Le métropolite Hilarion : Si vous n’avez pas peur de la contagion, pensez aux autres
Des milliers de prêtres, des millions de fidèles se retrouvent dans une situation particulièrement difficile, provoquée par la pandémie de coronavirus, qui s’est déclenchée pendant la période du Grand Carême, temps de préparation à la principale fête chrétienne, Pâques (cette année le 19 avril). Comment la propagation de la maladie influe-t-elle sur la vie du monde orthodoxe, des Églises orientales, des catholiques, des protestants et des croyants d’autres confessions ? A quoi doit-on s’attendre, comment agir dans la situation actuelle, comment doivent se comporter les personnes âgées ? Les mesures de précaution sanitaire à l’égard de l’Église orthodoxe russe peuvent-elles être durcies ? Peut-elle fermer ses églises ou entrera-t-elle en conflit avec les autorités ? Est-elle prête à fêter la Résurrection du Christ sans le feu sacré, en ligne ? Le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou s’est exprimé sur ces questions et sur d’autres dans une interview à RIA-Novosti.
Situation dans le monde
- Monseigneur, quelles sont les conséquences de l’épidémie de coronavirus sur la vie des orthodoxes dans différents pays du monde ?
- Elles sont très sérieuses. En Italie, en France, dans différents pays d’Europe, les églises orthodoxes sont fermées, les offices annulés. Dans certains endroits, les offices se poursuivent, mais avec un nombre limité de paroissiens.
Afin d’empêcher la propagation du coronavirus, l’Archevêché de Chypre a publié une déclaration, invitant les fidèles à s’abstenir d’assister aux offices à l’église et de communier pendant trois semaines, recommandant de suivre les offices à la radio ou à la télévision.
Dans l’Église grecque, les offices sont supprimés. Il y a quelques jours, un métropolite grec a failli être arrêté parce qu’il célébrait devant des fidèles.
Au cours d’une séance extraordinaire, l’Église orthodoxe en Amérique a publié un message synodal sur l’épidémie de coronavirus, après avoir consulté des experts médicaux. Les évêques diocésains sont invités à tenir compte dans leur pastorale de la position des autorités civiles et à prendre, en coordination avec le Synode, des décisions autonomes sur la limitation du nombre de participants aux offices, sur la réduction du nombre de services liturgiques ou sur leur suppression temporaire (au cas où les autorités civiles prendraient cette décision). Les monastères n’accueillent plus de pèlerins jusqu’au 1er avril. Le Saint-Synode réexaminera la situation fin mars.
Je n’ai fait que citer quelques exemples. Toutes les Églises orthodoxes locales ont réagi avec plus ou moins de force à l’épidémie.
- Quelles décisions prennent les Églises orientales antiques ?
- Dans l’Église copte, sur le territoire égyptien, toutes les églises paroissiales sont fermées jusqu’au 5 avril : on n’y célèbre aucun office, à l’exception des funérailles auxquelles ne peuvent assister que les membres de la famille des défunts.
Jusqu’au 9 avril, les églises de l’Église apostolique arménienne ne seront ouvertes que « pour les visites individuelles et la prière personnelle des fidèles » ; durant toute cette période, on pratique la célébration de « la Liturgie sans fidèles », seul le clergé officiant étant présent.
Dans les paroisses de l’Église assyrienne d’Orient, sur le territoire des États-Unis, les offices en présence de fidèles sont annulés, la communion des laïcs dans les églises est interdite jusqu’au 12 avril inclus (or, ils fêtent Pâques le 12 avril). Des restrictions simitaires concerne les communautés assyriennes d’Italie et d’autres pays d’Europe occidentale en état de crise.
- Où la situation est-elle la pire en Europe ?
- En Italie. Plus de 50 000 personnes sont contaminées, plusieurs en sont mortes. Le pays est en situation de quarantaine stricte, il est interdit de sortir en ville, les rues sont vides, les gens restent chez eux. Tous les offices ont été annulés, y compris dans les églises orthodoxes. La police patrouille les villes. Les personnes attroupées devant les églises, même si elles sont peu nombreuses, sont immédiatement interrogées par la police.
A Bergamo, les crématoriums travaillent jour et nuit, on entend presque toute la journée les rugissements des sirènes des voitures d’ambulance et le glas. L’hôpital est débordé et n’arrive pas à faire face à la quantité de malades et de mourants.
- Quelle est la situation à Rome ? Que fait le Vatican ?
- Toutes les églises romaines sont fermées aux visites et à la prière jusqu’au 3 avril. Pour lutter contre le coronavirus, le Vatican a interdit aux touristes l’accès à la basilique et à la place Saint-Pierre.
Cette année, au Vatican, les offices de Pâques ne seront pas publics, est-il précisé dans une déclaration de la préfecture de la Maison pontificale. A cause de la situation d’urgence médicale et sanitaire, tous les offices liturgiques de la Semaine sainte seront également célébrés au Vatican sans la participation des fidèles.
- Que savez-vous des autres mesures de précaution prises par les autres églises chrétiennes ?
- Presque toutes les églises chrétiennes d’Europe ont pris des mesures.
L’archevêque de Canterbury et l’archevêque d’York ont publié le 17 mars une lettre, annonçant que les prêtres de l’Église d’Angleterre devaient cesser la célébration quotidienne des offices en public. Les prêtres peuvent continuer à servir la messe et doivent s’efforcer de diffuser les offices dominicaux en temps réel sur internet ; cependant, les églises anglicanes restent ouvertes à la prière personnelle.
Les méthodistes britanniques ont suivi l’exemple de l’Église d’Angleterre. Auparavant, celle-ci avait publié une déclaration sur la propagation du coronavirus. Le texte publié appelle à ne employer le même calice pour la communion, à ne pas échanger de poignées de main lors du traditionnel « baiser de paix ».
- Et en Ukraine, quelle est la situation ? Comment réagit l’Église orthodoxe ukrainienne canonique ?
- Lors de la dernière séance du Saint-Synode de l’Église orthodoxe ukrainienne, un message a été rédigé, qui contient des recommandations adressées aux fidèles : rester calmes, ne pas céder à la panique ; prier avec ardeur (le texte d’une prière et de demandes d’intercession pour l’ecténie instante) ; être attentif aux décisions et aux recommandations des autorités. Il est recommandé aux évêques diocésains, en cas d’aggravation de la situation, de coordonner les mesures à prendre avec le primat de l’Église orthodoxe ukrainienne.
On constate que les églises restent ouvertes, tous les offices y seront célébrés, ainsi que des offices d’intercession avec bénédiction de l’eau et sonneries de cloches en cette période d’épidémie. La communion et la confession sont autorisées toute la journée, par groupes de dix personnes ; les offices en plein air ont aussi été autorisés pour éviter la concentration de personnes dans un lieu clos.
- Où en est-on en Syrie ? Les projets humanitaires de l’Église orthodoxe russe se poursuivent-ils, la coopération avec les musulmans du pays ?
- Tous nos projets humanitaires fonctionnent, la coopération aussi, mais les contacts personnels sont complexifiés. Comme beaucoup d’autres pays, la Syrie a fermé ses frontières.
L’Église russe
- Quelles mesures prend l’Église orthodoxe russe pour prévenir la propagation de la maladie dans les pays placés sous sa responsabilité canonique ?
- Les mesures diffèrent en fonction des pays, suivant la situation épidémiologique et les prescriptions des autorités.
En même temps, le Saint-Synode a approuvé et publié des Instructions, le 17 mars. Elles prescrivent de respecter strictement les mesures hygiéniques et sanitaires. Notamment, pendant la communion, on essuie la cuillère dans un linge imbibé d’alcool, puis on la rince ; la boisson servie après la communion est donné à chaque communiant dans des verres jetables, des gants hygiéniques à usage unique sont utilisés pour la distribution de l’antidore, les communiants s’essuient les lèvres avec une serviette en papier. Il leur est prescrit de s’abstenir de baiser le calice.
- Comment ont réagi les paroisses, les fidèles aux dernières décisions du Synode, à ces instructions, à l’adoption de mesures concrètes ?
- Dans l’ensemble, les gens réagissent positivement, avec gratitude et avec calme.
Mais il y en a qui cherchent à profiter de la situation pour, comme on dit, faire chavirer la barque, rendre les gens méfiants envers la hiérarchie. Un diacre a écrit récemment : « On a envie de demander à nos hiérarques : pour combien vendez-vous la liberté de l’Église aussi rapidement, sans livrer combat, sous la sauce humaniste de « la sollicitude envers le prochain » Pour les orthodoxes, il est évident qu’aucune infection ne peut être transmise par la communion. Penser autrement est sacrilège. »
J’aimerais répéter ce que l’Église a déjà beaucoup dit ces derniers jours : nous croyons fermement qu’aucune infection ne peut passer par les Saints Dons. Le Corps et le Sang du Christ sont reçus par les fidèles « pour la guérison de l’âme et du corps », ils sont eux-mêmes une source de guérison. Mais le calice et la cuiller de la communion sont des objets qui ne sont pas protégés des bactéries et des virus. C’est pour cette raison que nous prenons des mesures de désinfection. Il faut le prendre avec humilité et avec calme.
Ceux qui brandissent leur Orthodoxie, disent fièrement que « les confesseurs de la foi n’iront pas en quarantaine » ne se conduisent pas de façon évangélique, mais comme des pharisiens. Ils utilisent la crise pour se mettre en avant : regardez, je ne suis pas comme les autres gens, je suis un confesseur de la foi, pas comme le patriarche et tous ces hiérarques. C’est une conduite irresponsable et égoïste. Si vous n’avez pas peur d’être contaminés, pensez aux autres.
Ces gens-là ne se laisseront pas convaincre, mais je m’adresse à ceux qui, sous l’influence de ces prédicateurs, peuvent se laisser entraîner. Croyez-moi, chers amis, le patriarche et le Saint-Synode ne connaissent pas moins que nos zélotes de malheur la Sainte Tradition de l’Église. En préparant les Instructions, nous avons étudié les précédents. Ce n’est pas la première fois que l’Église est confrontée à une épidémie.
- Que prescrivait-elle lors des précédentes épidémies ? En a-t-on tenu compte ?
- Il y a un livre qui s’appelle le « Pédalion. Canons de l’Église orthodoxes et commentaires ». Son auteur est saint Nicodème l’Hagiorite. Voilà ce qu’il écrit dans son commentaire sur le 28e canon du VIe Concile œcuménique : « Pendant la peste, les prêtres et les hiérarques doivent s’en tenir au moyen suivant pour la communion des malades... Ils doivent déposer le Saint Pain... dans un vase quelconque, duquel les malades pourront le prendre à la cuiller. Le vase et la cuiller seront ensuite trempés dans du vinaigre, et le vinaigre sera vidé dans le puits du sanctuaire. » C’est de ce précédent que s’inspire la prescription d’essuyer la cuiller après chaque communiant dans un linge imbibé d’alcool, puis de la rincer dans de l’eau. Mais nos zélotes se croient plus orthodoxes que saint Nicodème l’Hagiorite.
Quant au « Livre de chevet du ministre du culte », de Boulgakov, publié en 1900, il contient une prescription sur la communion en cas de « maladie infectieuse, par exemple la dyphtérie, la vérole, qui peuvent facilement être transmises aux autres pendant la communion par la cuiller et le linge d’autel ». On a aussi tenu compte de ces indications en rédigeant les Instructions.
- Des corrections pourront-elles être apportées à ces recommandations ?
- Oui, en fonction du développement de la situation épidémiologique.
- Pourquoi n’a-t-on pas donné de recommandations aux fidèles sur le port de masques à l’église (alors qu’il y a des recommandations sur l’emploi de gants jetables et sur la désinfection de différents produits) ?
- Le port du masque peut amoindrir le risque de transmission de l’infection. Dans certaines églises, les laïcs et les clercs en portent. Ces derniers jours, on a publié une photo de l’église orthodoxe russe de Pyongyang, où les offices ont repris après une pause provoquée par la quarantaine. Sur cette photo, le prêtre porte un masque. Si la situation s’aggrave, il est très possible qu’on se mette à en porter ailleurs.
Il se trouve, là encore, des gens prêts à ironiser à ce sujet. Un prêtre, après avoir fait son sermon, a mis une sorte de masque à gaz pour amuser ses paroissiens et démontrer le manque de sérieux de ceux qui craignent la contagion. Mais beaucoup n’ont pas envie de rire, en particulier en Italie, en Espagne, en France et en Allemagne.
- L’Église russe peut-elle interrompre l’accès des paroissiens aux monastères et aux églises, voire même les fermer au clergé en Russie, en Biélorussie, en Ukraine, si la situation épidémiologique et les autorités l’exigent ? Existe-t-il des accords avec les autorités des pays relevant de la responsabilité canonique de l’Église orthodoxe russe, garantissant que les églises ne seront pas fermées quelles que soient les circonstances ?
- Il n’y en a pas, et je ne pense pas qu’il puisse y en avoir dans l’état actuel des choses. Mais l’Église n’entrera pas en conflit avec les autorités si elles exigent des mesures extraordinaires pour empêcher l’épidémie. L’Église n’est pas moins préoccupée de la santé et de la prospérité des gens que les autorités.
- Les restrictions introduites à Moscou – par exemple l’interdiction des rassemblements de plus de 50 personnes dans un même local – ne s’appliquent pas aux églises orthodoxes. Pourquoi ?
- Jusqu’à présent, les grands centres commerciaux et les autres lieux où les gens sont groupés n’ont pas été fermés, à commencer par le métro, dans les wagons duquel il y a beaucoup plus de 50 personnes dans les wagons. Si la situation s’aggrave, des restrictions supplémentaires pourront être décidées, notamment sur le nombre de fidèles dans l’église.
- Les fidèles peuvent-ils aller tranquillement en pèlerinage aux grands sanctuaires russes, comme la laure de la Trinité Saint-Serge, Optina, Divéïevo, les îles de Valaam et de Solovki ?
- Ce n’est pas le meilleur moment pour aller en pèlerinage. Mieux vaut rester chez soi et attendre que l’épidémie passe. Certains monastères, à la demande des autorités locales, ont fermé l’accès aux pèlerins.
Ces jours-ci, le métropolite Tikhon de Pskov et de Porkhov a publié une déclaration-vidéo, demandant aux fidèles de s’abstenir temporairement de venir au monastère des Grottes de Pskov. J’estime que c’est une attitude tout à fait juste et responsable, surtout comparée aux bravades irresponsables de certains prêtres.
- La pandémie peut-elle avoir des répercussions sur la vie liturgique dans les monastères et dans les paroisses, par exemple sur le nombre autorisé de fidèles ou de moines à l’office ?
- Il y a différents moyens pour limiter le nombre de personnes présentes à l’église. Par exemple, on peut célébrer deux Liturgies dominicales au lieu d’une. Il fera bientôt plus chaud, on pourra célébrer à l’extérieur. Des mesures semblables ont déjà été prises, par exemple en Ukraine.
- Peut-on communier par internet ?
- Bien sûr que non ! Mais pour les personnes âgées, pour lesquelles les risques sont particulièrement grand, et qui doivent faire l’objet de toute notre attention, un mode de communion spécial peut être envisagé. Ils peuvent regarder l’office en direct à la télévision, et le prêtre leur portera la communion à domicile.
Pâques
- Comment le monde orthodoxe vivra-t-il cette année la Semaine sainte et Pâques ? Les processions seront-elles interdites ?
- Tout dépendra du développement de la situation dans chaque région concrète.
- Apportera-t-on le feu sacré de Jérusalem ? L’Église russe est-elle prête à y renoncer pour les offices pascaux ? Que pensent les simples fidèles de ces possibles changements ?
- Nous sommes prêts à ce qu’il n’y ait pas le feu sacré aux offices de Pâques. Bien plus, pendant mille ans, l’Église russe a célébré Pâques sans le feu sacré, et les célébrations n’en étaient pas moins solennelles, pas moins joyeuses, la grâce n’en était pas moins présente.
Cependant, d’après ce que je sais, la Fondation Saint-André a fermement l’intention de ramener le feu, même s’il faut pour cela ne pas sortir de l’avion à l’arrivée en Israël. J’en parlais ces derniers jours, justement, avec le président de la Fondation, Vladimir Iakounine, qui depuis des années assure le transport du Feu sacré depuis Jérusalem pour l’Église russe.
- Les croyants, notamment les personnes âgées, pourront-ils fêter Pâques en ligne, sans communier ?
- Espérons plutôt que la crise sera passée à Pâques et qu’il n’y aura pas besoin de prendre des mesures pareilles. L’Église russe prie pour la cessation rapide de la crise à chaque liturgie, et je crois que Dieu, dans Sa miséricorde, entendra nos prières. Prions tous ensemble que le Seigneur écarte le péril.
Propos recueillis par Olga Lipitch