Le métropolite Antoine de Volokolamsk : « Nous avons entrepris un gros travail en Afrique, nouveau pour nous »
En décembre et janvier, l’Exarchat patriarcal d’Afrique a envoyé des prêtres russes célébrer les offices des fêtes dans 15 pays du continent africain. Aussi bien dans le nord, où des paroisses de l’Église orthodoxe russe existent depuis longtemps (Tunisie, Maroc, Égypte), qu’au sud du Sahara, dans des pays exotiques pour les Russes comme le Bénin, le Burkina Faso, le Cameroun, la Côte d’Ivoire, l’Ouganda et d’autres pays. Les offices y sont souvent célébrés sous des tentes ou à l’ombre des arbres.
Au Kenya, Mgr Constantin de Zaraïsk, exarque patriarcal d’Afrique, a célébré le rite de la grande bénédiction des eaux du lac Victoria, assis dans une pirogue. A Bangui, la capitale de la République centrafricaine, plantée d’innombrables palmiers, les élèves de l’école Saint-Serge-de-Radonège ont été surpris par le sapin de Noël et ses aiguilles piquantes. Presque toute l’Afrique a reçu la visite des prêtres orthodoxes : pays francophones, anglophobes, hispanophones, arabophones et lusophone.
L’Afrique était le domaine du Patriarcat d’Alexandrie
Pourquoi l’Église orthodoxe russe est-elle aujourd’hui présente en Afrique et qu’y faisons-nous ? Le Centre d’analyse de l’agence TASS a posé la question au président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou, le métropolite Antoine de Volokolamsk.
– L’Église russe a depuis longtemps des paroisses sur le continent africain : en Égypte, au Maroc, en Tunisie et en Afrique du Sud. Exerçant notre ministère sur le continent, nous respections les droits canoniques du Patriarcat d’Alexandrie. Suivant les décrets antiques que nous appelons les saints canons, l’Afrique du Nord relève du territoire canonique du Patriarcat d’Alexandrie qui, au XXe siècle, a étendu sa mission à tout le continent africain.
Dans ces paroisses, les prêtres envoyés en ministère depuis l’Église orthodoxe russe, en informaient la hiérarchie du Patriarcat d’Alexandrie et n’officiaient qu’avec la bénédiction des évêques locaux. Nos églises étaient principalement fréquentées par des paroissiens russophones.
Tout a changé
Les archives du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou conservent de nombreuses requêtes d’expatriés russes résidant dans d’autres pays africains et demandant à l’Église orthodoxe russe d’y fonder des paroisses et d’y envoyer des prêtres.
– Nous respections les droits du Patriarcat d’Alexandrie, c’est pourquoi nous ne pouvions donner une réponse positive à ces requêtes.
Tout a changé en 2019 quand le patriarche Théodore II d’Alexandrie (né Nikolaos Chorephtakis) a subitement reconnu unilatéralement les schismatiques ukrainiens. Auparavant, le patriarche d’Alexandrie était venu à bien des reprises en Russie et en Ukraine. Dans de nombreuses interventions publiques, il avait juré fidélité aux saints canons, déclaré que les schismatiques ukrainiens étaient privés de la grâce, que leurs prêtres ne pouvaient être considérés ni comme légitimes, ni comme canoniques.
Internet regorge de vidéos où l’on voit le patriarche Théodore le déclarer, notamment lors de déplacements en Ukraine. Un an avant de reconnaître les schismatiques ukrainiens, il était venu en visite dans le diocèse d’Odessa de l’Église orthodoxe ukrainienne, où il avait été chaleureusement accueilli, et il avait appelé les croyants à rester fidèles à l’Église canonique.
Puis, en novembre 2019, le patriarche Théodore a personnellement pris la décision de reconnaître les schismatiques ukrainiens, sans prendre l’avis du Synode d’Alexandrie, et s’est mis à commémorer les chefs de cette communauté.
– Cette décision du patriarche Théodore témoigne qu’il ne répond pas de ses propres paroles. Ce n’est pas seulement notre impression, c’est aussi celle d’une immense quantité de clercs de la juridiction du Patriarcat d’Alexandrie. Ils ont compris que leur patriarche s’était rendu coupable de trahison, qu’il pouvait difficilement être considéré comme un honnête homme. Quelques temps plus tard, le Département des relations ecclésiastiques extérieures a commencé à recevoir des dizaines de demandes de prêtres d’Afrique, notamment issus de la population locale, affirmant qu’après ce qui s’était passé, ils ne souhaitaient pas rester sous l’omophore d’un patriarche qui avait agi aussi malhonnêtement. Ils demandaient donc au patriarche de Moscou et de toutes les Russies de les accepter dans sa juridiction.
Devenu schismatique
– Nous avons agi sans hâte, comprenant cependant qu’il était impossible d’abandonner ces prêtres dans leur difficile situation. Nous espérions pourtant que le primat d’Alexandrie se repentirait ou que le Saint-Synode de cette antique Église annulerait la décision prise unilatéralement par le patriarche. Mais, après la célébration d'un « office divin » en commun du patriarche Théodore avec le leader du schisme ukrainien, en août 2021, nous n’avions plus le choix. Suivant les canons, qui célèbre avec un schismatique devient lui-même schismatique. Abandonner, laisser sans juridiction canonique des centaines de clercs avec les paroissiens des églises desservies par ces prêtres, nous ne le pouvions pas. Les gens ne voulaient pas avoir part au schisme de l’orthodoxie et nous devions réagir à cette décision.
Il a donc été résolu de créer un Exarchat patriarcal d’Afrique, de nommer un exarque patriarcal, et l’Église orthodoxe russe s’est mise à étudier les demandes qui lui arrivaient. L’exarque et le clergé qui l’aidaient se sont rendus dans ces paroisses, ont fait la connaissance des prêtres sur place, prenant la décision de recevoir ou de ne pas recevoir ces prêtres dans la juridiction de l’Église orthodoxe russe. En décembre 2024, l’Exarchat a fêté son troisième anniversaire. Il se compose de deux éparchies : le diocèse d’Afrique australe (24 pays) et le diocèse d’Afrique du Nord (31 pays), où fonctionnent près de 350 paroisses dans 32 pays d’Afrique, desservies aujourd’hui par plus de 250 prêtres. En dehors de projets spirituels, nous avons commencé à réaliser de nombreux projets humanitaires et éducatifs.
Une réalité fondamentalement nouvelle
– C’est une réalité tout à fait nouvelle et inattendue. La création de l’Exarchat d’Afrique a bouleversé la vie de l’Église orthodoxe sur le continent. Pendant une longue période, la hiérarchie du Patriarcat d’Alexandrie s’est surtout préoccupée de ses paroissiens grecs. Les paroisses situées dans des villages africains difficilement accessibles, où la situation sanitaire n’est pas des meilleures, où existent des problèmes liés à la pauvreté non seulement n’ont jamais accueilli d’évêque grec, mais n’ont jamais non plus eu la visite d’un prêtre. Les fidèles étaient abandonnés à leur sort.
Lorsque notre clergé s’est rendu dans ces paroisses, nous avons été horrifiés des conditions dans lesquels les prêtres issus de la population locale célébraient. Dans le meilleur des cas, dans des locaux ne rappelant en rien une église orthodoxe.
Nous avons recherché des moyens financiers pour assurer à ces paroisses le nécessaire à la célébration des offices divins et, en même temps, pour résoudre les problèmes quotidiens des habitants : aider à forer des puits d’eau potable, leur fournir des médicaments, des objets de première nécessité.
Dès ces premières mesures, les habitants ont compris que l’Église russe prenait soin d’eux, qu’ils n’étaient pas abandonnés, qu’ils comptaient. Nous travaillons à élever le niveau de formation des prêtres qui ont été ordonnés bien souvent sans avoir eu la possibilité de recevoir une instruction théologique systématique. Aujourd’hui, les écoles de théologie en Russie accueillent un grand nombre d’étudiants africains auxquels nous fournissons le nécessaire, depuis les vêtements jusqu’à une bourse d’études et des billets d’avion pour rentrer chez eux pendant les vacances.
Nous nous sommes lancés dans un travail nouveau pour nous et nous constatons qu’il porte des fruits. Chaque jour, un nombre toujours plus grand de prêtres nous rejoint, voyant notre sincère sollicitude pour le clergé et les fidèles du continent africain.
Points de vue identiques avec l’Église orthodoxe d’Antioche
Fin janvier, le métropolite Antoine a effectué une visite de travail au Liban, où il a été reçu par le patriarche Jean X d’Antioche et de tout l’Orient.
– Où en est-on des relations avec l’Église orthodoxe d’Antioche ?
– Avec l’Église orthodoxe d’Antioche, l’Église russe entretient historiquement d’excellentes relations. Le monde orthodoxe, aujourd’hui, est malheureusement divisé à cause des mesures prises par Constantinople et par le Patriarcat d’Alexandrie, qui, comme nous l’avons mentionné, s’est solidarisé avec lui sur le schisme en Ukraine et dans ses efforts pour le légitimer. Avec le Patriarcat d’Antioche, nous partageons le même point de vue sur les relations interorthodoxes.
– Comment les événements en Syrie ont-ils influé sur le Patriarcat d’Antioche ?
– Naturellement, pendant notre entretien, nous avons discuté de la situation des chrétiens au Proche-Orient. Au nom du patriarche Cyrille de Moscou et de toutes les Russies, j’ai transmis au patriarche Jean, au clergé et aux fidèles de l’Église d’Antioche l’assurance de notre soutien plein et entier, j’ai fait part de notre évaluation des perspectives de développement de la situation dans la région. Nous prions tous pour que la paix règne au Proche-Orient, pour que les chrétiens vivant sur cette terre sacrée puissent jouir du droit de confesser librement leur foi.
Il n’est pas fréquent de pouvoir s’entretenir avec Son Éminence, nous en avons donc profité.
Seulement he & she aux États-Unis, est-ce possible ?
– Les États-Unis ont un nouveau président dont on attend un « retournement conservatif sur le plan des valeurs ». L’Église orthodoxe russe pense-t-elle que ce soit possible ?
– J’ai remarqué (ayant regardé l’inauguration du président Trump et ayant écouté son discours) que dès les premières heures de sa présidence, il a fait un certain nombre de déclarations qui permettent de penser qu’il accorde une certaine importance aux valeurs morales traditionnelles.
Il a notamment mentionné qu’il n’existe que deux sexes, féminin et masculin, ce qui a suscité beaucoup de mécontentements dans la partie libérale de la société américaine et pas seulement américaine.
Il semble également important que certains représentants de l’équipe de Trump aient beaucoup parlé de la problématique de la liberté religieuse en Ukraine à la veille des élections. Ils ont, notamment, déclaré que la politique de l’actuel régime de Kiev à l’égard de l’Église orthodoxe ukrainienne canonique était inacceptable, alors qu’elle représente, je le souligne, la majorité des chrétiens vivant en Ukraine.
C’est pourquoi on aimerait espérer que l’administration Trump, qui est désormais entrée en fonction et dispose de leviers d’influence sur l’actuel régime de Kiev, pourrait accorder à ce thème l’attention qu’il mérite, car aujourd’hui, sous les yeux du monde civilisé, l’Église orthodoxe est soumise à de cruelles persécutions.
Et les catholiques ?
– Le 9 janvier, la Conférence épiscopale italienne a publié de nouvelles recommandations, autorisant les homosexuels déclarés à devenir prêtres. Cette décision va-t-elle compliquer les relations entre l’Église orthodoxe russe et le Vatican ?
– Naturellement, nous avons aussi pris connaissance de ces nouvelles, venues d’Italie. Je ne cache pas que le cap que met actuellement l’Église catholique sur un agenda libéral, s’éloignant largement de la doctrine évangélique dans le domaine des valeurs familiales traditionnelles, ne peut pas ne pas susciter perplexité et inquiétude.
Très récemment a été publié un document intitulé Fiducia supplicans qui introduit chez les catholiques une forme nouvelle de bénédiction des couples homosexuels. La commission synodale biblique et théologique de l’Église orthodoxe russe a analysé ce document et publié les résultats de son analyse, qui contient de nombreuses remarques. Les écarts à l’éthique familiale chrétienne traditionnelle sont déjà devenus une triste réalité dans de nombreuses dénominations protestantes.
Le thème de l’éthique familiale et des valeurs traditionnelles familiales est l’un des rares sur lesquels nous pouvions échanger avec l’Église catholique romaine en étant, comme on dit, sur la même longueur d’onde. On le sait, il existe entre nous de sérieuses divergences théologiques, la communion eucharistique est rompue. Or, pendant des années, nous avions bâti nos relations avec l’Église catholique sur une base qui nous était commune et sur les questions sur lesquelles nos positions étaient identiques.
Le risque est que le thème de l’éthique familiale chrétienne traditionnelle ne soit plus à l’ordre du jour de nos relations. Si cela se produit, je ne vois pas très bien de quoi nous pourrons encore parler avec les catholiques.
Propos recueillis par Oleg Ossipov