Le métropolite Hilarion : L’Église a une grande expérience des épidémies
E.Gratcheva : Bonjour ! Vous regardez l’émission « l’Église et le monde », nous nous entretenons avec le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou. Bonjour, Monseigneur.
Le métropolite Hilarion : Bonjour, Ekaterina ! Chers frères et sœurs, bonjour.
E.Gratcheva : D’après ce que je sais, le Saint-Synode s’est réuni le 11 mars, et l’un des sujets abordés a été la diffusion du coronavirus dans le monde entier. De quoi avez-vous parlé exactement ? Je sais que vous avez aussi enregistré une vidéo consacrée à ce thème sur Youtube. Que contient-elle ?
Le métropolite Hilarion : La diffusion du coronavirus est un évènement qui peut ne peut laisser l’Église indifférente, qui ne peut laisser indifférents les membres du Saint-Synode. Nous en avons longuement parlé. Différentes opinions ont été exprimées, et les principaux éléments de notre discussion se reflètent dans la déclaration du Synode, publiée à la suite de la réunion.
Nous avons d’abord exprimé nos condoléances aux familles et aux proches des victimes du coronavirus en Chine, en Italie, en Corée et dans d’autres pays où il se répand aujourd’hui. Nous avons aussi exprimé notre gratitude aux médecins qui se donnent sans compter pour lutter contre ce nouveau défi. Nous avons appelé les fidèles à ne pas se laisser envahir par la panique, car la panique n’aide jamais ; en même temps, nous avons invité les croyants à respecter les mesures d’hygiènes proposées par le personnel médical.
Nous avons dit que là où l’infection se répandra, nous pourrons prendre des mesures supplémentaires, notamment sur la conduite à tenir pour les paroissiens : par exemple, utilisation de verres jetables pour la boisson servie après la communion, port de masque pendant les offices. Nous avons donc cherché à analyser la situation telle qu’elle se présente aujourd’hui, comprenant qu’il est essentiel qu’il n’y ait pas de panique autour de ce virus, qui s’est, effectivement, largement diffusé dans certains endroits. En Italie, les universités et les écoles sont fermées, les autorités ont aussi provisoirement fermé certaines églises. Dans d’autres pays, il n’a pas pris, et nous espérons qu’il ne se répandra pas. Nous appelons toute l’Église à prier pour que cette menace s’éloigne au plus tôt de l’humanité.
Quant à la vidéo que j’ai enregistrée pour Youtube, elle s’adresse aux orthodoxes et concerne les mesures de prudence à suivre. Par exemple, limiter le nombre de ses déplacements à l’étranger, se plier aux instructions qui ont été données à la population de Moscou sur le confinement des personnes revenant de l’étranger. J’ai aussi dit que si vous ressentez des signes de maladie, ne venez pas à l’église, ne contaminez pas les autres. Ce sont des conseils très simples, et j’espère qu’ils aideront.
E.Gratcheva : En Lituanie, par exemple, à cause du coronavirus, l’Église catholique a apporté des modifications à la messe traditionnelle : on a renoncé à l‘eau bénite, les paroissiens ne baisent pas la croix. A votre avis, puisque l’Église orthodoxe russe a une énorme quantité de paroisses dans tout le pays, et que toutes le peuvent pas fournir des cuillers en plastique ou des verres jetables pour chaque liturgie, que doit-on faire ? Est-ce une simple recommandation donnée aux paroisses, ou des sanctions sont-elles prévues si ces normes ne sont pas respectées ?
Le métropolite Hilarion : Je pense qu’il est trop tôt pour en parler, parce que, grâce à Dieu, il n’y a pas d’épidémie de coronavirus en Russie, et nous espérons qu’il n’y en aura pas. Aujourd’hui, les autorités de nos capitales, Moscou et Saint-Pétersbourg, ont pris des mesures d’urgence afin d’empêcher la diffusion du virus, car Moscou et Saint-Pétersbourg sont les deux villes par lesquelles s’effectue, principalement, le transit des passagers depuis l’étranger.
Si le coronavirus se répand dans ces régions ou dans d’autres, l’Église dispose d’une expérience suffisamment riche sur la conduite à tenir pendant les épidémies. Dans le « Livre de chevet du ministre du culte », de S. V. Boulgakov, publié au début du XXe siècle et réédité à notre époque, tout un chapitre est consacré à la communion des nourrissons malades ; l’auteur y décrit en détail les mesures à prendre pour empêcher la transmission des maladies infectieuses d’un paroissien à l’autre. Donc des mesures semblables seront prises. Par exemple, lorsque les paroissiens baisent une icône, encastrée dans un cadre de verre, on essuie en général le verre avec un linge imbibé d’alcool après chaque paroissien. La déclaration du Synode a mentionné les verres jetables pour la « zapivka ». Effectivement, toutes les paroisses ne peuvent pas se le permettre, mais je pense que si cela devient nécessaire, l’Église prendra des mesures extraordinaires.
E.Gratcheva : Peut-on dire qu’en cas de diffusion sérieuse du virus en ville ou dans un village, la célébration de la Divine liturgie sera annulée ?
Le métropolite Hilarion : Je peux vous assurer que nous ne fermerons pas les églises, que nous n’annulerons pas les offices. Quant à savoir qui viendra aux offices dans ces conditions, comment les paroissiens devront se conduire, ce qu’ils diront aux prêtres, comment préserver les gens de la transmission du virus, ce sont des questions auxquelles l’Église répondra dans chaque cas concret, en fonction du niveau de danger, et, bien sûr, en tenant compte des directives des autorités municipales et du personnel médical professionnel. L’Église ne restera pas indifférente à la situation, l’Église se préoccupe toujours non seulement de la santé spirituelle, mais aussi de la santé physique de ses membres.
E.Gratcheva : Il n’est donc pas exclu que si quelqu’un montre des signes de maladie, par exemple une toux sèche, de la fièvre, on pourra vérifier ce qu’il en est avant qu’il entre à l’église ?
Le métropolite Hilarion : On ne peut pas l’exclure, mais j’ai déjà appelé, pour ma part, les fidèles à ne pas venir à l’église s’ils sont enrhumés, afin de ne pas contaminer les autres. Cette mesure me paraît tout à fait adaptée. Beaucoup croient qu’il vaut mieux surmonter un rhume debout, les gens viennent souvent malades au travail ou à l’église. Ils éternuent, ils toussent, ils contaminent les autres, et là je ne parle pas du coronavirus, je parle des rhumes ordinaires. Je ne sais pas pourquoi, mais certains mettent un point d’honneur à rester debout lorsqu’ils ont la grippe ou un rhume, alors que cela peut avoir des conséquences graves non seulement pour le malade lui-même, mais aussi pour son entourage. Il faut donc renoncer à ce genre de stéréotypes, et si vous êtes malades, restez chez vous, buvez de la tisane, mangez de la confiture de framboise et attendez que ça passe, sans risquer la santé de ceux qui vous entourent.
E.Gratcheva : Le pire étant qu’il y a des formes de coronavirus qui ne donnent aucun symptôme : l’enfant moscovite de six ans qui a transmis le virus à son entourage, n’avait pas de symptômes de la maladie. Que pensez-vous, le sachant, du conseil donné par le pape François, ne pas se détourner des personnes âgées et, pour les médecins qui travaillent avec les personnes touchées par le virus, de leur rendre visite le plus possible ?
Le métropolite Hilarion : De façon générale, l’Église ne se détourne jamais de quiconque, l’Église se tourne vers tous les hommes, qu’ils soient malades ou bien-portants, vieux ou jeunes. Des prêtres assurent leur service en prison, dans les hôpitaux, ils visitent les malades infectieux, ils n’ont pas peur de la contagion, mais, si besoin, ils observent des mesures de prudence, en portant un masque, par exemple.
Les prêtres continueront bien sûr à visiter les malades, y compris ceux qui sont touchés par le virus, à leur demande. L’Église n’abandonne jamais personne dans le malheur.
E.Gratcheva : Les agences d’information russes affirment qu’à cause de l’épidémie, la cérémonie de descente du feu sacré, à Jérusalem, est remise en question. On se demande, naturellement, comment une maladie terrestre peut empêcher l’action de la grâce, la descente du Feu ?
Le métropolite Hilarion : Une maladie terrestre ne peut pas empêcher l’action de la grâce, mais elle peut affecter les gens qui viendront ou ne viendront pas à l’office. On peut s’attendre à ce qu’au moment de la descente du Feu sacré (il reste encore cinq semaines), le virus se répande sur le territoire d’Israël, et qu’il y aura moins de monde que d’habitude. Si l’infection recule, alors il y aura autant de gens qu’à l’ordinaire.
Chaque Église locale réagit à ce qui se passe, l’Église orthodoxe de Jérusalem comme les autres. C’est pourquoi nous espérons, et nous prions pour que cette menace, qui nous frappe si inopinément, s’éloigne le plus vite possible, pour que la vie reprenne son cours normal.
Le coronavirus paralyse la vie des gens, paralyse l’économie de nombreux pays. Les gens ne peuvent plus se réunir pour des conférences ou des réunions d’affaires, les déplacements à l’étranger sont annulés, dans certains pays, comme en France ou en Suisse, les voyages à l’intérieur sont même interdits, beaucoup travaillent de chez eux. Cela aura des conséquences extrêmement négatives sur l’économie, mais les décisions que prennent les autorités de ces pays s’expliquent tout à fait, parce qu’on fait le maximum pour empêcher la diffusion du virus.
E.Gratcheva : Que pensez-vous, personnellement, de la théorie conspirationniste, qui veut que le virus ait été volontairement apporté par un pays intéressé pour faire vaciller l’économie de la Chine, par exemple, et d’autres pays.
Le métropolite Hilarion : Je ne crois pas à ces théories. Bien plus, j’attirerais l’attention sur le fait qu’il y a beaucoup d’autres maladies dont les gens meurent en grande quantité, et dont on ne parle presque pas. Le SIDA, par exemple, qui représente une menace pour l’humanité. Dans notre pays, suivant des données récentes, déjà plus d’un million de personnes sont porteurs de la maladie. Je pense que si le coronavirus a une telle résonnance, c’est parce qu’il est nouveau, parce qu’il n’y a pas de vaccin contre lui, et parce qu’il se répand rapidement, cela effraie. Il existe tant de virus et de menaces pour la santé, ce ne sont pas les théories conspirationnistes qui permettent de lutter contre eux, mais les mesures de prévention.
Pour en revenir au coronavirus, je pense que chacun de nous doit se préoccuper de choses très simples : prendre des mesures d’hygiène qui, si elles ne protègent pas complètement, diminuent fortement le risque de contagion. Quelles mesures ? Se laver les mains avec du savon en rentrant du travail, de dehors, avant de manger. Ne pas se toucher les yeux, le nez, la bouche sans s’être lavé les mains, observer les autres mesures d’hygiène générales. Ne pas sortir, ne pas aller au travail si vous êtes malade. Ne pas partir pour des pays où le virus s’est largement répandu. Je pense que ces mesures d’hygiène permettront à chacun de faire barrage au risque de contagion au coronavirus.
E.Gratcheva : Merci, Monseigneur, de cet entretien.
Le métropolite Hilarion : Merci, Ekaterina.
Dans la seconde partie de l’émission, le métropolite Hilarion a répondu aux questions posées par les téléspectateurs sur le site du programme « l’Église et le monde ».
Question : Comment sait-on que Jésus a existé ? Peut-être n’est-il qu’un personnage littéraire ? Dans le roman « Le Maître et Marguerite », on affirme que Jésus Christ n’a jamais existé, que tous les récits le concernant ne sont que des inventions, un mythe comme les autres.
Le métropolite Hilarion : « Le Maître et Marguerite » a été écrit à l’époque de la propagande athée, déclenchée par le régime soviétique. Dans son livre, Boulgakov met ces idées sur les lèvres d’un de ces héros, sans pour autant les partager, visiblement. Il reproduit ainsi ce qu’on appelle la théorie mythologique de l’origine du christianisme, formulée en Allemagne au XIXe siècle, qui a beaucoup été reprise par les nazis, car elle soutenait l’idéologie du Troisième Reich.
La vie d’aucun autre héros de l’histoire antique n’est si bien documentée que celle de Jésus Christ. Citons d’abord le nombre de manuscrits de l’Évangile. Il y a quatre Évangiles, qui racontent tous la même histoire, chacun à sa manière. Le récit est rédigé de telle façon qu’il est clair que les auteurs ne s’étaient pas entendus entre eux. Ce sont quatre auteurs différents, qui racontent la même histoire. La science dispose de plus de cinq mille manuscrits du texte de l’Évangile. Aucune source antique n’a été autant copiée. Les plus anciens manuscrits de l’Évangile remontent au IIe siècle, quelques décennies seulement les séparent de l’époque de Jésus Christ.
Le texte de l’Évangile situe précisément Jésus Christ dans le temps et dans l’espace. Les dates de Son ministère sont indiquées, on précise quels étaient les dirigeants de l’époque, qui était empereur, qui était proconsul de Judée, qui était roi. Ces personnages historiques sont connus par d’autres sources. De même, le récit évangélique se développe dans un cadre géographique très concret, les villes mentionnées par les évangélistes – Capharnaüm, Bethléem, Jérusalem, Béthanie – sont connues, elles existent encore aujourd’hui.
Jésus Christ est mentionné par Joseph Flavius et par d’autres historiens romains. Il n’y a donc aucun doute sur l’historicité de son existence. Je le répète : on n’a jamais écrit autant de biographies sur aucun autre héros de l’Antiquité, et rien ne permet de mettre en doute l’existence de Jésus Christ.
Question : L’Église condamne l’avortement. Mais la femme n’a-t-elle pas le droit de disposer de son corps ?
Le métropolite Hilarion : La femme a le droit de disposer de son corps, mais dès qu’un embryon apparaît dans ce corps, il s’agit déjà d’un autre être vivant, qui a autant le droit de vivre que nous. Nous avons reçu ce droit, pourquoi en priverions-nous les autres ?
L’avortement est souvent envisagé exclusivement du point de vue de la femme, de son confort, de sa santé, de son bien-être, ou bien du point de vue du couple, qui peut se dire qu’il n’est pas prêt à avoir un enfant et refuse de le laisser naître. Mais, envisageant le problème du point de vue de l’enfant à naître, posons-nous la question : qu’aurions-nous répondu si l’on nous avait laissé le choix ?
L’Église n’a jamais varié sur l’avortement, qu’elle considère comme un meurtre, comme un péché gravissime. L’Église ne fait pas de différence entre l’homme à naître et l’homme né, tout homme a droit à la vie. Certes, il y a des circonstances exceptionnelles, comme une menace sérieuse pour la vie de la mère ou autres, qui obligent les médecins à prendre certaines décisions, mais, pour l’Église, aucune circonstance ne peut complètement justifier un avortement. Sont responsables de ce péché non seulement la femme, qui a avorté, mais tous ceux qui l’y ont incitée, dont les médecins.
Malheureusement, les médecins proposent souvent l’avortement aux femmes, comme moyen de se débarasser de problèmes vrais ou imaginaires. En tant que membre du clergé, je connais des cas de femmes s’étant adressées aux médecins pour se faire aider dans leur grossesse, auxquelles on a assuré qu’elles auraient un enfant malade, trisomique, qu’on a effrayées et incitées à avorter. La femme, affolée, désespérée, vient voir le prêtre, et ensuite, dans tous les cas que je connais, met au monde un enfant en parfaite santé. Pour des raisons inconnues, les médecins incitent parfois les femmes à avorter.
Je tiens à rappeler qu’en dehors des conséquences spirituelles, l’avortement a aussi des conséquences physiques, dans bien des cas la femme ne peut plus avoir d’enfant, et elle vient voir les médecins, les prêtres. Je dois dire que, malheureusement, l’avortement est l’un des péchés les plus répandus chez les femmes, dont elles parlent le plus en confession. C’est un péché terrible, qu’on peut assimiler à un meurtre, et j’espère que nos femmes orthodoxes ne commettront jamais ce péché extrêmement grave.
Je terminerai cette émission en citant saint Jean le Théologien : « Aucun meurtrier n’a la vie éternelle demeurant en lui » (I Jn 3,15).
Que le Seigneur vous garde !