, parce qu’ils ne peuvent plus communier dans les églises du Patriarcat d’Alexandrie.
- Voici la saison des fêtes de fin d’année. Que souhaiteriez-vous aux fidèles pour les premiers mois de 2020 ?
- Mon vœu principal est qu’il n’y ait pas de guerre, que nous vivions en paix. A tous les citoyens de notre pays, je souhaite de vivre en paix et dans la concorde, indépendamment de nos convictions religieuses, de nos opinions et de nos préférences. Nous avons une maison commune, et nous sommes appelés à bâtir cette maison. C’est pourquoi l’interaction entre différentes confessions chrétiennes et entre représentants de différentes religions est d’une grande actualité. Nous sommes tous, croyants et incroyants, appelés à participer à la fondation de cette maison commune, devons nous sentir responsables de sa stabilité.
Que Dieu nous aide tous dans l’année qui vient.