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Le temps comme juge. Les Églises orthodoxes russe …

Le temps comme juge. Les Églises orthodoxes russe et constantinopolitaine au XXe siècle

Le thème des rapports entre « Église-mère » et « Église-fille », entre les Églises orthodoxes constantinopolitaine et russe, au siècle dernier, est extrêmement douloureux. Le prêtre Alexandre Mazyrine, docteur en histoire ecclésiastique, et Andreï Kostrioukov, docteur en sciences historiques, soulèvent ce thème sans prendre de gants dans le recueil « De l’histoire des rapports entre les Églises russe et constantinopolitaine au XXe siècle ». Le recueil se compose de deux essais : « Le Phanar et le mouvement des rénovateurs contre l’Église orthodoxe russe » du père Alexandre Mazyrine, et « La diaspora russe ecclésiastique et le siège œcuménique », rédigé par A. Kostrioukov. Sergueï Firsov, docteur en sciences historiques, a consacré un article de la Revue du Patriarcat de Moscou (n°10, 2018) à ce recueil.

Le titre de l’essai du père Alexandre annonce d’emblée qu’il envisage les actes de l’Église de Constantinople comme dirigées contre l’Église orthodoxe russe, les considérant comme volontaires et réfléchis. Dès le début, l’auteur montre que les Phanariotes n’ont pas été troublés de la création arbitraire de la « Haute direction ecclésiastique » schismatique, en 1922, « devenant, avec les bolcheviks athées et les rénovateurs-traîtres, une nouvelle source d’affliction pour l’Église orthodoxe russe. » Les « intérêts politiques » du Phanar se sont trouvés avoir plus d’importance que les règles canoniques et la tradition ecclésiastique orthodoxe. L’auteur cite plusieurs exemples montrant que l’Église constantinopolitaine (en la personne de ses hiérarques), tout en exprimant sa compassion à  l’Église russe, cherchait à utiliser le schisme suscité par la GPOU à son propre avantage politique.

Deux représentants du Patriarcat œcuménique ont joué un rôle particulier dans le développement négatif des relations ecclésiastiques gréco-russes : deux archimandrites grecs, l’oncle et le neveu, Jacques et Basile (Dimopoulo). Le premier fut représentant du Phanar en Russie dès 1894. Il résidait à Moscou (ruelle Krapivenski, 4). Jusqu’à sa mort, en 1924, il fut représentant officiel du Phanar en Russie. Son neveu le remplaça à ce poste, de 1924 à sa mort, en 1934.

Comme le montre le père Alexandre, l’archimandrite Jacques comprit rapidement que le mouvement rénovateur avait le soutien du pouvoir bolchevik. Il résolut de saisir l’occasion pour affirmer l’influence du Patriarcat de Constantinople et la sienne propre, désireux d’obtenir la restitution du métochion de Constantinople à Moscou, réquisitionné par l’état « des ouvriers et paysans ». « On laissa sans doute entendre à Dimopoulo-aîné, écrit l’auteur, que le métochion ne lui serait pas rendu gratuitement, et il se mit au travail ». Dès l’été 1922, l’archimandrite se fit remarquer comme membre d’honneur du présidium du Congrès de « l’Église vivante » rénovée, où il siégeait avec le représentant du patriarche d’Antioche, l’archimandrite Paul (Katapodis). Les « hiérarques » mariés, dont se composaient les rangs de « l’épiscopat » rénové ne semblèrent pas troubler les Grecs. »

Que Jacques ait agi en connaissance de cause, on en a la certitude en étudiant la politique générale du Patriarcat de Constantinople, à la tête duquel siégeait Mélèce IV (Metaxakis) depuis 1922  . L’objectif de cette politique était l’expansion du Phanar au niveau mondial : le patriarche publia un tomos sur le droit de regard et de juridiction de Constantinople sur toutes les paroisses orthodoxes situées hors des frontières des Églises orthodoxes locales, organisant une métropole de Thyatire, dont le centre était à Londres, et un archevêché d’Amérique du Nord et du Sud. Un an plus tard, le patriarche intervint dans les affaires ecclésiastiques polonaises (le tomos sur l’autocéphalie de l’Église polonaise fut signé un peu plus tard, en novembre 1924), créa une « métropole autonome d’Estonie » et un « archevêché orthodoxe de Finlande ».

Ainsi, il n’est pas exagéré de dire que l’affaiblissement de l’Église russe faisait part du plan global « d’héllénisation » de l’Orthodoxie par Constantinople, qui empruntait ainsi la voie suivie par le papisme catholique romain. Le comprenant, il n’est pas difficile d’expliquer les actes du représentant du Phanar en Russie soviétique : plus les affaires iraient mal dans l’Église russe, plus le schisme des rénovateurs se répandrait, plus avantageuse serait la position de Constantinople. La logique de l’archimandrite Jacques n’en devient que plus claire, ce qui ne l’absout nullement : il affirmait sans sourciller dans ses lettres au Phanar que la majorité des orthodoxes de Russie considérait soi-disant l’Église constantinopolitaine comme « la seule ancre de salut et de foi  orthodoxe » (p. 41). Naturellement, l’archimandrite tenait compte de la circonstance importance que les bolcheviks étaient bienveillants envers les rénovateurs, tandis qu’ils discréditaient autant que possible le patriarche Tikhon. La composante politique de la question ecclésiastique  n’échappait pas au Phanar.

Les matériaux présentés dans le livre témoignent que la politique de Constantinople sur le schisme de l’Église vivante ne changea pas sous les successeurs de Mélèce IV, jusqu’à Photius II (Maniatis). En 1924, Grégoire VII (Zervoudakis) donnait au chef du synode des rénovateurs, Evdokim (Mechtcherski)ь non seulement le titre de métropolite, mais aussi celui « bien-aimé frère et concélébrant ». Il était prévu d’inviter les rénovateurs au « Concile œcuménique » annoncé à grands cris par les patriarches œcuméniques, qui cherchaient à l’utiliser pour affirmer leur propre autorité. Les auteurs du livre attirent l’attention sur le bruit soulevé par les rénovateurs autour de cet évènement « tant attendu ».

Ceci s’explique assez facilement : les rénovateurs n’intéressaient le Phanar que dans la mesure où ils pouvaient servir à l’affirmation de ses propres positions. Comme le démontre fort justement le père Alexandre Mazyrine, « aider les rénovateurs à « diriger l’Église conformément à la nouvelle organisation de la vie civile » n’avait de sens pour les Grecs que si cette nouvelle « organisation de la vie civile » en Russie était à leur avantage, influant sur le gouvernement turc. Or, les bolcheviks ne se pressaient pas de s’engager dans cette voie. » Au milieu des années 1920 (et même plus tard), les patriarches de Constantinople espéraient encore que les bolcheviks influenceraient les autorités turques en leur faveur. Ils restés donc alliés aux rénovateurs. La participation d’un représentant du patriarche au « Concile » rénovateur de l’automne 1925 ne doit donc pas étonner.

Plus l’Orthodoxie était persécutée en Russie, plus le représentant de Constantinople se montrait actif. Grâce à lui, le Phanar était au courant des affaires de l’Église en Russie. De façon caractéristique, le patriarche Basile III, en octobre 1925, écrivit une lettre au chef des rénovateurs ukrainiens – le chef du « Synode épiscopal ukrainien » Kir-Pimène (Pegov), transmettant sa bénédiction « à la hiérarchie et aux fidèles ». C’est l’archimandrite Basile qui servait de relais et de traducteur à toutes les lettres. Selon le mot du père Alexandre Mazyrine, l’archimandrite Basile était passé maître dans l’art de relayer, envoyant des messages non seulement aux instances ecclésiastiques, mais aussi au Comité exécutif central.

Dans l’ensemble, le portrait de Dimopoulo-jeune esquissé dans le livre est très pitorresque. Il y est présenté non seulement comme un politicien cynique, interférant sans vergogne (au nom du patriarche œcuménique) dans les affaires ecclésiastiques russes, mais aussi comme un homme vénal, pour lequel la prospérité personnelle avait autant, sinon plus, d’importance que les obligations « diplomatiques ». Il se battait avec une fougue étonnante aussi bien pour « la paix de l’Église » que pour obtenir une salle de bain, une cuisine et un loyer avantageux. Dans cette lutte pour son bien-être personnel, il s’appuyait sur l’aide du Synode de l’Église vivante, alliant, si l’on peut dire, les intérêts personnels aux intérêts de « l’orthodoxie œcuménique », comprise dans un sens non équivoque.

A l’époque où l’idée d’une prochaine convocation du Concile œcuménique était encore soutenue par le Phanar, l’archimandrite Basile consolait les rénovateurs (inquiets de savoir le patriarche Basile III prêt à inviter au Concile les membres de l’Église hors-frontières et les « Tikhoniens ») par des phrases sur la sympathie du Patriarcat œcuménique, qui était « du côté du Saint Synode moscovite » (p. 133). C’est grâce à l’archimandrite Basile que les leaders de l’Église vivante purent convaincre « les schismatiques de la base » que le principal critère d’orthodoxie était l’union à Constantinople, qu’ils observaient, au contraire des « Tikhoniens ».

L’auteur, me semble-t-il, a raison d’affirmer qu’à la fin de l’année 1926, l’archimandrite Basile n’était plus loin d’assimiler définitivement l’Église rénovée à l’Église orthodoxe russe, ignorant l’Église patriarcale. Mais il ne s’agissait pas seulement des idées personnelles de l’archimandrite. « La vraie Église, en Russie, pour les officiels du Phanar (journal « Orthodoksia » S. F.) n’existait pratiquement plus, écrit le père Alexandre Mazyrune, on ne souhaitait plus connaître que ceux qui avaient l’agrément du pouvoir soviétique » (p. 150). C’est en cela que consiste le problème : ceux que ne reconnaissaient pas les bolcheviks n’existaient pas pour les leaders du Phanar.

La situation changea partiellement après le retour du métropolite Serge (Stragorodski) à l’Église patriarcale, durant l’été 1927. Mais, dans l’ensemble, les changements restaient très équivoques. Le livre montre que pour le patriarche Basile III, le Synode des rénovateurs et le Patriarcat de Moscou du métropolite Serge « avaient la même valeur », ne représentant rien de plus que deux « parties » ou « orientations » pénétrées « du même esprit ». Fin 1927, le Phanar tenta d’établir des relations avec « les deux orientations » sur le mode de la parité. Or, i ne pouvait y avoir aucun accord entre les deux « partis » par principe, et les appels à la « réunification » ne pouvaient être entendus de l’Église patriarcale en Russie, puisque cette « réunification » aurait placée la structure dirigée par le métropolite Serge en dehors de l’Église. Les Phanariotes ne le comprirent pas, ou firent semblant de ne pas le comprendre. Par conséquent, ils « furent inclus au rang des ennemis de l’Église orthodoxe en Russie, à la suite des athées et des rénovateurs, bien qu’ils se répandissent en paroles charitables pour elle ».

Cette conclusion du père Alexandre Mazyrine, malgré sa dureté, doit être reconnue comme juste sur le principe, de même que sa démonstration sur le mal évident que représenta pour l’Église russe l’activité du représentant du Phanar – l’archimandrite Basile – dans les années 1920. Certes, dans le contexte nouveau de la réalité soviétique, tous les orthodoxes n’ont peut-être pas pu rapidement et correctement s’expliquer la situation, entraînés par la démagogie sociale des nouveaux « zélateurs de la foi ». Tous les gens simples (et pas seulement les simples) n’ont pas su se repérer immédiatement dans les arcanes de la politique ecclésiastique. Cependant, il convient de garder à l’esprit que les Phanariotes n’étaient pas « des âmes simples » : l’archimandrite Basile était même membre d’honneur du présidium du Synode des rénovateurs, et reçut de lui, par la suite, une décoration, sous la forme d’une croix ornée de diamants pour son klobouk. Et ce, alors que le Patriarcat de Constantinople ne reconnaissait ni l’épiscopat marié, ni le remariage des prêtres, qui étaient pourtant la norme dans « l’Église » vivante.

En tous cas jusqu’à la décision du Synode de Constantinople sur l’autorisation du remariage des prêtres, annoncée en septembre 2018.

Le Phanar ne s’est jamais prononcé contre la participation de son représentant officiel aux travaux des structures et des assemblées réformatrices. En 1928, l’archimandrite Basile prit part au « IIIe Concile sacré local de l’Église autocéphale orthodoxe ukrainienne », et, début 1929, en visite à Léningrad, déclara solennellement qu’il connaissait l’aspiration de « l’Église orthodoxe », c’est-à-dire des rénovateurs, à la paix et à l’union. Les opposants à cette « paix » étaient des « querelleurs », semant le trouble. Ils en répondraient devant le Concile œcuménique. On comprend qui était désigné comme « querelleur ». La position pro-Église vivante du Phanar, démontre l’ouvrage, est restée inchangée, et le nom de son représentant à Moscou était considéré dans les cercles orthodoxes russes comme un surnom péjoratif.

Par ailleurs, la suite des évènements a montré que le représentant du patriarche de Constantinople ne se souciait guère de sa réputation historique, pas plus que les possibles accusations d’échanges avec les organisateurs du schisme russe n’inquiétaient le primat du siège œcuménique, dont on peut à bon droit qualifier d’expansionniste la politique. Tout en entretenant des relations avec le Patriarcat de Moscou, le Phanar poursuivit non seulement ses contacts avec le Synode rénovateur, mais, comme le montre fort justement le père Alexandre Mazyrine, provoqua un nouveau conflit en acceptant dans sa juridiction (en 1931) les paroisses d’Europe occidentale dirigées par le métropolite Euloge (Gueorguievski). Le père Alexandre Mazyrine écrit qu’à l’époque  la conduite des Eulogiens fut regardée par beaucoup comme une trahison: le conflit provoqué par le bolcheviks avec le Patriarcat de Moscou aurait pu justifier une auto-administration temporaire, mais non le passage à une juridiction soutenant les rénovateurs.

A fin des années 1930, le pouvoir stalinien résolut d’en finir avec toutes les structures ecclésiastiques, aussi bien avec les « Tikhoniens » qu’avec les « rénovateurs ». Les relations entre le Patriarcat de Moscou et Constantinople, néanmoins, ne s’améliorèrent pas. Comme le remarque le père Alexandre Mazyrine, la situation ne commença à changer que pendant la Seconde guerre mondiale : les désagréments dans les rapports avec les patriarches orientaux « furent oubliés », « on ouvrit une nouvelle page de l’histoire ». Le patriarche œcuménique Benjamin (Psomas) salua l’élection du patriarche Serge (Stragorodski), sans avoir donné de recommandation à s’unir avec les rénovateurs, comme cela avait été le cas en 1927 (p. 236-237). Les autorités soviétiques avaient, elles aussi, perdu tout intérêt pour l’Église vivante ; Staline donna son accord au démantèlement de cette organisation religieuse.

Conclusion ? Selon le père Alexandre Mazyrine, « les leçons du XXe siècle, tragique pour l’Église, n’ont pas été oubliées. « La grande Église-mère de Constantinople », dans le contexte des malheurs qui avaient frappé l’Église russe, ne s’était nullement conduite de façon maternelle ».

L’autre auteur de l’ouvrage, Andreï Kostrioukov, poursuit la même idée. Il montre comment et pourquoi les représentants de la diaspora ecclésiastique russe (principalement ceux de l’Église russe hors frontières) évoluèrent dans leur rapport au siège œcuménique. L’auteur fait remonter fort justement l’histoire de l’ERHF à la Haute direction ecclésiastique, organisée en 1919 dans le Sud de la Russie, affirmant que la HDE, à ses débuts, faisait confiance à l’Église constantinopolitaine : « par habitude, le rapport des émigrés russes au Phanar resta profondément respectueux.

Le patriarcat de Mélèce fut marqué non seulement par « l’humiliation » de l’Église russe, mais aussi par les prétentions déclarées de Constantinople à la juridiction universelle. Ces prétentions se déclarèrent lorsque l’Église orthodoxe russe se retrouva otage de la politique violemment anticléricale des bolcheviks. Les hiérarques russes de l’étranger durent réagir aux évènements ecclésiastiques en cours en Russie soviétique, en même temps qu’à la réaction du Phanar à ces évènements. Or, cette réaction était tout à fait sans équivoque. Le schisme des rénovateurs fut reçu douloureusement par les hiérarques russes de la diaspora.

Dès 1922, la HDE de l’étranger déclara les leaders rénovateurs dépourvus de la grâce (tout en assurant que le patriarche Tikhon et son Saint-Synode devaient prononcer le jugement). La collaboration entre les leaders du schisme et les bolcheviks fut qualifiée par les membres de l’Église à l’étranger de « péché de Judas ». A l’été 1922, la Conférence conjointe du Synode hors-frontières et du Conseil ecclésiastique de l’ERHF déclara qu’elle considérait les membres du schisme comme frappés d’anathème. En même temps, estime Kostrioukov, « au Synode de l’Église hors frontières, on considérait que de bons rapports avec le Phanar l’empêcheraient de reconnaître les rénovateurs ». Les archipasteurs à l’étranger espéraient donc sincèrement pouvoir faire changer d’avis les Phanariotes et les forcer à avoir un regard plus « objectif » sur le schisme dans l’Église russe. La décision d’anathématiser les rénovateurs, selon l’auteur, fut prise non sans l’influence de la fameuse lettre du patriarche Tikhon du 6 décembre 1922, dont l’authenticité n’a toujours pas été prouvée. Cette lettre anathématisait la direction des réformés, tandis que la situation en Russie était qualifiée « d’époque du triomphe de satan et du règne de l’antéchrist ».

Kostrioukov est convaincu que c’est dans ce contexte qu’il faut envisager la participation des hiérarques de l’étranger Anastase (Gribanovski) et Alexandre (Nemolovski) au pseudo-Congrès panorthodoxe, convoqué par le patriarche Mélèce en mai-juin 1923. Ce congrès « révolutionnaire » ne fut pas approuvé des « hiérarques russes de l’étranger » (l’archevêque Anastase le quitta après 4 séances), et le Concile épiscopal de l’Église russe hors frontières rejeta la même année les décisions qui y furent prises.

Ces différentes manifestations datent de l’époque du patriarche Mélèce. Seulement après, écrit A. Kostrioukov, les représentants de l’ERHF évaluèrent à sa juste valeur la conduite expansionniste du siège constantinopolitain. Peu après, le Phanar donna un nouveau prétexte à une réaction négative : « à l’été 1924, le patriarche Grégoire (VII) cessa toute communication avec le patriarche Tikhon et resta en contact uniquement avec le faux synode du « métropolite » Evdokim (Mechtcherski). »

Ainsi, il devint clair que le Phanar s’efforçait de résoudre ses propres objectifs géopolitiques, sans tenir compte de l’opinion de l’ERHF sur les schismatiques russes. Par ailleurs, les déclarations de l’ERHF contre les rénovateurs eurent pour résultat que les patriarches orientaux, à l’exclusion, bien entendu, de Constantinople, ne reconnurent pas l’organisation religieuse schismatique comme une véritable église. Les déclarations politiquement engagées des adversaires du patriarche Tikhon, comme quoi celui-ci aurait été déposé de son siège par le Phanar avec l’accord des autres premiers hiérarques de l’Orient orthodoxes, furent désavouées.

Il devint de plus en plus évident que l’ERHF ne pouvait faire confiance au Patriarcat de Constantinople, dépendant des autorités civiles. « Le Phanar, répandant son pouvoir, affirme Kostrioukov, imposait de fait à la diaspora russe la soumission au régime communiste. » De plus, le modernisme évoqué plus haut ne pouvait pas ne pas être un empêchement à des échanges fraternels entre l’ERHF et Constantinople : l’imposition du nouveau calendrier et les tentatives de convocation d’un Concile œcuménique, qui se renouvellèrent au début des années 1930.

La conduite du Phanar provoqua une rupture à l’intérieur de l’émigration russe. En 1938, les représentants de l’exarchat d’Europe occidentale (« Eulogiens ») ne furent pas invités au Second Concile Hors Frontières. La situation, comme le montre A. Kostrioukov, ne s’améliora pas après la guerre, lorsque Staline tenta d’utiliser le Patriarcat de Moscou dans sa politique étrangère. Pour beaucoup « d’Eulogiens », la question « Patriarcat de Moscou ou Constantinople » signifiait « pour ou contre le régime soviétique ». Le Patriarcat de Moscou fut bientôt considéré comme le serviteur et l’allié du régime athée.

Malgré le passage officiel des paroisses de l’exarchat d’Europe occidental sous l’omophore du Patriarcat de Moscou, en septembre 1945, cette décision, pour les raisons indiquées ci-dessus (et pour d’autres), se révéla impraticable. Durant les 18 années qui suivirent, l’exarchat, faisant partie de l’Église constantinopolitaine, « se délecta de sa tranquilité », selon A. Kostrioukov.

La situation changea au milieu des années 1960, à cause de la position difficile du Phanar et de l’intensification de l’activité internationale du Patriarcat de Moscou. L’exarchat, auquel Constantinople dut renoncer, refusa de se soumettre à Moscou, déclarant son indépendance. C’est ainsi qu’apparut un archevêché de France, d’Europe occidentale et des Églises russes de la diaspora en Europe occidentale. L’autonomie dura plus de cinq ans. Lorsque le Phanar parvint à raffermir sa position (qui avait souffert du conflit gréco-turc à cause de Chypre en 1965), l’ancien exarchat rentra dans sa juridiction. L’une des raisons ayant motivé cette décision, fut l’octroi du statut d’autocéphalie à l’Église orthodoxe en Amérique par le Patriarcat de Moscou, en 1970.

Malgré les rancœurs mutuelles, jusqu’au milieu des années 1960, la communion entre les Églises ne fut pas rompue. La situation changea radicalement après les nouvelles déclarations « modernistes » des leaders du Phanar. Dans les années 1960, le patriarche Athénagoras (Spirou) déclara que l’Église était divisée comme la tunique du Christ et, en décembre 1965, posa un acte sans précédent dans l’histoire de l’Orthodoxie en décidant, conjointement avec le pape Paul VI, de la levée des anathèmes mutuels de 1054. Le nouveau cours pris par le patriarche Athénagoras rencontra une rude opposition de la part du chef de l’ERHF, le métropolite Philarète (Voznessenski). En même temps, les représentants de l’ERHF prirent des contacts étroits avec les représentants des grecs « ancien-style ». Finalement, les rapports entre l’ERHF et les Églises orthodoxes locales cessèrent : dans les années 1970, « les éditions de l’Église hors frontières ne mentionnent plus aucune concélébration avec les représentants de quelque autre Église que ce soit ».

Ainsi s’achevèrent les contacts entre les émigrés russes de l’Église hors frontières ou leurs descendants avec Constantinople. Le respect, l’espoir dans le soutien du Phanar, entretenu par les émigrés russes du début des années 1920, laissèrent la place à la méfiance, au mépris, puis à l’isolement. Pour Andreï Kostrioukov, il n’y a pas lieu d’en accuser l’Église hors frontières. « Il a fallu que le Phanar fasse beaucoup pour perdre la confiance des émigrés russes : politique obséquieuse devant les autorités communistes, reconnaissance effective du schisme rénovateur, intrigues contre le patriarche Tikhon et les hiérarques russes réfugiés. Les prétentions de Constantinople à la juridiction sur la diaspora n’améliorèrent pas les rapports avec l’Église russe hors frontières. Tout cela ne pouvait pas ne pas éloigner du siège œcuménique la majorité des émigrés russe. » Selon l’historien, l’Église hors frontières a perdu non seulement son allié dans la lutte contre les persécuteurs, mais s’est acquis un adversaire dans le Phanar.

Sergueï Firsov (né en 1967), docteur en sciences historiques, professeur de l’Académie de théologie de Saint-Pétersbourg et de l’Université d’état Herzen de Saint-Pétersbourg, membre du Conseil de thèse de l’Église et du Conseil de thèse réuni en théologie.

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