Le métropolite Hilarion : L’absence de certaines Églises à Amman ne diminue pas l’importance de cette rencontre
A la veille de la rencontre de chefs et de représentants des Églises orthodoxes locales dans la capitale jordanienne, le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou, a expliqué au portail « interfax-religion » sous quelle forme aura lieu ce forum.
- Monseigneur, qu’attendez-vous de la rencontre d’Amman ?
- Nous attendons une discussion fraternelle entre les chefs et les représentants des Églises orthodoxes locales sur les questions qui inquiètent aujourd’hui le monde orthodoxe ? Ces questions sont nombreuses, et les tentatives de présenter les choses comme si elles étaient en cours de résolution ou déjà résolues ne peuvent qu’induire en erreur.
Ainsi, par exemple, le Patriarcat de Constantinople affirme avoir déjà « résolu » le problème du schisme ukrainien. Mais on ne peut guérir un schisme simplement en légitimant des schismatiques, sans pénitence ni réordination de ceux qui se disent hiérarques sans que leur ordination soit valide.
Dans l’Église orthodoxe, on ne peut considérer comme évêque que quelqu’un qui a été consacré par deux ou plus évêques, en ayant le droit. La « hiérarchie » actuelle de « l’église orthodoxe d’Ukraine », ce sont des gens qui n’ont pas été caniquement ordonnés. L’un deux, par exemple, a été consacré par deux personnes interdites de célébration dans l’Église russe et par un imposteur, qui se fait passer tantôt pour un évêque orthodoxe, tantôt pour un évêque uniate, tantôt pour un pasteur anglican, mais qui n’a, en réalité, rien reçu de plus qu’une ordination diaconale. Les personnes ayant ordonnés de cette façon sont dites « autoconsacrées ». Or, le patriarche Bartholomée, sans avoir le moins du monde étudié la question, sur la base de documents falsifiés que lui ont fournis les schismatiques, les a reçus dans la communion sans pénitence, sans réordination, les « rétablissant » dans un rang qu’ils n’avaient jamais eu dans les faits.
Il y a eu de nombreuses autres violations de procédure dans l’octroi de « l’autocéphalie à l’Ukraine », comme on s’exprime au Patriarcat de Constantinople. La principale d’entre elles est que l’autocéphalie a été accordée à un groupe de schismatiques contre la volonté de l’Église ukrainienne canonique, qui rassemble des dizaines de milliers de paroisses, plus de deux cent cinquante monastères et des millions de fidèles. Elle n’a pas demandé l’autocéphalie, mais on a voulu la lui imposer. Lorsqu’elle a refusé, le tomos a été remis à un groupe alternatif.
- Le métropolite Onuphre participera-t-il à la rencontre ?
- Oui.
- Ne craignez-vous pas que l’absence de plusieurs Églises locales à Amman affaiblisse l’autorité de cette rencontre ?
- Nous sommes prêts à discuter des problèmes interorthodoxes sous n’importe quelle forme de dialogue : bilatéral, trilatéral, multilatéral. Le patriarche de Jérusalem a invité toutes les Églises locales reconnues à y participer. Certains ont répondu à l’appel, d’autres ont refusé. Tout le monde n’est pas allé non plus au Concile de Crète convoqué par le patriarche de Constantinople en 2016. Ici, il ne s’agit même pas d’un concile panorthodoxe, ni même de ce qu’on s’est mis à appeler ces dernières années une « synaxe », c’est-à-dire une rencontre officielle des primats. Il s’agit d’une rencontre fraternelle entre ceux qui ont souhaité y participer, pour discuter des sujets qui ne sont accumulés. Quelqu’un doit bien aider les Églises orthodoxes à trouver une issue à la crise. Aujourd’hui, c’est le patriarche de Jérusalem qui a pris pris l’initiative d’organiser une discussion.
- Le refus de participer du Patriarcat d’Antioche était-il inattendu ? Comment l’expliquez-vous ?
- En son temps, le Patriarcat d’Antioche avait refusé de participer au Concile de Crète à cause d’un conflit non régulé avec le Patriarcat de Jérusalem sur la question de la présence ecclésiale au Qatar. La même raison est invoquée dans le communiqué du Patriarcat d’Antioche, annonçant son refus de participer à la rencontre d’Amman. Pour autant que nous sachions, ces derniers jours, des négociations ont été menées entre Antioche et Jérusalem à ce propos, mais, visiblement, ils ne sont pas parvenus à un plein accord.
- Et comment expliquez-vous le refus des Églises bulgare et géorgienne ?
- Encore une fois, ce sont deux Églises qui avaient refusé de participer au Concile de Crète, et chacune avait ses raisons. Le patriarche de Géorgie a, notamment, motivé son refus en assurant que les problèmes devaient être résolus au niveau panorthodoxe, c’est-à-dire avec la participation de toutes les Églises.
L’absence de certaines Églises à Amman ne diminue pas l’importance de cette rencontre. A l’époque où quatre Églises avaient annoncé leur refus de participer au Concile de Crète, le patriarche Bartholomée l’avait maintenu malgré tout, et les décisions de ce Concile sont considérées comme obligatoires pour les Églises y ayant pris part. Il n’est pas prévu de prendre des décisions à Amman. Cette rencontre n’a pas pour objet de prendre des décisions, de discuter fraternellement des problèmes en présence et des moyens de sortir de la crise.
Espérons que la rencontre d’Amman sera le début d’un processus de discussion des problèmes panorthodoxes, auquel s’adjoindront ensuite d’autres Églises.
- En dehors de la question ukrainienne, quels problèmes seront soulevés ?
- Je pense que l’Église serbe voudra parler de la situation au Monténégro, dont les autorités ont adopté une loi discriminatoire, leur permettant de s’approprier les biens de l’Église canonique pour les remettre à d’autres structures. On discutera aussi peut-être de la situation en Macédoine du Nord.
Par ailleurs, il y a des sujets qui doivent être abordés au niveau panorthodoxe, mais qui ont été retiré de l’ordre du jour du Concile de Crète avant même sa convocation. Il s’agit, notamment, de savoir qui a le droit d’octroyer l’autocéphalie et dans quelles circonstances. Durant le processus préconciliaire, les Églises étaient parvenues à un accord de principe, suivant lequel l’autocéphalie ne pourrait, à l’avenir, être proclamée qu’avec l’accord de toutes les Églises locales reconnues. Mais Constantinople a d’abord obtenu le retrait de cette question, et déclare désormais que l’accord en question n’avait pas de valeur ; il s’attribue le droit arbitraire d’intervenir dans les affaires d’autres Églises, de redessiner leurs frontières, d’accorder l’autocéphalie à qui bon lui semble, y compris à des schismatiques n’ayant pas seulement été canoniquement ordonnés.
Nous sommes confrontés à une situation inouïe, provoquée par les actes d’un des primats. Il se prend pour « le premier sans égaux », affirme avoir le droit d’agir arbitrairement, sans l’accord des autres Églises. Dans ce contexte, les primats et les représentants des Églises locales ont de quoi discuter et à quoi réfléchir.