Le métropolite Hilarion de Volokolamsk : C’est Jésus Christ qui est le fondateur de l’Église, un président ne peut pas fonder l’Église
Le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou, a donné une interview au journal « Vetchernie novosti », de Belgrade, où il séjournait à l’invitation de Sa Sainteté le patriarche Irénée de Serbie, avec la bénédiction de Sa Sainteté le patriarche Cyrille de Moscou et de toute la Russie.
- Pendant la présentation de la traduction serbe de votre livre, à Belgrade, vous avez mentionné les dures épreuves par lesquelles passe l’Église orthodoxe serbe au Monténégro. Quel message spirituel voudriez-vous faire passer à Sa Sainteté le patriarche Irénée de Serbie et à tous les fidèles du Monténégro ?
- Avant tout, je voudrais exprimer, au nom de Sa Sainteté le patriarche Cyrille de Moscou et de toute la Russie, au nom du plérôme de l’Église orthodoxe russe, notre soutien plein, entier et sans équivoque à l’Église orthodoxe serbe dans sa lutte pour ses sanctuaires au Monténégro. Ce qui s’y passe rappelle fort ce qui s’est produit il y a un ou deux ans en Ukraine, quand le président de l’époque, Porochenko, avait voulu fonder sa propre « église ». Il croyait qu’il suffisait de réunir les orthodoxes aux schismatiques pour avoir une Église ukrainienne indépendante de l’Église russe. Il a fait adopter des lois tendant à priver l’Église orthodoxe ukrainienne canonique de sa dénomination historique, pour la renommer en « Église orthodoxe russe en Ukraine ».
Les évènements actuels au Monténégro ressemblent beaucoup à ce qui s’est passé en Ukraine, principalement dans le fait qu’un dirigeant cherche à intervenir dans les affaires de l’Église. Pour comble, pour autant que je sache, cet homme n’appartient pas à l’Église, il n’est même pas baptisé. Ce qui ne l’empêche pas de parler de la nécessité de fonder « une église qui réunira tous les Monténégrins », comme si elle n’existait pas déjà. C’est Jésus Christ qui est le fondateur de l’Église, un président ne peut pas fonder l’Église. Nous sommes profondément convaincus que les présidents doivent s’occuper de politique, et les ecclésiastiques de leurs affaires ecclésiastiques.
La loi récemment adoptée au Monténégro, sur la libeté de confession, ouvre un vaste champ à l’arbitraire des fonctionnaires laïcs. Je me suis plusieurs fois exprimé en public à ce sujet, notamment à la télévision russe, et le président Djukanovic a envoyé l’ambassadeur du Monténégro pour m’expliquer l’a situation du point de vue des autorités monténégrines. Monsieur l’Ambassadeur m’a apporté le texte de la loi, traduit en russe. J’ai vu dans le texte que les propriétés de l’Église, bâties avant 1918, devaient, selon la loi, revenir à l’état, et un organe de l’état compétent sera chargé de décider à qui la remettre. C’est, bien évidemment, une ingérence directe dans les affaires de l’Église. La loi adoptée permet d’usurper à l’Église ses églises pour les remettre à n’importe qui, aux schismatiques, aux hétérodoxes chrétiens, et l’Église devra ensuite intenter des procès aux autorités pour reprendre ses propres biens.
Le peuple en est, évidemment, indigné. Des milliers, des dizaines de milliers de personnes descendent ces jours-ci dans les rues. J’aimerais prévenir les autorités du Monténégro qu’il ne faut pas aller contre la volonté du peuple, il ne le pardonne pas.
- L’Église orthodoxe serbe est inquiète de la situation en Macédoine du Nord, où il existe aussi des problèmes au niveau de l’Église. Le patriarche Bartholomée a invité à une consultation des représentants de l’Église serbe et des représentants d’une structure schismatique de Macédoine du Nord. Compte tenu de ce qui se passe actuellement dans les relations entre Églises, risque-t-il de se produire en Macédoine du Nord un scénario rappelant les évènements d’Ukraine ?
- Le patriarche de Constantinople s’est imaginé qu’il avait le droit d’intervenir sur le territoire canonique des autres Églises locales, et de « résoudre » les problèmes qui y existent. C’est ainsi qu’il a déjà tenté de « résoudre » le schisme ukrainien. Les hommes politiques sur lesquels il s’est appuyés ont promis au patriarche de Constantinople que tous les évêques, canoniques et schismatiques, s’uniraient s’il accordait « l’autocéphalie à l’Ukraine » (non pas à l’Église ukrainienne, mais à l’Ukraine en tant qu’état, en tant que peuple). Ces malheureux experts l’ont assuré que Moscou retenait Kiev, mais qu’une fois qu’il y aurait un tomos, tous les évêques de l’Église canonique ukrainienne s’empresseraient de rejoindre « l’église autocéphale ».
Ce n’est pas du tout ce qui s’est produit, et l’Église orthodoxe ukrainienne canonique est restée unie, soudée autour de son primat, le béatissime métropolite Onuphre, qui est le seul chef canonique de l’Orthodoxie enUkraine, comme l’avait déclaré à qui voulait l’entendre le patriarche Bartholomée en 2016. Le fait qu’il ait ensuite changé de position, sous l’influence des politiciens, est, de notre point de vue, un crime canonique, dont il rendra compte à Dieu.
Si le patriarche Bartholomée intervient dans les rapports entre l’Église orthodoxe serbe et l’Église orthodoxe de Macédoine du Nord, on peut craindre que cette intervention amènera des résultats semblables.
- Les Églises orthodoxes russe et serbe font face à des épreuves semblables. En ce qui concerne l’Église serbe, des problèmes existent sur le territoire du Monténégro, de la Macédoine du Nord, du Kosovo et de la Métochie, de la République serbe. L’Église orthodoxe est grande, forte, elle compte de multiples hiérarques et fidèles. Que pourriez-vous dire aux pasteurs serbes, aux prêtres ?
- J’aimerais rappeler que c’est le Seigneur Jésus Christ qui est le fondateur de l’Église, dont le peuple est le gardien. Ce que nous voyons aujourd’hui au Monténégro, alors que des dizaines de milliers de gens descendent dans les rues, le confirme : le peuple est le gardien de l’Église. Le peuple ne laissera pas faire de mal à l’Église, les représentants de l’autorité publique qui vont contre le peuple et contre l’Église risquent de mal finir.
Aux fidèles orthodoxes de l’Église orthodoxe serbe, vivant dans différents pays, j’aimerais adresser un appel à ne pas craindre les autorités civiles, m’appuyant sur notre expérience : ils ne peuvent pas détruire l’Église. Ils peuvent lui faire du mal, tenter de l’anéantir, comme cela s’est fait pendant 70 ans en Union Soviétique, sous le régime athée. Mais même après toutes les persécutions, l’Église a tenu bon, elle est sortie plus forte, elle est aujourd’hui une force spirituelle et morale puissante, qui soude spirituellement les peuples de l’espace canonique de la Sainte Russie, c’est-à-dire non seulement la Russie, mais aussi l’Ukraine, la Biélorussie, la Moldavie, les Pays Baltes, l’Asie centrale et les millions de personnes de la diaspora : tous sont soudés par l’Église orthodoxe russe, qui existe par-delà les frontières.
- A votre avis, est-il possible que l’organisme antique de l’Église retrouve la paix, la concorde et la charité fraternelle ? Je pense surtout aux rapports du Patriarcat de Constantinople, de l’Église orthodoxe russe et de toutes les autres Églises locales qui ont été entraînées dans cette situation.
- Actuellement, le patriarche de Constantinople n’a pas intérêt à ce que les problèmes causés par ses démarches anti-canoniques soient discutés au niveau interorthodoxe. C’est pourquoi, tout en déclarant que lui seul peut convoquer des conférences interorthodoxes, le patriarche Bartholomée se garde d’en convoquer.
Le patriarche Théophile de Jérusalem a pris l’initiative d’une conférence interorthodoxe : il a invité en Jordanie tous les chefs des Églises orthodoxes locales reconnues de tous. Mais le patriarche Bartholomée a répondu par une lettre très dure, dans laquelle il accusait, d’une part, le primat de l’Église orthodoxe de Jérusalem d’utiliser l’anglais dans sa correspondance, d’autre part, de s’arroger des droits qui n’appartiennent, soi-disant, qu’au patriarche de Constantinople. Or, je me souviens bien qu’en 2000, le défunt patriarche Diodore de Jérusalem avait invité tous les chefs des Églises orthodoxes en Terre Sainte pour célébrer les 2000 ans de la Nativité du Christ. Cela n’avait soulevé aucune protestation des participants, y compris du patriarche de Constantinople, qui avait présidé la solennité. Et aujourd’hui nous devrions croire que seul le patriarche de Constantinople a le droit et la prérogative de convoquer des rencontres interorthodoxes !
Dans un contexte où le patriarche de Constantinople s’est lui-même mis à l’écart comme centre de gravité du monde orthodoxe, il va de soi que les Églises orthodoxes locales cherchent d’autres moyens de dialoguer et de discuter de leurs problèmes.
- Je vous remercie du temps que vous avez consacré à cet entretien. Que voudriez-vous dire aux fidèles de l’Église orthodoxe serbe ?
- Restez fidèles au Christ, restez fidèles à votre Église et ne craignez rien.