Le métropolite Hilarion : L’expérience de survie dans un contexte de pandémie aura beaucoup appris à l’Église
Dans son homélie de l’Annonciation, le patriarche Cyrille de Moscou et de toute la Russie a déclaré que la pandémie de coronavirus n’avait pas d’analogue dans l’histoire. Elle frappe les chrétiens pendant le Grand Carême. A la veille du dimanche des Rameaux et de la Semaine sainte, durant laquelle l’Église fait mémoire de la Passion et de la mort de Jésus Christ, le métropolite Hilarion de Volokolamsk a donné une intervieuw à l’agence TASS, expliquant comment l’Église orthodoxe russe fêterait Pâques dans le contexte de l’épidémie qui touche le monde entier, et quelles leçons tirer de l’expérience de vie et de célébration confinées.
- Monseigneur, Pâques approche, mais les mesures prises contre la propagation du coronavirus n’ont pas été levées, et le risque d’expansion de l’épidémie demeure. Comment l’Église orthodoxe russe organisera-t-elle les offices de Pâques ?
- Tout dépendra de la situation épidémiologique dans chaque pays, et, s’agissant de la Russie, dans chaque région. Dans certains pays, comme en Italie, en France, en Ukraine, les offices sont célébrées à portes closes, c’est-à-dire en l’absence des paroissiens.
Dans plusieurs régions de Russie, aucune mesure de confinement n’a été prise, puisque personne n’a été contaminé : les offices sont célébrés comme à l’ordinaire, sans aucune restriction. En même temps, les mesures sanitaires prescrites par le patriarche et par le Saint-Synode dans leurs instructions publiées à la mi-mars y sont valables : la cuiller de communion est essuyée dans un linge imbibé d’alcool après chaque communiant, la boisson servie après la communion est versée dans des verres jetables, etc.
Dans d’autres régions, où le confinement a été décrété, les pasteurs recommandent instamment aux fidèles de rester chez eux et de ne pas aller à l’office, conformément aux indications du patriarche. Pour ceux qui viennent quand même à l’église, on a tracé des délimitations sur le sol permettant de placer les paroissiens à bonne distance les uns des autres. C’est sous cette forme, probablement, qu’auront lieu les offices de Pâques dans beaucoup de villes de Russie. Les fidèles auront accès à l’église, mais en quantité limitée. Ailleurs, les offices de Pâques seront célébrés en plein air.
Enfin, dans les régions où les mesures de quarantaine seront les plus sévères, il est possible que les offices de Pâques soient célébrés derrière des portes closes. Seuls les prêtres et les employés de la paroisse seront admis à l’église, sans les paroissiens eux-mêmes.
Beaucoup de paroisses ont organisé des retransmissions en direct de leurs services religieux, afin de compenser un peu l’impossibilité de prendre pleinement part à la vie liturgique.
Plus généralement, la position de l’Église est bâtie sur trois principes. Premièrement : il faut tout faire pour sauver les vies. Cela veut dire qu’il faut observer les mesures sanitaires prises par les autorités. Deuxièmement : les services liturgiques ne seront pas interrompus, ils se poursuivront même si les fidèles (ou une partie des fidèles) ne peuvent y assister. Troisièmement : les prêtres doivent s’organiser pour rendre visite à ceux qui ne peuvent venir à l’église, notamment les personnes âgées, afin qu’ils puissent se confesser et communier.
La principale mission de l’Église est de se préoccuper des âmes humaines. Mais nous ne pouvons négliger leur santé physique. C’est pourquoi nous observons strictement les mesures prescrites par les autorités et par les services sanitaires. En même temps, l’Église ne remplit pas de fonction policière. Nous pouvons, si la situation l’exige, demander instamment aux fidèles de ne pas venir à l’église, mais nous ne pouvons pas les chasser s’ils sont venus quand même. Nous pouvons limiter le nombre de personnes assistant à chaque office concret, et, dans ce cas, ceux qui ne peuvent entrer seront forcés de chercher une autre église ou de rentrer chez eux. Mais nous ne pouvons pas fermer complètement les portes des églises, si la situation épidémiologique n’est pas suffisamment dangereuse pour exiger cette mesure extrême.
- Dans l’Église russe, la veille de Pâques, les fidèles viennent généralement faire bénir les œufs, la paskha, les koulitchs. Comment fera-t-on dans ce contexte de confinement, alors que les manifestations de masse sont toutes anulées ?
- Là encore, tout dépend de la situation épidémiologique dans chaque région concrète. Là où ce sera possible, les gens feront la queue dehors avec leurs koulitchs, en respectant une distance d’un mètre et demi, les prêtres passeront dans les rangs et béniront les œufs, la paskha et les koulitchs.
- Cette année, à Pâques, les catholiques béniront eux-mêmes leurs plats pascals. Cela pourra-t-il être autorisé aux fidèles orthodoxes dans ces circontances exceptionnelles ? Une bénédiction « en ligne » des tables pascales est-elle théoriquement envisageable ?
- Si les paroissiens ne peuvent pas venir à l’église faire bénir leurs koulitchs, leur paskha et leurs œufs, ils pourront les asperger eux-mêmes d’eau bénite. Il n’est pas prévu de bénédiction en ligne.
- Peut-être pourrait-on les bénir, puis les distribuer aux fidèles pour le jour de la fête ? Les services de bénévoles et de volontaires de l’Église pourraient-ils s’en charger, ou bien des services de livraison déjà existant ?
- Beaucoup de paroisses ont des clubs de jeunes, des associations de bénévoles qui s’efforcent de ne pas laisser les paroissiens âgés dans l’isolement. Ils portent des produits alimentaires aux personnes coupées du monde, et pourront aussi leur porter des koulitchs, des paskhas et des œufs déjà bénis.
- Depuis l’époque soviétique, la coutume veut qu’on se rende sur les tombes de ses proches le jour de Pâques et le dimanche des Rameaux. Que pense l’Église russe de cette coutume, notamment dans le contexte de l’épidémie ?
- L’ordo ecclésiasique ne prévoit pas la commémoration des défunts durant les jours de Pâques. La première commémoration des défunts a lieu le second mardi suivant le dimanche de Pâques, cette année ce sera le 28 avril. Ce jour-là, on peut venir à l’église, y faire commémorer ses défunts, puis aller au cimetière, si la situation épidémiologique le permet.
- Beaucoup de paroisses, dont la vôtre, ont organisé des retransmissions des services liturgiques en ligne. Peut-on déjà établir un premier bilan ? Cette pratique est-elle appréciée des fidèles ? Sont-ils nombreux à assister aux offices sous cette forme, et, peut-on dire qu’ils ont assisté à la liturgie ?
- Ces translations sont très demandées. Je ne donnerai pas de chiffres, je me contente de dire que le nombre de ceux qui suivent les retransmissions du dimanche et des jours de fête est largement supérieur à la capacité d’accueil des églises. Nous avons, soit dit en passant, commencé ces retransmissions des offices dominicaux et festifs bien avant le début de l’épidémie de coronavirus. Elles étaient déjà très suivies. Avec l’épidémie, nous nous sommes mis à retransmettre tous les offices, même ceux de semaine, du matin et du soir.
Assister pleinement à la liturgie suppose de communier aux Saints Mystères du Christ. Je passe ma vie à le répéter et à appeler les paroissiens à communier à chaque Liturgie. Mais suivant une tradition, remontant à avant la révolution, beaucoup communient rarement. Une grande partie des fidèles viennent à l’église « entendre la Liturgie », sans communier, parce qu’ils ne s’y sont pas préparés, ou pour d’autres raisons. Certains communient même très rarement. Il n’y a donc pas de différence substantielle entre « entendre » la liturgie à l’église, et y participer chez soi grâce aux technologies. Par contre, il est catégoriquement impossible de communier par internet. Si l’on ne peut pas venir à l’église, il faut attendre que cela soit à nouveau possible, ou bien demander à un prêtre de porter la communion à domicile.
- Vous avez mentionné la possibilité, dans des cas extrêmes, dans le contexte du confinement, de se confesser par téléphone ou par Skype. Des fidèles isolés ou malades ont-ils déjà profité de cette possibilité ?
- Je ne sais pas. J’ai évoqué cette possibilité comme convenant à des cas extrêmes. C’est mon opinion personnelle, certains ne l’approuvent pas. Si quelqu’un est mourant, veut se confesser avant de mourir, mais ne peut pas faire venir un prêtre pour une rencontre personnelle, peut-on mettre le mourant en communication avec le prêtre par téléphone, afin qu’il se confesse, et que le prêtre lui donne l’absolution par téléphone ? J’estime que oui. Certains estiment que non : mieux vaut mourir sans confession, que se confesser par téléphone.
Les canons ecclésiastiques, naturellement, ne disent rien à ce sujet, puisqu’à l’époque où ils ont été rédigés, la question ne se posait pas, le téléphone n’existant pas. Mais je m’appuie sur des précédents. Dans ses mémoires, le métropolite Benjamin (Fedtchenkov) décrit un cas s’étant produit pendant la révolution de février 1917. Le gouverneur de Tver, un homme profondément chrétien, avait vu que sa maison était entourée de rebelles. Il avait compris qu’il allait mourir. Souhaitant se confesser avant sa mort, il téléphona à l’évêque Arsène, n’ayant pas de prêtre auprès de lui. L’évêque reçut sa confession et lui donna l’absolution. Peu après, la foule se rua chez lui, le fit sortir et il fut tué à l’extérieur.
Je sais qu’à l’époque soviétique certains prêtres confessaient par téléphone s’il était absoluement impossible de rencontrer personnellement le pénitent.
- L’utilisation forcée des technologies dans la pratique pastorale, notamment pendant les offices ou pour le sacrement de confession, est une sérieuse expérience. Peut-on s’attendre par la suite à une réflexion théologique de l’Église à ce sujet, au Concile épiscopal ou dans le cadre de la Conférence interconciliaire, éventuellement à des recommandations qui seraient ajoutées au document sur la mission ?
- Cela me semble possible. Je pense que l’expérience de survie dans le contexte du coronavirus nous aura beaucoup appris. Notamment à accepter les décisions de la Hiérarchie. J’ai été éduqué dans un esprit d’obéissance immédiate à la hiérarchie. Si le patriarche appelle les fidèles à rester chez eux, j’appelle mes paroissiens à obéir au patriarche et à rester chez eux. Mais il y a des prêtres qui disent : ce que dit le patriarche n’est pas un ordre, c’est un souhait, vous pouvez y obéir ou l’ignorer. Tout cela est enrobé dans un discours comme quoi il ne faut juger personne, ni ceux qui restent chez eux, ni ceux qui vont à l’église. J’estime que cette interprétation est une forme voilée d’opposition à la hiérarchie. Je regrette qu’il y ait des prêtres qui invitent à interpréter ainsi la parole du patriarche. Pourtant il y en a, nous n’y pouvons rien !
Certains prêtres ont profité de l’occasion pour démontrer leur bravoure devant le virus, leur fermeté dans la foi. Ils appellent les paroissiens à n’avoir peur de rien. A mon avis, cette position s’apparente plus au pharisianisme qu’à l’orthodoxie. Les pharisiens de l’époque de Jésus Chrsit priaient, ils s’arrêtaient au coin des rues pour qu’on les voit prier. Le Christ dénonçait leur piété ostentatoire. Aujourd’hui, il n’est pas temps de démontrer notre fermeté inébranlable dans la foi, il est temps de se préoccuper de son prochain. Car on peut être porteur du virus, sans être contaminé. On peut très bien ne pas avoir peur de la contagion, c’est le droit de chacun, mais on ne peut être certain qu’on ne transmettra pas le virus à d’autres. Tout le monde le dit, aujourd’hui, la seule façon de minimiser les risques pour l’environnement est de respecter le confinement. Dans l’ensemble, je dois dire qu’à quelques rares exceptions les prêtres se montrent responsables, obéissent au patriarche et à leurs évêques, qu’ils font leur possible pour minimiser le risque de contamination parmi les paroissiens.
- Quelles recommandations sont données aux fidèles pour Pâques ? Comment fêter Pâques à la maison, quelles coutumes peut-on ignorer, et qu’est-ce que le chrétien orthodoxe doit absolument observer ?
- Là où c’est possible, il faut absolument venir à l’office pascal. Là où ce n’est pas possible, participer à l’office patriarcal, qui sera retransmis sur les chaînes de télévision centrales. Ensuite, on peut réveillonner. Il faut bien garder à l’esprit que Pâques est la Résurrection du Christ, qui concerne tous les croyants. Je souhaite que chaque orthodoxe, qu’il fête Pâques à l’église, dans la cour de l’église ou chez lui, ressente la joie de la Résurrection du Christ, qu’à l’exclamation « Le Christ est ressuscité », il réponde de tout son cœur : « Il est vraiment ressuscité ! »
- On a dit récemment que le feu sacré serait tout de même rapporté de Jérusalem à Moscou. Cela ne risque-t-il pas de créer des manifestations, les gens ayant le désir d’y toucher ? Comment empêcher les mouvements de foule dans le contexte du confinement ?
- Je pense qu’il n’y a rien à craindre. Si le feu sacré est bien ramené à Moscou, il sera, comme d’habitude, réparti entre les églises. Mais, comme je l’ai déjà rappelé plusieurs fois, répondant à des questions semblables ces derniers jours, notamment dans l’émission « L’Église et le monde », Pâques n’est pas moins sacrée sans le feu sacré. La grâce est la même. A l’époque soviétique, personne n’amenait le feu sacré, et nous fêtions Pâques, nous ressentions ce que le Christ dit à ses disciples : « Vous donc aussi, vous êtes maintenant dans la tristesse; mais je vous reverrai, et votre coeur se réjouira, et nul ne vous ravira votre joie » (Jn 16,22). La joie de la Résurrection du Christ, de la présence du Christ au milieu de nous, personne ne peut nous la ravir. Même pas le coronavirus.
Propos recueillis par Pavel Skrylnikov