Le métropolite Hilarion : Le Patriarche Cyrille a pour objectif d’employer au maximum tout le potentiel de l’Église
Le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou a accordé une interview à l’animateur de l’émission « Les informations du samedi » sur la chaîne de télévision « Rossia-1 », Sergueï Brilev.
- L’anniversaire de l’intronisation du Patriarche Cyrille est une bonne occasion de faire le bilan des cinq années qui viennent de s’écouler. Vous êtes un proche de Sa Sainteté. Comment pourriez-vous caractériser cette période : difficile, lumineuse, ou bien comme un temps d’épreuve ? Quel souvenir gardez-vous de ces années ?
- Ce fut une période à la fois lumineuse et difficile, en même temps qu’un temps d’épreuve. L’Église a continué à vivre sa vie propre, les processus appelés conventionnellement « second baptême de la Russie » commencés sous le Patriarche Alexis II, et même un peu avant que ce dernier ne devienne Primat, se poursuivent toujours. Tout a commencé en 1988. L’an dernier nous avons célébré le 1025e anniversaire du baptême de la Russie, en même temps que le 25e anniversaire de sa renaissance.
L’accession du Patriarche Cyrille au trône patriarcal, il y a cinq ans, a donné un second souffle à ce processus, dans la mesure où le Patriarche Cyrille a insufflé son charisme personnel dans le processus de renaissance de l’Église. En cinq ans, de nombreux mécanismes qui n’existaient pas du tout auparavant ou existaient de façon latente ont été mis en route. Par exemple, le Haut Conseil a été créé peu après l’élection du Patriarche Cyrille. Il s’agit d’un organe de direction de l’Église qui n’existait pas avant. Les présidents de tous les départements synodaux, c’est-à-dire des « ministères » ecclésiastiques, en font partie. Autrement dit, auparavant, nous avions des « ministères », mais nous n’avions pas de « Conseil des ministres ». C’est désormais chose faite. Le Patriarche Cyrille a entamé une réforme de grande envergure de l’administration ecclésiastique en Russie, dans le cadre de laquelle beaucoup de grands diocèses (soit par le nombre de paroisses, soit par l’espace géographique) ont été divisés en 2, 3, voire 4.
- Et se sont donc rapprochés du peuple.
- Les évêques se sont rapprochés du peuple. Là où il y avait un évêque pour plusieurs milliers de kilomètres carrés et pour cinq ou six cents paroisses, ils sont maintenant 3 ou 4. L’un d’entre eux, qui a rang de métropolite, coordonne les actions des autres. L’évêque est maintenant effectivement plus proche des fidèles. On crée de nouveaux centres diocésains, ce qui veut dire qu’on donne une nouvelle impulsion à la construction d’églises et à la vie religieuse en général.
- Quelques images fortes viennent à l’esprit lorsqu’on évoque cette période. Les kilomètres de foule attendant pour vénérer des reliques comme la Ceinture de la Mère de Dieu ou les Dons des Rois Mages. Certains de ceux qui sont venus ont fait part de leurs impressions sincères, touchantes, d’autres se sont montrés plus sceptiques et ironiques. Ces queues réunissaient d’énormes quantités de gens. Si l’on veut faire le bilan de ce quinquennat, qu’est-ce qui compte le plus pour vous, le petit pourcentage de gens qui viennent à l’église, ou les 80% de Russes qui se déclarent orthodoxes ?
- L’un et l’autre sont importants, mais ce ne sont pas les pourcentages qui importent, ce sont les gens. Je suis directeur du département de théologie de l’université nationale de recherche atomique depuis l’an dernier. De 300 à 400 personnes ont assisté à mes cours. Et ce nombre est demeuré stable du début à la fin du cycle de conférences. L’un des étudiants m’a demandé : « Cela ne vous ennuie pas de venir ici alors que 90% des étudiants n’ont rien à voir avec vous ? » J’ai répondu : « Certes, ils n’ont aucun rapport avec nous, c’est pourquoi vous n’êtes pas 40 000 ici, mais 400. Mais si vous n’étiez que 4 au lieu de 400, je serais quand même venu ». L’étudiant m’a répondu : « S’il n’y en avait que 4, je serais l’un d’eux ». C’est le contact personnel qui compte pour l’Église. Ce ne sont pas les chiffres qui nous intéressent, mais les gens. Ce rapport personnel du Patriarche avec ses fidèles, ce contact personnel des pasteurs, des évêques qui était rendu difficile par le nombre et l’éloignement jusqu’à une date récente, est désormais facilité par la création de nouveaux diocèses. Voilà ce qui compte pour nous.
- L’histoire de la danse dans l’église du Christ-Sauveur s’impose comme un autre flash de ces 5 années. Même ceux qui sont solidaires de leurs slogans politiques ont été bouleversés par ce qui s’est passé. Pour certains, c’est l’église principale du pays, pour d’autres, c’est un monument aux héros de la guerre de 1812. Jusqu’ici tout est clair. Mais si elles ont effectivement été provocatrices, que penser de ceux qui affirment défendre l’orthodoxie en voulant faire interdire l’opéra-rock « Jésus Christ superstar » ou en interrompant les spectacles du Théâtre d’art de Moscou. Où est le juste milieu ?
- Les gens aiment leurs sanctuaires. L’église du Christ Sauveur, c’est cette même église devant laquelle les gens faisaient des kilomètres de queue pour vénérer des reliques. Les gens attendaient dix, douze, quinze heures dans le froid sans se fatiguer, sans se plaindre, sans faire de scandales. Ils vont à l’église pour y rencontrer Dieu, pour vénérer les choses saintes. Et voilà qu’on y perpétue un acte de vandalisme. Ou qu’on organise une performance consistant à découper une icône pendant une exposition… L’Église appelle cela un blasphème ou une profanation.
- Pas seulement l’Église.
- En effet. Aucune tolérance ne peut être de mise ici, parce qu’il y a des symboles sacrés et des sentiments sacrés. Est-ce que les atteintes aux symboles de l’état – le drapeau, la tombe du soldat inconnu – ne sont pas poursuivies ? Est-ce qu’on ne doit pas mettre un terme aux atteintes contre ce qui est sacré pour les gens.
Ce qui est vexant, c’est l’importance complètement disproportionnée qui est accordée à ces actes. Il s’agit avant tout de la presse. Pourquoi s’intéresse-t-elle tant aux scandales, et non pas au travail immense qu’accomplissent l’Église et les gens de bonne volonté ? On peut être médecin toute sa vie, sauver des milliers de gens sans jamais faire l’objet d’un article de journal ni passer à la télévision. Les scandales en tous genres attirent eux l’attention de tout le monde
- Les radicaux (passez-moi l’expression !) qui exigent l’interdiction d’un opéra-rock à thématique religieuse au nom de l’orthodoxie ne vous font-ils pas de tort ?
- Le radicalisme est une notion complexe. Il y a le radicalisme militant que nous observons au Moyen Orient, où ceux que l’on appelle radicaux commettent des crimes, enlèvent des gens, leur coupent la tête. Il y a un radicalisme porté par une tendance conservatrice parmi certaines personnes ou certains groupes. Et l’Église a besoin de ces groupes, parce qu’ils lui permettent de ne pas tomber dans l’abîme du libéralisme, cet autre extrémité. Le juste milieu consiste naturellement à se conduire de façon civilisée et à être capable de s’écouter quel que soient nos opinions.
L’apôtre Paul dit qu’il faut bien qu’il y ait dans l’Église des groupes qui s’opposent, pour qu’on reconnaisse ceux qui ont une valeur éprouvée (I Cor 11, 19). Ces différentes opinions, dans la limite du raisonnable, bien sûr, non seulement existent dans l’Église, mais lui sont utiles : les représentants de l’Église ont besoin d’une critique constructive : pas d’accusations anonymes, pas d’attaques haineuses, mais d’une critique constructive.
Nos relations avec le monde extérieur doivent être interactives. Nous ne sommes pas seulement l’Église enseignante, mais aussi l’Église qui sert. Notre rencontre avec les gens ne doit pas consister seulement à parler, mais aussi à écouter.
- Je reviens au Moyen Orient, dont vous avez parlé. Nous avons observé une chose étonnante ces derniers mois : sur le thème de la défense des chrétiens du Moyen Orient, le Patriarche de Moscou et le Pape de Rome parlent à l’unisson et leurs déclarations coïncident jusqu’à la virgule.
- On peut en dire autant de celles du Président russe.
- A quoi peut-on s’attendre ? Encore cinq ans avant une première rencontre avec le Pape ?
- Nous ne parlons pas encore de dates. Nous disons qu’une telle rencontre est possible, que les Églises en ont besoin dans le contexte de ce qui se passe au Moyen Orient. Mais nous ne sommes pas prêts à parler de dates ni de lieux, parce que cela doit être soigneusement préparé. Un certain nombre de facteurs gênent cette rencontre. Par exemple, quand des prêtres gréco-catholiques ukrainiens en habits sacerdotaux appellent aux assassinats, comment l’interpréter ? Au Vatican, on nous dit naturellement qu’ils n’y peuvent rien parce que les gréco-catholiques sont autonomes. Mais ils sont pourtant bien catholiques, l’uniatisme est un projet catholique. Et n’est pas seulement un projet datant d’une autre époque. Dès 1993, au niveau théologique, catholiques et orthodoxes ont condamné l’uniatisme, reconnaissant que cette voie ne menait pas à l’unité. Mais les conséquences restent. Nous voyons ces gens agir, prendre position contre l’Église canonique et soutenir les schismatiques.
Tout ceci complexifie effectivement nos relations, nous rejette en arrière. Nous voulons parler de l’essence du problème, résoudre des problèmes, travailler ensemble à la défense des chrétiens du Moyen Orient qui font aujourd’hui l’objet d’un véritable génocide. Mais en même temps nous devons tenir compte de la situation telle qu’elle est et des sentiments de nos fidèles.
- Nous avons parlé des différences d’opinions parmi les fidèles. Des façons de penser différentes existent à l’intérieur même de l’Église. Ces dernières semaines, nous avons lu des interviews assez passionnées. A votre avis, qu’est-ce qui est le plus grave : que les discordes soient révélées au grand jour, ou l’existence de ces discordes ?
- L’existence de discordes, évidemment. Quoiqu’encore faut-il prouver leur existence. Par ailleurs, nous devons laver notre linge sale en famille, sans prendre le monde entier à témoin, parce que cela sape l’autorité de l’Église. Il ne faut pas oublier que les accusations se révèlent souvent par la suite infondées. Mais il est trop tard, telle personne a été calomniée et l’autorité de l’Église en a souffert.
L’Église n’a sûrement pas peur des attaques parce qu’elle continue à remplir son ministère. Il y a quelques années, quand le Patriarche Cyrille était encore métropolite, il faisait l’objet d’attaques régulières de la part d’un journaliste qui publiait un article plein de fantasmagories diverses et variées à peu près tous les mois. Un jour, j’ai demandé au métropolite Cyrille pourquoi il ne répondait pas. Il m’a dit alors : « Ma réponse consiste à continuer à faire mon devoir ». Telle doit être la réponse de l’Église aux attaques injustifiées. Quant aux critiques constructives nous sommes toujours prêts à les écouter.
(…)
- L’un des résultats visibles du ministère de l’ex-métropolite Cyrille, aujourd’hui Patriarche de Moscou, est le début d’un débat sur les valeurs traditionnelles. L’Église a été l’initiateur de ce débat en Russie et, pour une part, en Europe. Qu’est-ce que les valeurs traditionnelles selon l’orthodoxie russe ?
- La notion de valeurs traditionnelles est assez floue et abstraite, mais nous lui donnons un sens très concret. Moins théologique qu’anthropologique, d’ailleurs, puisqu’il s’agit de la vie humaine. On s’interroge aujourd’hui beaucoup sur la famille, qu’est-ce que la famille. Nous disons que la famille, c’est l’union d’un homme et d’une femme qui s’unissent par amour, l’un des buts de cette union étant la naissance et l’éducation des enfants. Le monde libéral nous répond : « Pas du tout, la famille, c’est l’union de n’importe quelles personnes, par exemple deux hommes, deux femmes ou tout autre configuration. Les enfants sont une option qui n’a rien d’obligatoire. »
Nous assistons donc à un démontage en règle de la famille dont les conséquences sont très concrètes : crise démographique, problèmes de société. Cela provoque des tensions : quand un million de Français sort dans la rue pour déclarer son soutien à la conception traditionnelle du mariage et que le gouvernement les refoule à coups de matraques et de gaz lacrymogènes. Et on nous dit que c’est ça, la démocratie, la liberté, que nous devrions aussi instaurer cette liberté tandis que chez nous les droits de l’homme sont violés, voyez-vous, parce que les représentants des minorités sexuelles n’ont pas le droit de faire la propagande de leur mode de vie chez les mineurs.
Ces questions sont très sérieuses. Elles touchent aux droits de nos concitoyens à garder leur identité, leurs familles. C’est le droit de notre peuple à sa reproduction, à son avenir, finalement, qui est en jeu.
- D’après vous, la majorité des Russes vous soutient-elle ? Réalisez-vous des études sociologiques ?
- Nous sommes certains que la majorité des Russes est de notre côté. Je pense que si vous sortez simplement dans la rue pour demander aux passants « Qu’est-ce que la famille pour vous ? », la majorité absolue vous répondra la même chose que nous.
- Monseigneur, lorsque le Patriarche vous confie une tâche, vous pensez qu’elle vise l’élite ou le peuple ? C’est peut-être une question bizarre, mais elle a lieu d’être.
- L’Église n’est pas orientée sur l’élite, mais sur le peuple. A cela près, comme je l’ai dit, qu’elle ne s’adresse pas à des masses impersonnelles, elle parle à des personnes concrètes.
(…) Par ailleurs, l’Église, ce n’est pas seulement le clergé. Lorsque nous disons que nous travaillons avec les gens, il faut bien comprendre qu’il ne s’agit pas seulement des prêtres qui confessent ou donnent des conseils. Tout le système de la communication à l’intérieur de l’Église, y compris des laïcs entre eux, c’est aussi le travail de l’Église. Ces dernières années, le rôle des laïcs a grandi, y compris dans l’administration ecclésiastique. Les laïcs participent à la Conférence interconciliaire, ils discutent les documents qui seront plus tard adoptés par le Concile épiscopal. Dans chaque paroisse capable de soutenir financièrement ce type de projet, il y a, en plus du chef de chœur et du chantre, des missionnaires, des travailleurs sociaux, des enseignants. Toutes ces fonctions sont généralement remplies par des laïcs.
C’est pourquoi le rôle des laïcs est important dans notre Église, et c’est l’un des mérites du Patriarche Cyrille qui, comme je le pense, se donne pour objectif d’utiliser au maximum le potentiel qui existe dans l’Église. Et notre potentiel, ce sont les millions de gens qui sont prêts à remplir dans ce monde la mission de servir le bien.